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Début de la politique propre des royaumes

C) De l’indépendance des royaumes

2) Début de la politique propre des royaumes

La fin de l’Empire romain d’Occident et la déposition de Romulus Augustule par Odoacre en 476 ne marquent pas la fin de la domination romaine, en tout cas pas

50 Sidon. Epist., VII, 7. 51 Sidon. Epist., VIII, 3. 52 Ennod. Epiph., 168-170. 53 Sidon. Epist., V, 5.

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officiellement, sur les terres occidentales. Théoriquement, l’Empire existe toujours sous l’autorité du seul empereur, l’empereur d’Orient : Zenon. L’Orient a toujours eu un rôle trouble dans la politique occidentale, alternant conflit larvé entre les deux partes imperii, notamment sur la question de l’Illyricum54, et intervention plus ou moins heureuse dans les affaires de successions comme sous Valentinien III ou Anthemius55. Toujours teintées de méfiance, les relations entre Orient et Occident, si elles n’ont jamais tourné en affrontements directs, ont vu parfois les deux empires coopérer comme Marcien venant au secours de l’Italie attaquée par Attila en 45256 ou encore avec la tentative de reconquête de l’Afrique sous Leo Ier57. Contrairement à l’Occident, en conflit permanent durant le Vème siècle, l’Orient jouit d’une situation plus stable ce qui peut expliquer sa longévité par rapport à l’autre pars imperii. Les empereurs d’Orient n’ont alors qu’un but : maintenir un statu quo en Occident et protéger l’Orient des barbares. Pour cela, il faut un équilibre entre les peuples et éviter qu’un d’entre eux devienne assez puissant pour réclamer le trône impérial ou se poser en successeur de l’Empire. Odoacre, le nouveau maitre de l’Italie devient menaçant lorsqu’il conquiert la Dalmatie58.

L’empereur d’Orient Zenon, qui avait fait Odoacre patrice afin de le maintenir en son pouvoir,59 ne peut tolérer cela et envoie le jeune roi des Ostrogoths, Théodoric, reprendre l’Italie60 pour le compte de l’Empire afin d’y rétablir l’autorité impériale de Constantinople sur l’Occident. Théodoric n’est pas le sujet de cette étude mais sa prétention à maintenir un statu quo avec les royaumes voisins est très intéressante. Il marie sa première fille Theodegotha au jeune roi wisigoth

54 Demougeot 1979, pp. 369-373. 55 Blockley 1998, p. 136.

56 Escher, Lebedynsky 2007, p. 158. 57 Proc. Vand., VI.

58 PLRE II, Odovacer.

59 Cassiod., Chron. II., ad. a. 476. 60 Anon. Vales., IX, 42.

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Alaric II61 et son autre fille Ostrogotha, aussi connue sous le nom d’Arevagni, au jeune prince burgonde Sigismond entre 494 et 49662. Cette politique matrimoniale habile lui permet d’avoir un moyen de pression sur presque tous les royaumes et permet de tisser des liens entre les souverains, évitant ainsi les conflits inutiles. Les Wisigoths sont des alliés naturels des Ostrogoths et les Burgondes acceptent volontiers le mariage, reconnaissant la puissance de Théodoric. Ce dernier possède une influence certaine dans les cours des royaumes barbares et cherche la paix afin d’éviter de briser l’équilibre entre les royaumes. Enfin, le roi obéit lui aussi à ces principes puisqu’il demande la main d’Audoflède, fille de Childéric Ier roi des Francs et sœur du futur roi Clovis63.

Zenon, en envoyant Théodoric en Italie, souhaite remettre de l’ordre dans les affaires occidentales. Sa politique matrimoniale devait fonctionner quelque temps et éviter les conflits entre les royaumes. L’Orient et Théodoric, bien que souvent en tension, jouent ce rôle de stabilisateurs de l’Occident. L’Orient accepte d’aider l’Occident seulement si cela correspond à ses intérêts et toutes ces aides visent avant tout à protéger l’Orient. Par conséquent les affaires occidentales ne sont que des prétextes pour la cour de Constantinople mais il convient de garder un contrôle tout relatif sur ces royaumes barbares qui peuvent redevenir dangereux. Utiliser Théodoric permet surtout de s’en débarrasser en Orient et sa politique matrimoniale audacieuse permet à Théodoric de se poser en arbitre des affaires européennes. Cependant la nouvelle puissance du roi ostrogoth qui conquiert Smirnium en 504 inquiète l’Orient et le successeur de Zenon, Anastase Ier64. Sans lui déclarer la guerre, l’empereur espère finir par réduire la puissance de

61 Iord. Get., 297-298 ; Proc. Goth., I. 12. 22 .43 ; Cassiod. Var., III, 1-4. Si la date n’est pas connue, cet événement est certain et sa mention par Cassiodore, alors quaestor sacri palati de Théodoric dans sa correspondance aux rois franc, burgonde et wisigoth, atteste de sa véracité.

62 Dailey 2015, p. 88.

63 Greg. Tur. Franc., III, 31 et Iord. Get., 295-296. 64 Morrisson 2004, p. 204.

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l’Ostrogoth et pour cela, il utilise l’aide de Clovis, roi des Francs, le seul capable de contrer Théodoric65.

Le jeune roi des Francs est insatiable et après la prise de Soissons, il poursuit ses conquêtes en cherchant à s’étendre d’abord vers l’Est face aux Alamans puis au sud face aux Wisigoths. Dans les deux cas, Tolbiac en 506 ou Vouillé en 507, Clovis l’emporte et agrandit son territoire bravant des royaumes puissants et surtout Théodoric, roi en Italie. Les Francs deviennent rapidement la puissance dominante en Gaule et sans surprise, l’Orient, par son empereur, félicite Clovis de sa victoire sur les Wisigoths, principal allié de Théodoric. Clovis reçoit en effet en 508 les tablettes consulaires d’Anastase Ier66 et est salué comme Auguste à Paris67. Là encore, l’Orient s’immisce subrepticement dans les affaires de l’Occident en aidant tel ou tel camp, en reconnaissant tel ou tel roi et lui offrant ainsi une légitimité auprès d’une partie de la population, sensible aux symboles impériaux68.

Avant la victoire face aux Wisigoths, Clovis a réussi à plaire à une bonne partie de l’aristocratie gauloise : les Chrétiens. En 506, à la suite de sa victoire face aux Alamans à Tolbiac, guidé par saint Remi et sa femme Clotilde, Clovis et son peuple se font baptiser et deviennent orthodoxes. Se faisant, ils satisfont le désir d’une partie de l’église de Gaule comme saint Avit de Vienne et sa célèbre lettre Vostra fides nostra victoria est69. Ce geste a un grand retentissement dans les années à venir mais c’est aussi la puissance militaire de Clovis qui lui a permis de s’étendre. Pour l’aider, Clovis est officiellement gouverneur de province comme l’était son père et sa famille depuis un accord avec Aegidius70. Par tous ces aspects, Clovis réalise une sorte de révolution immobile : bien que barbare, il obtient un poste

65 Morrisson 2004, p. 204. 66 Greg. Tur. Franc., II, 38. 67 Greg. Tur. Franc., II, 38. 68 Maier 2005, pp. 94-95. 69 Alc. Avit. Epist. 46. 70 Rouche 1996, p. 187.

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classique et devient ainsi le protecteur officiel de la Gaule. D’ancien païen à nouveau chrétien, de petit royaume à puissance dominante en Gaule, de roi pour ses sujets et gouverneur pour les Romains, il devient le nouveau maître de la Gaule. Ses fils finissent d’agrandir le territoire en conquérant le royaume burgonde en 534. À ce moment, la Gaule cesse d’exister pour devenir l’embryon du royaume des Francs.

De leur arrivée jusqu’à leur émancipation du pouvoir romain, les barbares en Gaule et en Espagne, à l’exception des Suèves, ont toujours été installés par le pouvoir romain qui en a fait des alliés. Depuis Théodose la politique du foedus s’est propagée aux différents hommes forts de l’Empire, qu’ils soient empereurs ou simplement généraux. Burgondes, Francs et Wisigoths doivent leurs royaumes à une volonté romaine de disposer d’hommes armés capables de protéger les territoires si besoin et répondre à l’appel aux armes de Rome lorsque la situation l’exigeait.

Ces premières années de cohabitation ont enseigné aux barbares les besoins administratifs liés à l’existence et la politique d’un royaume. Plus le temps passa, plus les barbares devenaient indispensables comme réserve d’hommes de guerre et c’est Rome elle-même qui les a mis dans cette position. Les querelles internes de l’Empire n’ont fait qu’affaiblir ce dernier et transforment les barbares en arbitres des conflits. Finalement, ces royaumes se substituent à l’État romain occidental en reprenant en partie son rôle.

Lorsque les royaumes s’émancipent, ils ont besoin d’hommes capables de les aider à gérer leurs nouveaux royaumes. Comment diriger de façon pérenne de si vastes territoires et comment faire venir ces hommes dans leur giron ? Cela constituait un objectif très fort pour les barbares et c’est de cela dont il est question dans la deuxième partie de cette thèse.

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