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A) Les contextes

3) Les Burgondes

Les Burgondes ont très tôt des relations avec les Romains. Gondicaire et Goar roi des Alains soutiennent, dès 411, Jovinus un usurpateur14. En 413, c'est de l'empereur Constance III qu'ils obtiennent un foedus les établissant au bord du Rhin15. C'est avec Aetius qu'ils signent leur deuxième foedus16. Les relations entre Rome et ce peuple, bien que marquées par quelques conflits, sont bonnes.

Le premier souverain qui attire l’attention est Gondioc puis son frère Chilpéric II. Ils sont tous deux les fils de Gondicaire, le dernier roi burgonde, mort contre les Huns. Ces deux rois gouvernent ensemble à partir des années 440, l'un se trouvant à Lyon, l'autre à Genève sur un modèle de tanistry17. C'est sous leurs règnes que le royaume burgonde s'étend de sa petite zone initiale jusqu'à sa taille quasi définitive. Une raison de cet agrandissement est que les Burgondes sont en bons termes avec les sénateurs gaulois de la province de Lyonnaise avec qui ils négocient un partage des terres18. C'est ainsi qu'en 457 Gondioc reçoit les sénateurs gaulois de Lyonnaise et négocie avec eux l’ouverture de leurs villes.

14 Olymp. Hist., 17 15 Escher 2006, pp. 23-25.

16 Chron. Gall. chron. I, pp. 629-666. 17 Favrod 2002, p. 22.

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Selon Favrod, Lyon, la Tarentaise, la Valais, Besançon, Chalon-sur-Saone, Autun et Grenoble ouvrent leurs portes aux Burgondes19. Ces barbares ne font pas peur et deviennent ainsi les gardiens des populations romaines sur place. Cette opération sert les plans de Ricimer20 puisque ayant des liens de parenté avec la royauté burgonde ce qui se concrétise en 467 par un mariage avec la sœur de Gondioc21.

Ricimer permet ainsi aux sénateurs gaulois de se rebeller, ce qui affaiblit Majorien, l'empereur qu'il a pourtant aidé à monter sur le trône. Beau-frère de Gondioc, cet accord est gagnant pour lui : il fait taire la rébellion en Gaule en laissant les sénateurs aller vers les Burgondes et il ne permet pas à Majorien de devenir trop puissant. Même si Aegidius et Majorien reprennent la Lyonnaise22, les troupes de Gondioc doivent être ménagées par Majorien qui avait besoin d'eux pour sa campagne contre les Vandales23.

Ces événements, aussi simplifiés qu'ils puissent l'être ici, montrent clairement la volonté de sénateurs gaulois de vivre sous l'obédience des Burgondes, non pas pour les Burgondes eux-mêmes mais parce qu'ils désapprouvent la politique de Ravenne. Majorien24 est même perçu par les notables comme le responsable de la déposition de l’empereur légitime d’origine gauloise Avitus. Les Burgondes sont vus comme des voisins possibles et des gens capables de protéger les terres de l'aristocratie25.

19 Favrod 2002, p.67. Sur ces points, les dates de contrôle des villes ne sont pas claires mais ce qui apparait certain est la concertation entre Burgondes et populations locales : Escher 2006, p. 79.

20 Mar. Avent. Chron. II, 456. Marius d’Avenches insistent même sur le fait que le partage de ces nouvelles terres se fait avec les « sénateurs gaulois ».

21 Wolfram 1979, p. 380. 22 Escher 2006, p. 84.

23 Escher 2006, p. 84. La confirmation des terres conquises par les Burgondes par l’empereur Majorien lui-même montre l’envie de ne pas négliger ce peuple au combien précieux pour les opérations militaires contre les Vandales. L’idée d’une faiblesse impériale est à exclure au vu de la facilité pour Aegidius de reprendre Lyon.

24 Favrod 2002, p. 61. 25 Maier 2005, p. 92.

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On observe ici deux « partis politiques » qui secouent la Gaule et le plus visible ici est celui qui souhaite l'installation des barbares. Ces sénateurs et aristocrates dissidents sont la clé du succès de l'implantation des Burgondes. Les chroniqueurs des Vème et VIème siècles insistent bien sur ce fait26. Si les notables de Gaule ont choisi les Burgondes c'est parce qu'ils sont les plus proches et sans doute ceux en qui ils avaient le plus confiance. Gondioc et Hilpéric Ier sont les rois qui ont permis ce rapprochement. Hilpéric Ier apparaît aussi dans le récit hagiographique de Lupicin27 où il est dépeint comme un souverain s’entourant de nobles Romains et ouvert à la discussion avec les habitants.

Les fils de Gondioc se partagent le royaume. Gondebaud et Gondégisèle se battent vers 50028 pour hériter du trône. Gondebaud est également le neveu de Ricimer et c'est pour cette raison qu'il est élevé à Rome et qu’il y apprend la politique. Gondebaud est nommé magister militum per Galliam et devient même patrice à la mort de Ricimer en 47229. Il possède de Ravenne un pouvoir sur les armées de l'Occident. Après Chilpéric et Gondioc, il est le troisième roi burgonde à posséder ce titre30.

Les souverains burgondes sont restés très attachés aux pratiques romaines du pouvoir. Gondebaud en est l'exemple même puisqu'il conserve ses titres et les met en valeur. Son pouvoir sur les terres, il le tient de l'autorité impériale et même si son but premier est la sauvegarde de son peuple, il entend bien rester fidèle aux obligations du foedus31.

26 Greg. Tur. Franc., II, 32. 27 Vita Patr Iur., 92-93. 28 Greg. Tur. Franc., II, 32. 29 Kaiser 2003, p. 81. 30 Kaiser 2003, p. 81. 31 Kaiser 2003, p. 81.

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Les Burgondes attachent énormément d'importance à ces titres issus de l'aristocratie impériale et ils n'oublient pas de le rappeler. Ils se voient comme des serviteurs des empereurs, tout comme le montre le fils de Gondebaud, Sigismond, lorsqu'il écrit à l'empereur d'Orient Anastase pour lui signaler qu'il reste son serviteur32. Ce fait est aussi une opération de séduction. En respectant la tradition romaine et la hiérarchie sociale de l'antiquité tardive, les souverains burgondes donnent une image de tolérance et de protecteur des Romains car ils ne sont que des dirigeants subalternes : le maître reste l'empereur33. Ceci implique une ambiguïté dans les rapports entre Romains et souverains burgondes. Même si les Romains comprennent bien que le maître sur place est un barbare, c'est un barbare qui maintient l'illusion de l'Empire et c'est rassurant pour les populations romaines34.

Pour appuyer cette remarque, il est intéressant d'observer que les aristocrates romains semblent nombreux à exercer leurs compétences pour le compte des rois barbares. Peu de noms transparaissent des sources, seulement une dizaine, mais il est vrai aussi que le territoire burgonde est plus petit que le territoire des Wisigoths et que de ce fait, la concentration de Romains au service des rois burgondes est supérieure à celle de ces derniers. À territoire égal, les Romains sont plus nombreux dans l'entourage des souverains burgondes que chez les souverains wisigoths. L’influence de l'aristocratie romaine se remarque car des serviteurs viennent de grandes familles comme les Syagrii. Les Burgondes ont utilisé les compétences des Romains pour administrer correctement leur royaume et les aristocrates romains étaient trop contents de retrouver du pouvoir politique.

32 Alc. Avit. Epist., 94 ; Favrod 1997, p. 419.

33 Favrod 2002, p. 147. Il convient de noter comment les rois burgondes ont toujours maintenu leurs titres impériaux pour s’en convaincre.

34 Kaiser 2003, p. 85. Cette illusion maintenue par les titres des rois burgondes les transforme en administrateurs romains. Clovis lui-même emploie cette stratégie en Gaule du Nord en tant que gouverneur de province.

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En respectant la hiérarchie romaine, les rois burgondes respectent les traditions politiques du monde romain et permettent de conserver les privilèges de l'aristocratie romaine.

La cour burgonde est visible vers 500 grâce à la loi Gombette ou lex romana Burgundionum. Elle accueille de nombreux postes dont malheureusement l’identité des différents occupants est inconnue. Dans l’ordre, l’administration burgonde se compose des optimates, consiliarii domestici et maiores domus nostrae, cancellarii etiam, Burgundiones quoque et Romani civitatu[…] pagorum comites vel iudices deputati, omnes etiam et militantes35. Se rajoutent à ces personnages les notarii, les pueri regis oeuvrant tous les deux œuvrant dans le domaine judiciaire pour les sentences et le recouvrement des amendes36 et enfin le spatarius sans doute chargé de la protection du roi37. Cette liste permet de saisir le fonctionnement de la cour. Les fonctions judiciaires et administratives sont bien représentées tout comme la diplomatie. Enfin les conseillers et grands du royaume comme les optimates sont bien sûr là pour assurer les conseils politiques.

Il y a même une certaine amitié avec les conseillers et en cela le cas de Stéphane est intéressant. Lors du concile de Lyon en 518, Stéphane, ministre des finances de Sigismond est excommunié38 car il s'est marié avec la sœur de sa femme défunte ce qui était considéré comme un inceste39. Le roi, furieux, exige la réintégration de son ministre mais les évêques refusent et excommunient le roi40.

35 L. Burg, Prima constitutio 5 ; Mathisen 1993, pp. 128-129 ; Kaiser 2003, p. 85. 36 L. Burg, 49, 4 ; Kaiser 2003, p. 86.

37 L. Burg, 52, 2 ; Kaiser 2003, p. 86. 38 Favrod 2002, pp. 106-108. 39 Kaiser 2003, p. 85. 40 Vita Apo., 2.

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L’excommunication du roi finit par être levée mais il doit se soumettre à la décision du concile41. Cet exemple montre la puissance de l'épiscopat mais aussi la proximité du roi et de ses serviteurs romains42. Pour mieux saisir encore l'intégration des Burgondes à la société romaine, l'attrait qu'ils ont pour celle-ci et la façon dont Romains et barbares travaillent ensemble, il est nécessaire de parler du grand conseiller de Gondebaud et de Sigismond, un évêque issu d'une noble famille : Avit de Vienne.

Avit est une figure incontournable des royautés de Gondebaud et Sigismond. Né vers 450 au sein du royaume burgonde, il reprend le poste de son père, évêque de Vienne en 49043. Il est à noter qu'il est aussi apparenté avec Avitus, l'éphémère empereur de 455 à 45644. Avit est le véritable maître de la chancellerie diplomatique des Burgondes alors que ces derniers sont laïcs dans les autres royaumes45. Les relations qu'il entretient avec les deux rois burgondes sont des relations privilégiées46 qui vont au-delà de la fonction qu’il occupe. Il s’agit là d’une relation de confiance, dans la proximité directe des rois. La longue correspondance de saint Avit de Vienne a été conservée et nombreuses sont les lettres adressées à l'un des rois47. La plupart ont pour sujet des problèmes de religiosité ce qui a fait passer Avit pour une lumière théologique auprès des deux souverains. Plus que cela il y a de nombreux aspects concrets dans ces lettres.

En premier lieu, ces lettres montrent l'action de l'évêque pour la préservation du orthodoxie face à l'église arienne, l'église des Burgondes. Avit essaie au maximum de convaincre Gondebaud et Sigismond de se convertir : il s'agit de faire

41 Vita Apo., 2. 42 Kaiser 2003, p. 85. 43 Alc. Avit. Carm., VI, 19. 44 Alc. Avit. Epist., 52. 45 Brühl 1977, p. 515.

46 Alc. Avit. Epist., 1-6 ; 21-23 ; 30 ; 44. 47 Alc. Avit. Epist., 1-6 ; 21-23 ; 30 ; 44.

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un geste envers les populations romaines du royaume. Gondebaud ne renonce pas à l'église arienne car il a trop peur des réactions de son peuple mais Sigismond se convertit et devient le premier roi orthodoxe du royaume. Ce point montre la puissance des arguments d’Avit et son influence sur le fils de Gondebaud.

Le second aspect qu'il faut observer dans ses lettres est que même si Avit ne conseille pas Gondebaud ou Sigismond dans sa politique de gestion du royaume, l'évêque de Vienne est consulté sur de nombreux sujets48 et pas seulement sur les problèmes religieux. Avit est un conseiller de Gondebaud et Sigismond et son impact dans la politique du royaume n'est pas que théologique mais bel et bien politique.

Avit n'est pas le seul mais il est un cas attesté de cette aide aux souverains barbares : une aide discontinue mais malgré tout fréquente. Contrairement aux Wisigoths, l'exemple d'Avit permet de voir que les hommes d'Eglise au service des rois sont réels ou possibles auprès des rois burgondes. Ce peuple et ses souverains sont ceux qui ont eu souvent recours à des évêques pour les aider à les servir : Patiens de Lyon en est un autre exemple. Ceci démontre surtout une envie de ménager les orthodoxes du royaume et de diriger le royaume en bonne intelligence avec les habitants. Cette attitude n’est pas une constante dans les relations entre Romains et barbares. A ce titre, les Burgondes représentent un modèle diamétralement opposé aux Vandales et, dans une moindre mesure, aux Wisigoths.

Les Burgondes sont ce qui pourrait être qualifié « d'anti-wisigoths » 49. Ceci est exagéré mais il faut bien saisir que contrairement au royaume de Toulouse où les deux peuples vivent bien séparés, les souverains burgondes ont tenté de faire

48 Pietri 2009, pp. 311-331. 49 Kaiser 2003, p. 82.

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naître une symbiose entre les deux peuples, que ce soit par un attachement envers Rome et son héritage ou par opportunisme politique, les Burgondes ont réellement pris en compte toutes les énergies disponibles pour réaliser un état, petit mais bien organisé avec une identité culturelle bien spécifique.

Le dernier royaume, dont l’étude est indispensable est le royaume franc. Ce dernier n’a laissé que peu de sources sur son fonctionnement mais certains points permettent d’ores et déjà d’observer des phénomènes pertinents pour cette étude.