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Le temps des catastrophes : le sentiment d’abandon de la Gaule et de

A) De l’arrivée de nouveaux peuples dans l’Empire et les troubles qui en découlent

1) Le temps des catastrophes : le sentiment d’abandon de la Gaule et de

L’extrait de la lettre 123 de saint Jérôme, écrite vers 410 et adressée à Geruchia, dépeint une catastrophe sans précédent pour l’Empire. D’après l’auteur, les désastres présentés sont forcément liés à la traversée du Rhin par des peuples germaniques en 406-407 comme la référence à Worms et Mayence le confirme. L’auteur n’est alors pas en Gaule mais en Palestine et ce texte renvoie à un discours de déclin de l’Occident que l’on retrouve chez Salvien de Marseille1. On peut donc légitimement nuancer les propos de saint Jérôme comme étant catastrophistes dans les faits. Cependant, on aurait tort de ne pas les voir pour ce qu’ils sont : un discours affecté d’un penseur de l’époque qui voit les événements de 406-407 comme une véritable catastrophe humaine. Cela témoigne d’un air du temps au sein des élites romaines. Ces événements, pour violents qu’ils soient, ne sont pas une anomalie mais bien une conséquence de la politique impériale2.

Avant l’arrivée des peuples barbares sur le sol gaulois, l’Empire se débat déjà avec les Wisigoths. Alaric, furieux d’avoir eu l’impression d’être rejeté par l’Empire, avance sur l’Italie avec le roi ostrogoth Radagaise3 vers 405-406. Si l’événement est important c’est parce que ce faisant, Stilicon vide les garnisons gauloises4. La défense de l’Italie devient l’objectif immédiat, la Gaule peut attendre, en tout cas le croit-t-il.

Le premier « accrochage » ayant laissé une trace au Vème siècle est le débordement des troupes franques défendant la région du Rhin au nom de l’Empire par les Vandales, Suèves, Alains et Burgondes cherchant à pénétrer dans

1L’Archer 2010, p.68 2 Heather 2005, p. 194. 3 Zos., V, 26.

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l’Empire5. Ces peuples prennent, après d’âpres combats, les villes de Worms, Cologne et Mainz face aux Francs. Stilicon, chef de l’armée romaine ne peut envoyer de troupes à cause de la pression d’Alaric sur l’Italie et sur le pouvoir impérial6. Peu de choses sont connues sur ces batailles. Ceci d’explique par le fait qu’elles se situent en marge de l’Empire, dans des régions depuis longtemps peuplées aussi bien par des Romains que des barbares (Francs). Ces derniers, appelés les Lètes, sont des paysans soldats protégeant la frontière en lieu et place des limitanei romains. D’après Jérôme7, ce sont en plus des trois villes de Germanie suscitées, les villes de Reims, d’Arras, de Tournai, de Spire et de Strasbourg qui sont victimes de la première vague des peuples germaniques. Toujours selon le même auteur, les provinces d’Aquitaine, de Narbonnaise, de Novempopulanie et de Lyonnaise sont ravagées par les barbares. Il convient de mesurer les propos de l’auteur car il n’est pas en Gaule mais en Palestine au moment des faits. Cela démontre que le courrier circule encore bien en zones « ravagées » mais surtout qu’il ne fait que répéter des rumeurs et autres bruits. On ne peut nier cependant la violence de ces années pour les populations romaines.

La date de 406 est une date charnière de l’Histoire européenne. C’est en tout cas le point d’orgue d’un phénomène plus ancien que l’Empire prend au sérieux dès le début du IVème siècle8 : les déplacements des peuples barbares. Les raisons de cette traversée du Rhin restent encore aujourd’hui sujettes à débat9 mais au 1er

janvier 407, les peuples Vandales, Suèves, Alains et Burgondes traversent le Rhin gelé et ainsi évitent les fortins protégeant la frontière. Ce concours de circonstances permet aux barbares de s’infiltrer en territoire romain et de

5 Heather 2009, pp. 3-5. 6 Reddé 1996, p. 262. 7 Hier. Epist. 123. 8 Martin 2001, p. 166.

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commencer ce que les contemporains appellent une calamité10. Les barbares profitent des conflits entre Rome et les Wisigoths pour agir et ne rencontrent presque aucune résistance tant la surprise est totale côté romain. L’armée stationnée en Gaule n’est composée que de faibles limitanei pendant que l’essentiel de l’armée occidentale, contrôlée par Stilicon, se bat en Italie contre Alaric et ses Wisigoths. Pendant plusieurs années, les barbares ne rencontrent pas l’opposition d’une armée romaine et d’après les sources de l’époque11, ces bandes armées dirigées par des chefs pillent et dévastent d’abord la Gaule puis l’Espagne. Cet événement, largement commenté par les contemporains12, est surtout révélateur d’un fait : l’Empire ne réagit pas et laisse les barbares parcourir la Gaule sans les affronter. Un sentiment d’abandon apparait alors en Gaule13 et se retrouve tout le long du siècle dans les sources.

L’homme fort de l’Empire d’occident, Stilicon, vide les fortifications de la frontière du Rhin pour protéger l’Italie ce qui laisse la Gaule sans troupes impériales capables de la défendre14. Les difficultés du généralissime à recruter des troupes les années précédentes et sa volonté de protéger le cœur de l’Empire expliquent pourquoi la Gaule n’est pas secourue par Stilicon15. Cet acte, perçu comme une trahison par les Romains de Gaule, enclenche l’arrivée des troupes de Bretagne16. L’envie de protéger la Gaule sans défense est patente puisqu’après avoir porté sur le trône impérial Marcus puis Gratien, c’est finalement un soldat du rang du nom de Constantius qui prend le contrôle des troupes de Bretagne et accepte d’aller en Gaule afin de repousser les barbares17.

10 Paul. Pell., 233-235.

11 Oros. Hist., VII, 40, 3-9, Hier. Epist. 123, 15, 3. 12 Hier. Epist. 123, 16 ; Rut. Nam., I, 1-42. 13 Mathisen 1992, p. 237.

14 Claud. 21, 660., p. 189. 15 O’Flynn 1983, p. 42. 16 Canduci 2010, p. 152. 17 Canduci 2010, p. 152.

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S’il convient d’insister sur ce sentiment d’abandon des Gaulois et des Espagnols c’est parce qu’il a une importance fondamentale dans les rapports avec l’Italie et l’Empire par la suite. La longue énumération de saint Jérôme18, présentée en début de partie, témoigne des difficultés subies par ces régions. Pour l’homme d’Eglise, Stilicon en est le responsable et sa décision de dégarnir les garnisons de Gaule pour l’Italie19 est désastreuse avec le recul. En plus de ces malheurs, des épidémies et des famines sévissent et font de nombreuses victimes notamment en Espagne20

les années suivantes. Rome tombe cette même année 410 pour la première fois depuis l’invasion de Brennos en 390 av. J.C. Cette évènement frappant la ville éternelle déstabilise la foi en l’Empire et marque durablement les esprits. Certains auteurs réaffirment cependant leur foi en Rome21 la croyant capable de renaître22.

Pendant ce temps en Espagne, les barbares présents sur place provoquent des troubles importants, bien aidés par les exactions des troupes romaines23. Famines et pillages ruinent la région, l’affaiblissant durablement. C’est en 411 que les peuples barbares sur place se partagent les terres et fondent quatre royaumes24. Les Alains s’installent en Lusitanie et Carthagène, les Vandales Sillings en Bétique, les Vandales en Galice et enfin les Suèves s’installent sur la côte ouest du pays25. Hydace termine cet état des lieux en soulignant la soumission de villes, jusqu’ici épargnées par les barbares, qui rejoignent le pouvoir des rois dirigeant le territoire où elles sont installées26. Cette période très courte se passe sur une année et pourtant le ressentiment de la Gaule est patent27. Mathisen émet l’idée que dès

18 Hier. Epist., 123. 19 O’Flynn 1983, p. 43. 20 Hyd. Chron. II., 410. 21 Rut. Nam., I, 43-164. 22 Wolff 2007, p. XLVIII. 23 Hyd. Chron. II., 409-410. 24 Hyd. Chron. II., 411. 25 Hyd. Chron. II., 411. 26 Hyd. Chron. II., 411. 27 Mathisen 1992, p. 237.

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ces années 407, la rupture avec l’Empire est consommée. Cette rupture avait commencé dès le IIIème siècle avec les empereurs gaulois mais le pillage de la Gaule par les barbares a émis l’idée d’un destin différent de Rome28. S’il fallait nuancer la démonstration de Mathisen, l’épisode de Jovinus montre tout de même que les Gaulois restent fidèles à l’Empire malgré les reproches qu’ils adressent à ce dernier. On retrouve ce thème de l’abandon dans d’autres œuvres mais Sidoine Apollinaire résume parfaitement cet état d’esprit dans son éloge à Majorien29. L’éloignement du pouvoir impérial, le rejet des aristocrates gaulois de la cour et du pouvoir en est tout autant responsable que l’incapacité du pouvoir à réagir aux invasions. D’ailleurs ici Sidoine se plaint tout autant des ravages des barbares que de l’absence de l’empereur en Gaule. Cet état de fait permet de comprendre pourquoi tant d’usurpateurs purent prendre le pouvoir. Il s’agissait là d’hommes qui défendaient la Gaule et refusaient son « pillage » par l’Italie, pillage qui la laissait sans défense30. Constantin III en est l’exemple typique.