• Aucun résultat trouvé

B) La recherche de compétences

1) Les compétences martiales

Rome utilise, au moins depuis César, des troupes d’origines germaniques1. Le IVème siècle voit une implication des barbares dans l’armée toujours plus grande2,

1 Caes. Gall., LVII, 80.

96

si bien que très vite, une grande partie de l’armée au Vème siècle est composée de « fédérés » barbares, se battant pour Rome. Les leaders germaniques, véritables généraux en chef, obtiennent même beaucoup d’influence auprès des empereurs. Peuvent être cités dans ce rôle Arbogast sous Gratien et Valentinien II ou encore Stilicon sous Honorius. Rome perdant de plus en plus de force et d’influence, les troupes germaniques se retrouvent assez vite sans aucun frein et peuvent commencer leurs guerres pour l’expansion. L’absence de volonté politique forte à la mort d’Aetius autorise les barbares à agir à leur guise, Rome devient tributaire de ces troupes et ne peut compter que sur la parole des rois.

Est-il possible d’évaluer le nombre de guerriers barbares ainsi que leur organisation ? L’historiographie moderne, qui ne peut qu’émettre des estimations, penche aujourd’hui vers un nombre relativement faible de soldats barbares à leurs arrivées respectives : 20 000 à 30 000 soldats au grand maximum pour les Wisigoths au début du Vème siècle3 et encore moins pour les Burgondes massacrés par Attila. D’ailleurs aux origines, les Goths menés par Alaric sont plus des bandes de guerriers menés par un chef de guerre tel des condottieri qu’un peuple uni4. Les Wisigoths et Burgondes disposent de l’hospitalité militaire5 ce qui implique que les barbares possèdent des terres sur les possessions impériales6 ou bénéficient d’un reversement de l’annone à leur endroit7. Ceci implique que les barbares sont rassemblés en troupes mais non en un seul point géographique précis. Il s’agit là d’une armée facilement mobilisable mais ne vivant pas dans l’équivalent d’un camp ou d’une caserne mais plutôt au milieu des Romains. Ces barbares possèdent un équipement propre se rapprochant de l’équipement

l’armée tendent à s’estomper. 3 Rosen 2003, p. 99-101 ; Pohl 2005, p. 31. 4 Goffart 1980, p. 7.

5 Goffart 1980, p. 50 ; Périn 1993, p. 411-423. 6 Goffart 1980, p. 123.

97

romain de l’époque, lui-même influencé par les Celtes comme la célèbre spatha. Il s’agit d’un glaive long à mi-chemin entre une épée et un glaive. Certains équipements « ethniques » restent typiques comme la célèbre francisque, célèbre hache de lancer chez les Francs. Ce qui apparaît clair aussi, c’est le déclin de l’infanterie lourde au profit d’une infanterie plus légère et mobile face à l’essor de la cavalerie8.

Au départ, les troupes barbares sont des rassemblements d’individus autour d’un chef mais les armées semblent se stabiliser autour de la personne royale qui en devient le commandant en chef mais chaque royaume possède ses propres impératifs et stratégies.

Sous le règne d’Euric, l’obligation de servir militairement les rois wisigoths fut étendue à la population romaine9 suivant les anciens modes de recrutement de l’armée romaine10. Iaroslav Lebedynski voit en cela l’obligation des Wisigoths d’avoir des troupes renouvelées puisqu’eux-mêmes sont « loin de leur lieu d’origine ». Sans discuter cet argument, il est évident que l’armée du roi wisigoth est, a minima depuis Euric, composée de contingents romains qui possèdent leur propre commandement et sont donc des auxiliaires aux troupes d’origine germanique. Iaroslav Lebedynski confirme ce qui a été vu auparavant. Trop peu nombreux et ayant subi déjà de nombreuses batailles, les Wisigoths ne peuvent plus se permettre de ne compter que sur leurs propres hommes. De plus, un roi aussi expansionniste qu’Euric a besoin de troupes pour consolider son royaume. Se battre sur deux fronts, en Espagne et en Gaule, nécessite des hommes et sans doute n’est-il possible pour lui que de passer par un recrutement massif de Romains.

8 Ferrill 1986, pp. 43-190.

9 Lebedynsky 2001, p. 88. Les troupes romaines sont alors des troupes auxiliaires de l’armée wisigothe. 10 Maier 2005, p. 230.

98

Apollinaris et son contingent auvergnat dont il est le commandant durant la bataille de Vouillé11 sont un exemple parlant. Calminius12 permet même de remonter cette aide militaire au règne d’Euric durant le siège de Clermont. La pratique pourrait même être plus ancienne avec les cas d’Arborius et Vincentius, ce dernier étant même magister militum. Il succède à Arborius13 lui-même succédant à Nepotianus envoyé par Rome. Sans doute conserve-t-il les troupes transmises par Rome, des troupes donc romaines. Enfin le cas de Namatius dévoile une autre affectation de ses militaires : la protection navale des littoraux14.

Ce que l’on peut d’ores et déjà déduire est que chez les Wisigoths la distinction entre contingents romains et barbares existe bel et bien. Les deux armées ne se mélangent pas, les Romains devenant des troupes auxiliaires des Goths d’une certaine manière. Le cas Calminius peut même renseigner sur le fait que le service militaire n’est pas souhaité mais forcé ce que l’auteur lyonnais évoque dans son échange15. Aucune autre preuve ne permet de l’affirmer mais les difficultés chroniques de recrutement dans l’armée romaine16 au Bas Empire rendent la thèse d’un service militaire subi plus que plausible.

Chiffrer ces contingents romains dans l’armée wisigothique est rigoureusement impossible. En effet, aucun texte ne détaille son fonctionnement. En revanche puisqu’il s’agit de fantassins d’après Grégoire de Tours17, ces bataillons doivent être composés de Romains non nobles, issus des humiliores. Voici donc comment une collaboration massive peut exister, par la force ou plutôt la contrainte. Ces contingents sont nécessaires à la politique expansionniste d’Euric et il n’hésite pas

11 Greg. Tur. Franc., I, 104. 12 Sidon. Epist., V, 12.

13 Arborius étant à la base, le remplaçant de Nepotianus, légat de l’empereur auprès d’Euric. Hyd. Chron. II., 461.

14 Sidon. Epist., VIII, 6. 15 Sidon. Epist., V, 12. 16 Carrie 2004, p. 372-378. 17 Greg. Tur. Franc., I, 104.

99

à les employer seuls comme les troupes du général Vincentius en Italie où il est défait18 par les généraux germains Alla et Sindilla. Euric et plus tard Alaric II ne peuvent se permettre de perdre toujours plus de Wisigoths avec leurs ressources limitées en hommes. Il convient de se souvenir que quelques 25 000 Wisigoths sont déployés à la bataille des Champs catalauniques19 et l’armée subit de lourdes pertes dont son roi Théodoric Ier. Euric, fils de ce dernier connaît les conséquences de cette bataille très dure pour son peuple. L’idée de le ménager et de recourir à des Romains pour des opérations militaires semble pertinente d’autant plus que cela permet de confier des honneurs à des Romains comme Vincentius ou Apollinaris, fils de Sidoine Apollinaire.

Si les Wisigoths, concernant l’aide militaire, ont des pratiques claires, il n’en est pas de même pour les Burgondes. Lorsque l’alliance entre Francs et Burgondes se réalise contre les Wisigoths en 507, les Burgondes possèdent une armée « romaine » 20. Cette armée romaine n’est mentionnée qu’une seule fois. Il est donc assez délicat de dresser la même analogie que pour le peuple wisigoth. Il n’existe aucun service militaire connu institutionnalisé chez les Burgondes ou les Francs. Malgré tout il est possible de retrouver trace d’un Romain ayant eu un commandement militaire chez les Burgondes en la personne d’Aridius, dirigeant les troupes burgondes loyales à Gondebaud lors de la guerre fratricide entre les deux frères rois burgondes Gondebaud et Godégisèle21. Il s’agit du seul cas connu mais il permet de conjecturer qu’une armée composée de Burgondes et de Romains est plausible ce qui conforterait les propos de Grégoire de Tours face à cette armée romaine. Il est de plus certain que la population burgonde était très

18 Chron. Gall. chron. I, pp. 652-655.

19 Heather 1996, p. 176 ; Halsall 2008, p. 253. 20 Bardy 1947, p. 246.

100

réduite depuis le désastre de 43622, une armée importante devait nécessiter de nouvelles recrues importantes ce que les Burgondes ne peuvent assumer seuls.

Concernant les Francs, les collaborations militaires avec les Romains ne semblent pas exister. La raison en est toute simple, l’armée franque n’a pas besoin de troupes d’origine romaine. Les Romains étant exclus du métier des armes chez les Francs sous Clovis jusqu’aux règnes de ses fils23, il est normal de ne pas en retrouver. Cependant, il s’agit de nuancer car d’après les travaux de Périn24, les sépultures mérovingiennes du Vème siècle montrent que parmi les populations modestes des provinces du Nord-est de la Gaule, les Francs et les Romains avaient déjà en partie commencé leur fusion ce qui peut expliquer le fait que les Francs n’aient pas besoin de recourir à un service militaire spécifique pour les Romains. Les Francs, présents depuis presque un siècle, possèdent assez d’habitants et sont assez mélangés aux paysans locaux pour avoir des troupes en quantités suffisantes. Ainsi, parmi les soldats, il est impossible de connaitre véritablement l’origine de tel ou tel combattant. Cependant, les mélanges n’existent pas entre les classes dirigeantes franques et romaines. Ainsi, l’étude des sources ne révèle pas cet enrôlement d’aristocrate romain dans l’armée franque. Un seul individu avec un patronyme romain parmi les Francs nommé Aurelianus est un dux et peut donc potentiellement être du métier des armes mais le personnage est cité dans une source tardive25 ce qui peut porter à caution concernant la véracité de la fonction.

22 Escher 2006, p. 68. Il est important de noter que Wisigoths et Burgondes sont loin de leurs anciens territoires et qu’ils ne peuvent plus enrôler des individus uniquement issus de leur peuple s’ils veulent un armée assez puissante pour défendre de si grands territoires.

23 Heuclin 2014, p. 182.

24 Périn 1993, pp. 86-87. Ce fait montre que parmi les populations composant la majorité des soldats francs, il est difficile de distinguer les personnes Romaines des personnes barbares. En effet, les mélanges entre la paysannerie franque et romaine du Nord de la Gaule, observé par l’archéologie et notamment les sépultures, ne laissent que peu de doutes sur cette fusion des populations modestes de ces deux groupes.

101

La présence des Romains ne semble pas improbable même si dans les faits aucun aristocrate romain dans l’armée franque n’est attesté sous les règnes des petits enfants de Clovis26. Si les populations se mélangent rapidement chez les petites gens, cela n’est pas le cas dans la haute aristocratie ce qui pourrait expliquer l’apparition tardive de noms romains dans l’armée franque du Haut Moyen Âge, seuls ces derniers méritant d’être nommés pour les auteurs des sources. Enfin pour attester cette présence de troupes romaines dans l’armée franque, la bataille de Soissons amenant l’effondrement du « royaume » du même nom voit l’armée romaine de Syagrius être incorporée dans l’armée royale27.

Les faits tendent à montrer que ce n’est pas vers les carrières militaires que les Romains se tournent. Si les Wisigoths ont un service militaire organisé pour les Romains28, les sources concernant les Burgondes sont trop vagues pour être catégorique. Le cas des Francs est encore plus simple puisque Romains et Francs ne combattent pas ensemble, en tout cas pas sans qu’ils puissent y être différenciés. Les sources indiquent clairement que ce n’est pas vers ces rôles que se destinent la plupart des Romains dans les royaumes barbares. Ils se dirigent plutôt vers des fonctions qu’ils gèrent mieux et pour lesquelles les barbares ont besoin d’eux : la gestion des affaires civiles.

Les barbares, qu’ils soient Wisigoths, Burgondes ou Francs sont avant tout des guerriers, leurs rois, des chefs de guerre. Ces derniers doivent être de bons combattants, être capables de gérer leurs troupes et de se maintenir en place. Administrer un royaume pouvant contenir plusieurs anciennes provinces romaines avec des populations autochtones habituées à une organisation administrative efficace ne peut être négligé et les rois n’ont pas toutes les

26 Lebedynsky 2001, p. 99. 27 Lebedynsky 2001, p. 96. 28 Lebedynsky 2001, p. 88.

102

compétences pour accomplir ces missions. Pour réussir à administrer leurs si jeunes royaumes et obtenir le soutien des populations locales, il leur faut des personnels formés à cela et des personnes influentes dont le réseau peut aider à faciliter les relations entre Romains et barbares. Ces compétences administratives et de gestion sont en revanche bien maîtrisées par les Romains. Les rapprochements n’en deviennent que plus évidents.

Trois types de compétences sont recherchées par les souverains barbares surtout à partir de la fin du siècle. Ces trois grandes compétences sont : les compétences juridiques, de gestion et celles de conseils.