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L’assertion de Thomson selon laquelle il est temps « d’aller plus loin » que la simple ana-logie en électromagnétisme est rapidement suivie par Maxwell, qui présente en 1861-62 un

modèle liant les différents phénomènes dans son mémoire « On Physical Lines of Force ».21

Ce mémoire est constitué de quatre parties, dont les deux premières sont publiées entre mars et mai 1861, et les deux suivantes en janvier 1862. Il se présente comme une construction progressive, dans laquelle Maxwell introduit, dans chacune de ses quatre parties, un élément nouveau. D’autre part, si son premier mémoire laissait transparaître le respect que Maxwell avait pour la théorie de Weber notamment, celui-ci débute sur un ton bien différent :22 :

Nous ne sommes pas satisfaits des explications basées sur l’hypothèse des forces at-tractives et répulsives dirigées selon les pôles magnétiques, bien que nous pourrions nous satisfaire du fait que le phénomène s’accorde parfaitement avec cette hypo-thèse, et nous ne cessons de penser qu’en tout point où se trouvent ces lignes de force, un état ou une action physique doit exister avec une énergie suffisante pour produire le phénomène observé. [...] Mon objectif dans cet article est d’ouvrir le chemin dans cette direction, en étudiant les résultats mécaniques de certains états de tension ou de mouvement d’un milieu, et de les comparer avec les phénomènes observés de magnétisme et d’électricité.

Ainsi, dans une référence à peine cachée aux théories d’action à distance, en particulier celle de Weber, Maxwell remet en cause cette hypothèse fondamentale, et fait du champ électrique et magnétique l’élément majeur de sa propre théorie.

Le champ magnétique

La première partie du mémoire se limite au domaine du magnétisme. Depuis « On Fa-raday’s Lines of Force », Maxwell a été convaincu, par le raisonnement de Thomson, de la nature rotationnelle du champ magnétique. Comme il l’expliquera plus tard :23

Le déplacement des électrolytes dans des directions fixées par le courant électrique, et la rotation de la lumière polarisée dans des directions fixées par la force magné-tique sont [...] des faits dont la considération m’a poussé à regarder le magnétisme comme un phénomène de rotation, et les courants électriques comme des phéno-mènes de translation.

Reprenant l’idée de vortex, Maxwell construit un milieu dans lequel les contraintes et les

21. Maxwell 1861. Voir aussi Maxwell 1965, pp. 451-513. 22. Maxwell 1861, part. I, p. 162.

pressions sont dues au mouvement local de ces vortex. Il considère ainsi des filaments, sorte de chaînes de vortex en rotation alignés : la force centrifuge entraîne une pression plus élevée sur les côtés que dans l’axe du vortex. Les filaments auront ainsi tendance à s’élargir dans le plan horizontal et à se raccourcir dans la direction de l’axe de rotation, ce qui rejoint les observations faites pour les lignes de force magnétiques.24

Maxwell s’attèle ainsi à l’écriture du tenseur des contraintes dans ce milieu, qui doit lui permettre de retrouver les forces observées dans le cas du magnétisme. Un résumé rapide (et dans un formalisme anachronique) de sa démarche est le suivant : en notant p une pression isotrope, µ la masse volumique du milieu considéré et ω la vitesse circonférentielle, le tenseur des contraintes s’écrit :25

σij = −pδij + µωiωj (2.1) En dérivant et après réécriture, on obtient la force (par unité de volume) :

f = (∇ · µω)ω + (∇ ∧ ω) ∧ µω + ∇ 12µω2 

− ∇(p) (2.2) Si l’on excepte le dernier terme (pour lequel Maxwell ne trouvera pas de signification) la force ainsi obtenue se comprend parfaitement sous le prisme du magnétisme :

— le premier terme correspondrait à la force (mécanique) exercée par une force magnétique H sur une masse magnétique ∇ · (µH) (par analogie avec l’électrostatique).

— le deuxième terme est la force de Laplace exercée sur un courant ∇ ∧ H.

— le dernier terme correspond à la pression magnétique. La fraction dans le gradient est l’expression de l’énergie magnétique.

L’analogie se conclut de façon triviale en associant le vecteur vitesse ω à la force magné-tique H, et la masse volumique µ à la capacité magnémagné-tique inductive (également « pouvoir magnétique » ou « perméabilité magnétique ») du milieu.

24. Siegel 1991, p. 60.

25. On définit la vitesse circonférentielle comme le vecteur ayant pour direction l’axe de rotation et pour norme la vitesse linéaire prise sur le bord du vortex.

Faire tourner le monde

Dans la deuxième partie de son mémoire, Maxwell cherche à utiliser sa théorie des vortex magnétiques pour expliquer les phénomènes électriques :26

Nous devons maintenant aborder le lien de ces vortex avec les courants électriques, bien que nous soyons toujours dans le doute quant à la nature de l’électricité, qu’elle soit une substance, deux substances, ou pas de substance du tout, dans quelle mesure elle diffère de la matière, et comment elle est connectée avec celle-ci. On voit ici que Maxwell ne cherche pas à justifier son modèle par des considérations physiques faites a priori sur la nature des entités considérées. De manière générale, dans l’établissement de sa théorie, Maxwell se base fortement sur les expériences (notamment les lois expérimentales d’Ampère et de Faraday, auxquelles il donne une expression mathéma-tique), mais ne cherche pas à faire d’hypothèses sur la nature de l’électricité ou de la charge. De la même façon, il ne donne aucune signification réelle à son milieu dans lequel s’exerce les contraintes, ou même sur la forme et la distribution des vortex. Lorsqu’il s’agit de trouver des coefficients numériques précis, Maxwell utilise le cas le plus simple de vortex circulaires et tous identiques, mais dans le cas général il se contente d’introduire un coefficient de pro-portionnalité dépendant des caractéristiques des vortex.

De manière beaucoup plus terre-à-terre, le modèle construit par Maxwell pose un pro-blème : si les tubes de force se comportent comme des tubes contenant du fluide en rotation, et si le champ magnétique est analogue à une vitesse circonférentielle, alors en tenant compte des conditions aux limites, deux vortex côte-à-côte devraient avoir des sens de rotation op-posés, donc une résultante du champ magnétique qui s’annule. Maxwell rajoute donc des roulements à billes entre ses vortex, des idle wheels qui resteront comme l’élément le plus marquant de son modèle. En ajoutant ces couches de petites billes entre chaque vortex, le sens de rotation de ceux-ci devient identique (voir figure 2.2). On peut noter que Maxwell était fin connaisseur de la mécanique appliquée, qu’il enseignait à ses étudiants.

La réalité des vortex

Pour Maxwell, les vortex ont bien une valeur physique. Si les deux premières parties de son mémoire semblent parfois hésitantes à ce sujet, Maxwell y considère « l’hypothèse des

Figure 2.2 – Schéma du modèle de Maxwell mettant en jeu les vortex et les billes (tiré de Siegel 1991, p. 67). La représentation des cellules sous forme d’hexagones est due, pour Siegel, au fait que l’hexagone est une projection dans le plan du dodécaèdre, qu’on peut facilement approximer par une sphère pour les calculs. On peut également faire l’hypothèse que cette représentation était plus adaptée à la diffusion, l’hexagone permettant un pavage régulier d’un espace à 2D autrement qu’avec des triangles ou des carrés.

vortex » comme une « hypothèse probable ».27 Il manifeste à plusieurs reprises sa volonté de détecter ces vortex, et va jusqu’à décrire des expériences dans ce but. Même s’il ne réalise pas ces expériences, il garde en tête la possibilité de détection. Concernant un autre élément de sa théorie en revanche la conception de Maxwell est plus réservée. Les fameuses idle wheels, si elles permettent des preuves mathématiques solides, ne peuvent pas pour Maxwell « être mises en avant comme un mode de connexion existant dans la nature ».28

Maxwell conçoit leur utilisation comme « temporaire ». Pour expliquer cette faible conviction, Siegel avance le fait que Maxwell, comme Faraday, croit avant tout en la réalité du champ. Or ces idle wheels représentent une sorte de « fluide électrique » ou de « particules électriques » qui n’entrent pas dans le raisonnement de Faraday.29

27. Siegel 1991, p. 40.

28. Ibid., p. 41. Cite Maxwell. 29. Ibid.