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Evolution des collaborations au fil du temps

Les stratégies des rois barbares n’ont pas été appliquées d’un bloc mais se sont élaborées au cours du temps comme le montre le cas des lois, presque 90 ans après l’arrivée des Wisigoths pour le bréviaire d’Alaric.

Une bonne façon de comprendre la montée en puissance des collaborations entre Romains et barbares est d’étudier le nombre de collaborations attestées entre ces deux groupes durant la période d’étude. Cette méthode est incomplète car, en effet, les individus mis en cause peuvent certes n’apparaitre que ponctuellement1 mais aussi avoir une action sur le long terme. Pour résoudre ce problème il est prévu de travailler par décades afin de limiter les datations floues. Afin de voir pleinement les évolutions, l’apparition d’un nouveau membre incrémente d’une unité le nombre de Romains : il s’agit de fait d’une étude cumulée faisant apparaître certains phénomènes plus aisément.

Tous les individus ont donc été classés selon leur date d’apparition dans les sources. Aucune distinction n’a été réalisée sur leurs actions ou le type de collaboration, ne compte que celle-ci soit attestée.

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Le graphique issu de cette étude témoigne d’une accélération des collaborations entre Romains et roi barbares entre 460 et 500. 70% des collaborations recensées dans les sources se situent durant cette période. Une véritable montée en puissance du phénomène à partir de 460 peut s’observer. De cinq collaborateurs en 460, on passe à 33 en 500.

Au sein même de cette période, trois cas se distinguent :

Les périodes de petite progression. On en dénombre trois : 462-467, 476-487 et 492-499.

Les périodes de progression moyenne. On en dénombre trois : 460-462, 474-476 et 487-494. 1 2 2 4 4 5 11 19 25 32 36 37 38 39 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45

Nombre de collaborateurs Romains cumulé en

Gaule et en Espagne entre 400 et 540

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Les périodes de forte progression, beaucoup plus courtes. On en dénombre seulement deux : 474-476 et 499-500.

Ce qu’il faut retenir, c’est cette énorme progression à partir de 460. Une progression qui n’est pas régulière mais qui marque un changement net dans les relations entre Romains et barbares en Gaule.

Si la période la plus chargée en collaboration est la période 460-500, cela est dû au fait que les sources à disposition sont plus nombreuses à ce moment. On ne peut exclure que d’autres personnes pourraient avoir servi les rois barbares avant. A ce propos, il faut aussi avoir en tête qu’une bonne partie des sources sont des écrivains contemporains au Vème siècle ou postérieurs à celui-ci. Ils avaient accès à plus des textes, aujourd’hui perdus et il est du coup fort étonnant que ces derniers ne parlent pas de serviteurs de rois barbares avant les années 460. Le phénomène de massification des collaborations semble vraiment apparaître vers ce moment même si des cas plus précoces ont pu voir le jour avant. Encore une fois, il n’est question ici que de collaborations avérées. Des sympathies ont pu exister2 mais il semble certain que les traces de collaborations ne soient présentes aussi ouvertement qu’à partir des années 460.

Avant 460, peu de collaborations sont à signaler. Il en existe malgré tout, ce qui confirme l’hypothèse vue au paragraphe ci-dessus. Les auteurs ne les passent pas sous silence mais elles sont juste très rares car toutes les conditions ne sont pas réunies. Il existe des collaborations3 dès les années 410 sans pour autant que cela fausse cette étude statistique. Le premier cas référencé est celui de Candidianus4. Candidianus soutient le mariage entre Athaulf et Galla Placidia, une union qui

2 Peut être donné en exemple le cas de Candidianus, qui accueille Alaric en 414. Olymp. Hist., 24. 3 Hyd. Chron. II., 439. Orens d’Auch par exemple qui est ambassadeur sous Théodoric Ier et qui aide le roi

dans son conflit contre Aetius et Litorius. 4 PLRE II, Candidanus.

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apporte beaucoup d’incertitudes mais qui consacre l’idée que les Goths peuvent être les sauveurs de Rome. Il prouve que dès le début du Vème siècle, des Romains sont prêts à travailler avec des barbares, à vivre avec eux. Il est la preuve que les Wisigoths avaient des soutiens chez les personnes possédantes de Gaule donc sans doute chez les sénateurs gaulois.

Après 500, il serait étonnant de ne pas trouver plus de collaborateurs puisque l’augmentation des collaborations a dû entrainer plus de Romains à coopérer. L’explication est assez simple en réalité puisque les sources ne s’intéressent plus vraiment à partir de 500 aux collaborations car ces dernières sont devenues normales et fréquentes Un cas comme celui de Parthenius montre la normalisation des pratiques de collaborations. Personne ne s’en indigne plus comme Sidoine le faisait pour Syagrius5 ou Calminius6. L’auteur, ici Grégoire de Tours, décrit plutôt la vie d’un haut fonctionnaire et conseiller du roi sans s’appesantir sur son statut de Romain si ce n’est pour montrer pourquoi cet homme était si capable d’être aux côtés de plusieurs rois. Finalement le phénomène est tellement évident qu’il n’est même plus présenté par les sources tellement il est banal. Déjà avant la chute de l’Empire, depuis la décennie 460, c’est vers les barbares que les Romains se tournent et si cela pouvait choquer les contemporains à ce moment, cela ne choque plus vers 540. Ces événements qui défrayaient la chronique en 460-470 deviennent banals et normaux au VIème siècle comme une évolution incontournable. Cela peut expliquer l’absence de beaucoup de Romains au service des rois barbares dans les sources passé les années 500-501. C’est à ce moment que la collaboration devient naturelle et s’institutionnalise.

5 Sidon. Epist., V, 5. 6 Sidon. Epist., V, 12.

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La période la plus intéressante pour cette étude est cette quarantaine d’années entre 460 et 500. Il apparait que si la courbe est irrégulière, elle est tout de même constante dans son mouvement ce qui implique un phénomène continu et progressif. Ces évolutions montrent la montée en puissance des collaborations lors de la fin de règne de Majorien. Historiquement ces années marquent la fin du dernier empereur d’Occident à l’initiative. Le dernier à avoir tenté de reconquérir ses territoires et surtout celui qui avait ramené certains Gaulois dont les Lyonnais dans le giron romain. La déposition d’Avitus quelques années plus tôt et la fin de cet empereur ont provoqué un profond bouleversement en Gaule conduisant à l’apparition des collaborations dans des royaumes qui finissent par s’assumer en tant que tels.

Si l’étude de cette évolution est importante pour comprendre comment les collaborations ont pu être possibles, il est nécessaire de se pencher à présent sur qui sont ces individus et leurs actions.

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