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Oliver Lodge est, avec FitzGerald, le grand promoteur des idées de Maxwell. Ils sont les premiers, entre 1879 et 1883, à étendre la théorie de Maxwell aux ondes électromagnétiques de longueur d’onde plus grande que celles de la lumière, et à s’intéresser aux moyens de

15. L’article en question est « On an electromagnetic interpretation of turbulent liquid motion », Nature, 1889. Voir Darrigol 2000 (b), p. 454.

produire de telles ondes. Un de leurs rôles fondamentaux est d’expliquer clairement et sim-plement les concepts présents chez Maxwell, qui sont, pour la majeure partie des physiciens, parfois difficiles à comprendre. Lodge est le premier à essayer de remplir cette tâche.

Le modèle corde et boutons

Lors de ses premiers efforts pour comprendre le Treatise de Maxwell, en 1876, Lodge imagine et construit le modèle mécanique « cordes et boutons » (représenté sur la figure 3.3).

Figure3.3 – Modèle cord and beads de Lodge pour un circuit électrique (tiré de Hunt 1991, p. 89).

Dans ce dispositif, une corde fermée passe à travers une série de boutons, reliés au cadre extérieur par des bandes de caoutchouc. Lorsque les boutons sont attachés fixement à la corde, l’élasticité résiste à un déplacement : le système représente un diélectrique. À l’in-verse, lorsque les boutons ne sont pas fixés, la corde peut passer librement à travers eux en créant de la friction, le système modélise alors un conducteur. Hunt ajoute que les propriétés du système mécanique peuvent être directement reliées aux propriétés électriques : le coeffi-cient de friction des boutons correspond à la résistivité électrique, l’élasticité des bandes à la capacité du diélectrique, etc.17

Des objectifs similaires

FitzGerald et Lodge sont très proches et échangent régulièrement sur leurs différents projets. Expérimentateur émérite, Lodge se repose sur FitzGerald pour le coté théorique. Comme il l’avoue à son ami en 1880, il est « gravement ignorant de la théorie ondulatoire ordinaire actuellement ».18

Tous deux ont néanmoins des idées différentes sur la nature de ces ondes. Pour Lodge, l’éther est composé de deux électricités, positive et négative, telles qu’elles puissent être séparées lors du passage d’une force électromotrice. C’est lui le pre-mier qui imagine, dès 1879, des moyens de générer de la lumière en utilisant des dispositifs électriques, en particulier la décharge d’un condensateur. FitzGerald est plus réservé quant à cette possibilité, notamment à cause d’une mauvaise interprétation des implications de la théorie de Maxwell. Pour lui, la lumière est une conséquence de l’interaction entre matière et éther, alors que les ondes électromagnétiques sont d’un autre type :19

La création de telles perturbations [comme la lumière] n’est pas un phénomène de courants électriques tels que ceux dont nous traitons, mais est liée aux relations entre matière et éther. [...] L’interaction entre matière et éther qui crée la lumière n’est pas la même que celle entre les courants électriques et l’éther.

Ce choix pousse à une différenciation, même légère, des phénomènes optiques et électromagné-tiques. Lodge essaie de concilier sa vision et celle de FitzGerald en arguant qu’il est impossible de créer une vibration matérielle de l’éther (bodily motion), et que « si la lumière est une vibration matérielle de l’éther, alors il est impossible de la générer électriquement ».20 Cette hypothèse lui permet de conserver son idée que les deux électricités qui composent l’éther peuvent être séparées, mais que le tout ne peut pas subir de déplacement. C’est cette vision qu’il utilise dans son modèle suivant.

Le modèle des engrenages

Le modèle le plus connu créé par Lodge est le modèle des engrenages, ou cogwheels (voir figure 3.4). Contrairement au modèle précédent, il n’a pas pour but de représenter un phé-nomène électrique en utilisant une analogie mécanique, mais bien de représenter l’éther lui-même. Lodge s’inspire directement du modèle de Maxwell et de celui de FitzGerald, préférant

18. Hunt 1991, p. 37. Cite Lodge. 19. Hunt 1991, p. 35.

toutefois lier les roues directement entre elles en utilisant des engrenages. Ce choix pose le problème déjà évoqué pour Maxwell du sens de rotation de deux roues consécutives. Repre-nant son idée de deux « électricités », l’une négative, l’autre positive, il définit deux types de roues de signes opposés. Une rangée comporte exclusivement des roues de même signe, et les deux types alternent. Sur la figure 3.4, le rail central représente le courant électrique et les roues en rotation le champ magnétique. Un milieu conducteur est représenté par des roues lisses et non dentées (voir figure 3.5). Les roues en rotation génèrent de la friction.

Figure 3.4 – Modèle des engrenages de l’éther de Lodge (tiré de Hunt 1991, p. 91). Une démarche critiquée

Comme nous l’avons déjà dit, l’utilisation de modèles est largement répandue parmi les physiciens britanniques, avec certains avis plus réservés que d’autres— comme celui de Thom-son — sur l’utilisation que l’on peut en faire. Cependant, Lodge sera vivement critiqué pour son utilisation abusive des modèles. D’une part, en multipliant les modèles Lodge peine à construire un ensemble cohérent et à convaincre. C’est ce que lui rapporte FitzGerald en 1893 à propos de certains de ses collègues :21

[Ils] ont objectés qu’ils étaient embrouillés par tes sauts d’une théorie à une autre, ou plutôt d’une analogie à une autre au lieu de présenter un système continu qui serait cohérent tout du long.

Figure 3.5 – Modèle des engrenages de l’éther pour deux milieux conducteurs séparés par un milieu isolant (tiré de Hunt 1991, p. 92).

D’autre part, même en construisant des modèles matériels, Lodge peut s’écarter d’une vi-sée purement mécaniste, et tomber dans la supposition physique. C’est le cas lorsque, dans son modèle des engrenages, il fait intervenir deux types de roues, introduisant un dualisme fondamental qui n’est pas réductible à une différence purement mécanique. Les physiciens britanniques ne sont d’ailleurs pas les seuls à être gênés par la propension de Lodge à utiliser des modèles qui tiennent plus du système industriel que du modèle basique (cordes et bou-tons, engrenages...). C’est notamment lui que Pierre Duhem critique lorsqu’il s’attaque aux physiciens britanniques. Ainsi, dans son ouvrage La Théorie Physique, en parlant du livre de Lodge, Duhem porte un jugement sévère sur l’ouvrage :22

Voici un livre destiné à exposer les théories modernes de l’électricité, à exposer une théorie nouvelle ; il n’y est question que de cordes qui se meuvent sur des poulies, qui s’enroulent sur des tambours, qui traversent des perles, qui portent des poids ; de tubes qui pompent de l’eau, d’autres qui s’enflent et se contractent ; de roues dentées qui engrènent les unes sur les autres, qui entraînent des crémaillères ; nous pensions entrer dans la demeure paisible et soigneusement ordonnée de la raison déductive ; nous nous trouvons dans une usine.

Les successeurs de Maxwell, FitzGerald et Lodge en tête, se sont efforcés d’expliquer les idées de Maxwell en approfondissant les concepts clés de sa théorie, comme la notion de courant et les « courants de déplacement », tout en explorant d’autres voies comme la génération des ondes électromagnétiques par des systèmes électriques, point que Maxwell n’avait pas abordé. D’un point de vue théorique toutefois, les « équations de Maxwell » telles qu’on les connaît aujourd’hui sont principalement l’œuvre d’un troisième physicien britannique ayant suivi les traces de Maxwell : Heaviside.