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La dernière tentative de reprise en main impériale

B) De l’installation contrôlée des peuples (418-461)

3) La dernière tentative de reprise en main impériale

La mort d’Aetius, suivie de celle de Valentinien III, provoque immédiatement une crise dans l’Empire : une crise de succession mais aussi de leadership. Succède à Valentinien Pétrone Maxime, sénateur et patrice77. Pour calmer les Gaules, il nomme Eparchius Avitus à la tête de l’armée. Impopulaire et peu actif, son règne de deux mois est écourté par le sac de Rome par Genséric en 455, le deuxième de ce siècle78. Le peuple le tient pour responsable et il est violemment destitué. De cette nouvelle crise, la solution semble venir de Gaule puisque c’est Avitus, chef des armées romaines, soutenu par les aristocrates gaulois et les Wisigoths qui est couronné empereur79.

Il convient de s’intéresser plus en amont sur la figure de ce bref empereur, cas unique d’empereur issu de l’aristocratie gauloise. Sa carrière militaire déjà sous Aetius est reconnue, ses compétences civiles le sont tout autant80. Il porte avec lui

77 PLRE II, Fl. Iulius Valerius Maiorianus. 78 PLRE II, Fl. Iulius Valerius Maiorianus. 79 Sidon. Carm., VII, 220-226.

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les espoirs de toute la Gaule de retrouver une place de premier ordre au sein de l’Empire. Comme vu plus haut, le sentiment d’abandon de la Gaule n’a pas été masqué par la politique d’Aetius et au Vème siècle et rares sont les Gaulois qui atteignent les fonctions les plus hautes de l’administration centrale81. Avitus marque donc un retour des Gaulois sur le devant de la scène. Un autre aspect intéressant de cet empereur est qu’il est soutenu par Théodoric II, le roi de Toulouse, qui se présente comme son bras armé. Son amitié avec les Wisigoths date de sa jeunesse où il fut otage chez eux puis précepteur du futur Théodoric II. C’est lui qui convainc Théodoric Ier de rejoindre la coalition d’Aetius et qui se charge de faire confirmer le foedus de 41882 avec les Wisigoths. Cet empereur est la preuve éclatante que les Wisigoths, peuple puissant, sont capables d’aider un Romain à accéder au trône impérial. L’utilisation des hommes de Théodoric II dans la reconquête de l’Espagne devient de plus en plus forte et cela est dû à leur amitié avec le noble arverne. Son règne est malgré tout de courte durée, impopulaire en Italie car Gaulois, il est destitué par Majorien, Aegidius et Ricimer en 456 et capturé à Placentia83. Il ne reçoit le soutien de son allié Theodoric II, envoyé en Espagne sur son ordre pour reprendre la péninsule ibérique au nom de l’Empire. Il meurt peu de temps après, enterrant avec lui les espoirs des Gaulois de jouer un rôle dans le destin de l’Empire. Majorien, Aegidius et Ricimer deviennent les hommes forts de l’état romain et ceux chargés d’assurer la survie de l’Empire et la prédominance italienne.

Ce triumvirat a une importance capitale pour la fin du Vème siècle. Leur alliance, qui pousse Majorien au pouvoir suprême, se détériore. Ces trois hommes sont amis et ont tous servi sous le commandement d’Aetius et il importe de les présenter. Le plus âgé, Ricimer, est un barbare fils d’un roi suève et d’une princesse

81 Mathisen 1992, p. 230. 82 Sidon. Carm., VII.

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wisigothe, fille de Wallia84. Ayant fait ses armes chez Aetius très jeune, il se lie d’amitié avec le premier lieutenant d’Aetius, le jeune Majorien85. Devenu comes puis magister militum sous Avitus, il repousse les Vandales de Sicile86 et participe au coup d’état contre Avitus. Un autre conjuré, Aegidius, est Gaulois, originaire de Lyon et membre d’une des familles les plus illustres de Gaule, les Syagrii87. Lui aussi sert sous le commandement d’Aetius dans ses dernières années en tant que magister militum en Gaule où il rencontre Majorien avec qui il se lie d’amitié88. Enfin, Majorien est originaire de Pannonie89 et sa vie est surtout connue grâce au panégyrique écrit par Sidoine Apollinaire. Militaire sous le commandement d’Aetius90, il sympathise avec Ricimer et Aegidius grâce à qui il devient empereur.

Avitus destitué et mort en 457, une grande partie de la Gaule refuse l’autorité du nouvel empereur surtout dans la ville de Lyon, foyer de résistance91. En 458, Lyon se refuse à l’empereur et s’offre aux Burgondes du roi Gondioc92. L’empereur ne peut tolérer cette rébellion et marche sur la Gaule avec une puissante armée dirigée par lui-même avec pour second Aegidius et Nepotianus93. Les Wisigoths de Théodoric II profitent du climat de rébellion pour étendre leur territoire et menacent encore une fois la ville d’Arles. Majorien, Aegidius et leurs troupes les affrontent, ce qui signe une grande défaite pour Théodoric II94. Le roi est alors obligé de restituer une grande partie de ses conquêtes espagnoles. Les Wisigoths vaincus, Majorien remonte la vallée du Rhône et reprend la ville de Lyon (grâce

84 Sidon. Carm., II, 361-362. 85 Sidon. Carm., V, 266-268. 86 Hyd. Chron. II., 456.

87 Prisc., 50 ; MacGeorge 2003, p. 99. 88 MacGeorge 2003, p. 100.

89 Sidon. Carm., V, 103. 90 Sidon. Carm., V, 198-227.

91 CIL, XIII, 2363. Dans cette inscription, on ne reconnaît que le nom de l’empereur d’Orient comme consul alors que Majorien est effectivement empereur à la même date.

92 Escher 2006, p. 79. 93 Sidon. Carm., V, 474-477.

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notamment aux fédérés Francs saliens d’Aegidius dirigée par leur roi Childeric95) faisant preuve d’une grande fermeté avec les villes mais plus de délicatesse avec l’aristocratie gauloise96. La Gaule est reconquise et l’heure est à la réconciliation, tout comme le montre le panégyrique de l’empereur réalisé par Sidoine Apollinaire97. Il consolide son pouvoir en nommant Aegidius, homme de confiance, magister militum per Galliam98 qui s’installe dans le nord de la Gaule. Il envoie en même temps Nepotianus99 à la cour de Toulouse, officiellement pour aider les Wisigoths dans leurs dernières reconquêtes de l’Espagne.

Nepotianus accompagne donc le comes Suneric en Espagne en 460 où ils affrontent ce qui restait du royaume suève de Galice. Ensemble ils prennent la ville de Lucus Augusti. Les combats sont peu connus mais il semble que les deux généraux ont de nombreuses difficultés pour pacifier la région100. Pendant ce temps, Majorien, qui a reconquis par sa victoire sur les Wisigoths à Arles la quasi-totalité de l’Espagne, descend vers le Sud pour préparer la suite de sa reconquête de l’Empire face aux Vandales de Genséric. Les sources emploient le terme de conquête alors que Majorien est supposé avoir récupéré l’Espagne : il ne peut s’agir que de résistances peu documentées. Une autre possibilité étant que les auteurs aient voulu glorifier encore plus l’empereur101. Entrant à Saragosse puis dans la province de Carthaginoise, l’empereur prépare sa reconquête de l’Afrique mais sa flotte est incendiée par des traîtres à la solde des Vandales102. Brillant stratège et général, il est le dernier empereur à tenter de rétablir l’autorité du trône

95 Greg. Tur. Franc., II. 11. 96 Prisc., 27.

97 Sidon. Carm., V. 98 Greg. Tur. Franc., II, 11. 99 Hyd. Chron. II., 460. 100 Hyd. Chron. II., 460. 101 Collins 2004, p. 32. 102 Hyd. Chron. II., 461.

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impérial dans l’Empire. Au même moment, Nepotianus et Suneric continuent de reconquérir la Lusitanie avec une victoire écrasante sur les Suèves à Scallabilis.

L’Empire semble renaître. En contrôlant les fédérés et en récupérant les territoires perdus, Majorien devient capable de reprendre l’Afrique. Celui qui a surpassé dans toutes les vertus tous ceux qui ont été empereurs des Romains103

voit sa volonté de reprendre l’Afrique partir en fumée avec sa flotte. Ce coup dur provoque sa chute puisqu’en 461 il est mis à mort par Ricimer104. Nepotianus est remplacé par Arborius, un protégé de Ricimer beaucoup plus conciliant à l’égard des barbares105. Aegidius, refusant de reconnaître l’autorité des empereurs nommés par Ricimer, renforce son pouvoir dans son enclave du Nord de la Gaule qui devient de facto indépendante. Avec la mort de Majorien, le renouveau de la puissance impériale s’éteint définitivement. La politique beaucoup plus conciliante de Ricimer envers les fédérés barbares empêche ce renouveau mais cela ne signe pas la fin des conflits car l’Empire d’Occident existe toujours officiellement. Commence alors une période trouble qui fait basculer la Gaule vers la recherche d’une nouvelle souveraineté comme cette étude le montre. Les déceptions des Gaulois, la mort du dernier empereur capable de reprendre en main l’Empire sont les raisons principales de cet état de fait. Rome a combattu presque toutes les années de ce siècle, et plus d’une cinquantaine de conflits l’opposant aux barbares sont à référencer. L’absence d’un règne long d’une personne capable de rétablir la situation a été préjudiciable forçant l’Empire à toujours être sur la défensive, subissant les assauts. Les populations vivant sur les théâtres d’opération devaient subir cet état de fait et, si elles sont rares, quelques entraides ont pu voir le jour à ce moment.

103 Proc. Vand., III, 5.

104 PLRE II, Fl. Iulius Valerius Maiorianus. 105 PLRE II, Fl. Iulius Valerius Maiorianus.

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De cette période trouble, que doit-il être retenu ? L’ordre n’est jamais vraiment revenu dans cette partie du monde romain. Passé le choc, ce sont surtout les querelles internes de l’Empire qui n’ont fait qu’aggraver les choses. Aucune politique n’a pu véritablement être suivie et les intérêts privés des hauts fonctionnaires impériaux ont empêché la reprise en main définitive de la Gaule et de l’Espagne. Ces deux régions se sentent abandonnées par l’état central et il est difficile de leur donner tort. La déposition d’Avitus est d’ailleurs pour les Gaulois une désillusion quant à leur place dans l’Empire. Si les collaborations n’apparaissent pas massivement à ce moment, c’est parce que l’état romain peut encore maintenir son autorité. Il serait cependant injuste de penser que l’état romain n’a rien fait pour éviter cette situation. Les tentatives de reprises ont été nombreuses et les accrochages entre troupes romaines et armées barbares sont attestés, preuve s’il en est de la volonté de l’Empire de conserver son influence sur ces régions.

Brillant stratège et général, Majorien est le dernier empereur à tenter de rétablir une bonne fois pour toute l’autorité du trône impérial dans l’Empire. Après une campagne victorieuse en Espagne, il tente d’embarquer en Afrique afin d’en chasser les Vandales. Il est trahi et son expédition se solde par une humiliation. Il est destitué par Ricimer en 461. L’entente entre les trois conjurés de 456 vole en éclat, Aegidius ne reconnaît pas l’autorité de Ricimer et Majorien est exécuté par leur ancien ami d’origine barbare106. Ce même Aegidius est aidé par les Francs dans ces volontés d’émancipation confirmant l’importance grandissante de ce peuple et son caractère incontournable en Gaule du Nord107. Commence alors une période trouble qui fait basculer la Gaule vers la recherche d’une nouvelle souveraineté.

106 Fast. Vind. Chon. I., 598.

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Les déceptions des Gaulois, la mort du dernier empereur capable de reprendre en main l’Empire sont les raisons principales de cet état de fait.

Par leur aide dans la reconquête de l’Espagne, le soutien qu’ils apportent dans la volonté émancipatrice des Gaulois108 ou l’appui qu’ils donnent à un rebelle à l’autorité impériale, les barbares sont devenus des acteurs politiques de premier plan. Outils les décennies précédentes, les barbares sont devenus les soutiens indispensables des Romains voulant s’assurer une autorité sur les restes de l’Empire d’Occident.

108 Escher 2006, p. 79. Le siège de Lyon en 457 par Aegidius est un épisode où les Burgondes s’illustrent comme protecteurs des Lyonnais.

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