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B) La recherche de compétences

4) Le conseil politique

Les rois possèdent une institution judiciaire, des individus faisant respecter la loi, celle que le roi édicte pour les habitants de son royaume. Ils possèdent également des individus chargés de faire fonctionner une administration locale aussi réduite soit elle. Concernant la prise de décision au niveau central, deux types de personnages apparaissent, chacun aidant le roi. Le premier type est un groupe les optimates : la loi Gombette les cite en premier dans sa Prima Constitutio116, le bréviaire d’Alaric précise lui que le texte a été élaboré avec l’avis de puissants du royaume117 ce qui là aussi laisse entrevoir l’intervention de ces

114 Delmaire 2005, p. 256. 115 L. Burg, Prima constitutio 5. 116 L. Burg, Prima constitutio 5. 117 Mathisen 2008, pp. 42-43.

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optimates nommés ici nobiles viri. La vie des Pères du Jura, par l’intermédiaire d’un épisode de la vie de Lupicin parle d’un noble Romain présent à la cour du roi et lui donnant conseil118. Ce noble romain n’est pas plus connu ce qui fait penser là encore à un noble, un optimas donc. Quant au royaume franc, la persistance de l’aristocratie et donc des nobles au sein de l’Eglise par l’intermédiaire de l’épiscopat119 et leur obéissance aux rois tendent à montrer que d’une certaine manière là aussi les optimates servent bien le roi.

Ces nobles ne possèdent pas de statut. Ils sont présents auprès des rois car ces derniers ont besoin d’eux. Ce sont des personnages puissants possédant terres, richesses et influences dont il serait fort peu judicieux de se passer. Ces nobles conseillent le roi et l’influencent sans doute mais surtout agissent pour lui. Le roi, par l’intermédiaire de ce groupe, se dote d’une « assemblée » de gens qu’il peut contrôler et surveiller. Le deuxième type d’individus sont les conseillers officiels ou consiliarii. Peu nombreux, ils ont pourtant des compétences fondamentales pour les rois.

Les compétences d’un Leo par exemple sont d’ordre juridique, administratif mais surtout politique. Véritable représentant du roi pour les Romains du royaume, comme le montre la correspondance de Sidoine avec Leo120, c’est vers lui qu’il faut se tourner pour accéder au roi. Ce faisant, le roi wisigoth ou burgonde se permet d’avoir une interface entre lui et les populations romaines ce qui facilite la compréhension et permet de nouer les rapports entre le pouvoir et les Romains.

118 Vita Patr Iur., 92-93. 119 Isaïa 2010, p. 24.

120 Sidon. Epist., IV, 22, 1-3 ; VIII, 3, 3-4 ; Ennod. Epiph., 85. C’est à lui que l’on s’adresse si on souhaite obtenir quelque chose du roi.

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Leo121 et Laconius122 pour les Wisigoths et les Burgondes sont des cas bien documentés et connus qui apportent un éclaircissement sur ces conseillers. Ce sont de administrateurs aux compétences élargies qui ont comme le souligne Sidoine pour Leo « connaissances de toutes les affaires du royaume » 123

soulignant la confiance que les souverains leur témoignent. En plus de la confiance de leurs souverains, ces hommes doivent posséder toutes les compétences nécessaires pour aider le roi à administrer son royaume. Il faut des personnes hautement qualifiées et fiables. Aridius124 par exemple pour Gondebaud est aussi à l’aise dans le maniement des armées que dans les négociations avec Clovis ce qui témoigne de sa polyvalence. Gondebaud lui a fait confiance et c’est grâce à des hommes comme lui qu’il peut reprendre son royaume face à son frère Godégisèle.

Nombreux sont aussi les conseillers plus ou moins officiels à être des hommes d’Église et plus précisément des évêques : Rémi de Reims pour Clovis125, Avit de Vienne pour Gondebaud126. Leurs rôles sont moins précis que pour les consiliarii laïcs mais les rois se confient à eux et se laissent conseiller par ces personnes qui possèdent érudition et réseau d’influence. Cela témoigne de l’importance prise par l’Eglise et ses représentants dans les affaires de l’État et comment les rois barbares ont besoin de ce soutien ecclésiastique surtout d’un point de vue politique.

Enfin tous les ambassadeurs peuvent être incorporés parmi ces conseillers politiques. Claudius pour les Francs, Orens127 pour les Wisigoths ou Aridius128 pour

121 Sidon. Epist., IV, 22, 1-3 ; VIII, 3, 3-4 ; Ennod. Epiph, 85. 122 Ennod. Epiph., 168-170.

123 Sidon. Epist., VIII, 3, 3-4. 124 Greg. Tur. Franc., II, 32. 125 Heuclin 1998, p. 40.

126 Alc. Avit. Epist., 1-6 ; 21-23 ; 30 ; 44. 127 Vita Orien., 1.

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les Burgondes, ces hommes sont des relais du pouvoir auprès des autres souverains et savent négocier. Ces compétences de négociation et leurs connaissances des pratiques à la fois romaines et barbares ne peuvent qu’encourager les rois à recourir à des Romains.

Avec la fin de l'empire romain d'Occident, la disparition de certains personnages ou titres est définitive. Le concile des Gaules à Arles ne se tient plus depuis que ces provinces n’appartiennent plus à l’Empire et sont séparées par les limites des royaumes. Ces postes ou ces événements ont-ils réellement disparu ? Rien n'est moins sûr. Ils ont simplement changé d’échelle.

L'exemple du vicarius septem provinciarum est parlant, ce personnage a effectivement disparu mais à sa place apparaît le comes super septem civitates dans le royaume wisigoth. Il est passé de provinces à des villes et ce changement d'échelle est primordial pour appréhender l'évolution de la société romaine au cours du Vème siècle.

L'administration provinciale comporte plusieurs subdivisions : la préfecture du prétoire, le diocèse puis les provinces. À leur tête se trouvent respectivement le préfet du prétoire des Gaules, les vicaires et les gouverneurs ou praesides. La création des royaumes a simplement abrogé la strate la plus élevée : la préfecture du prétoire. Pourquoi alors n’existe-t-il aucune trace de ces mêmes titulatures ? Le terme vicarius signifie en latin « le remplaçant », sous-entendu, le remplaçant du préfet du prétoire : celui qui le représente. S'il n'y a plus de préfet le titre n'a plus de sens et c'est pourquoi les souverains l'ont remplacé. Le titre romain de comes a conservé un sens simple pour les souverains, un sens qu'ils comprenaient. De plus, les souverains ont besoin de personnels alliant capacité administrative et capacité à diriger des troupes sur les territoires ce qui se rapproche plus du comes que du vicaire. Le titre est donc passé de vicarius septem provinciarum au dux septem civitates. Ceci, loin d’être une fantaisie ou une méconnaissance des

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barbares, est plutôt la preuve du pragmatisme de rois comme Euric qui adaptent les besoins de leur royaume en réutilisant un vocabulaire et des institutions latines au service de leur politique.

Les administrations des royaumes s’exercent sur des espaces plus petits, aux titulatures plus floues et moins présentes, ce qui tranche avec l’administration très hiérarchisée de l'empire romain tardo-antique. Cela complique la tâche de référencement d'autant que les royaumes ont adopté des politiques différentes comme par exemple en matière judiciaire129.

L'empire d'Occident fait, à la mort de Théodose en 395, environ 2,5 millions de kilomètres carrés ; le royaume franc, après avoir conquis le royaume burgonde en 532 fera 630 000 kilomètres carrés130 d’après les estimations de ces territoires, ce qui représente sa taille maximale en Gaule. À bien comparer les chiffres, on se rend compte que les royaumes sont petits par rapport à l'Empire d'Occident. Cette réduction implique nécessairement des besoins moindres dans l'administration générale des territoires.

Les besoins pour les rois barbares de Romains aux compétences diverses et variées sont en revanche certains. Les rois ne peuvent gouverner avec uniquement des barbares. Trop peu nombreux et ne possédant pas les compétences requises, ce qui est normal pour des peuples guerriers, les barbares ne peuvent suffire. Même si Mathisen rappelle que des barbares ont démontré des capacités intellectuelles capables de rivaliser avec les meilleurs Romains, les sources n’en laissent entrevoir qu’une infime minorité et donc certainement pas assez pour administrer un royaume131. Tous les royaumes ont leurs conseillers, et ce, continuellement de 470 à 534. Si les compétences juridiques, militaires et

129 Sans revenir sur les parties qui y sont consacrées, les témoignages de tribunaux mixtes chez les Burgondes : Kaiser 2003, p. 85 et du iudex wisigoth : Udina Martorell 1971, p. 150 montrent bien les différences d’organisation judiciaire selon les royaumes.

130 Taagepera 1979, p. 24. 131 Mathisen 1997, p. 147.

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administratives sont recherchées, ce sont surtout les activités de conseils et les compétences politiques qui ont la préférence des rois barbares, évêques, ambassadeurs et consiliarii ne représentent pas moins d’un tiers des collaborateurs connus.

Ces collaborateurs partagent cependant presque tous un point commun. Ce sont des nobles de Gaule et d’Espagne. Ce critère relève d’une stratégie mise en place par les rois, à la fois pour remplir les besoins des nouveaux royaumes mais surtout pour permettre de préserver ce qui pouvait l’être de l’ancien monde romain en s’assurant la collaboration des élites.

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