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L’exposition internationale d’électricité

Paris, le 20 novembre 1881. La première Exposition Internationale d’Électricité se ter-mine. Depuis le 11 août dernier, près de 900 000 personnes sont venues au sein du Palais de

15. Grelon 2006, p. 4. 16. Ibid.

l’Industrie pour contempler moteurs, lampes, téléphones ou instruments de mesures.17

Plus de 1700 exposants ont été présentés par 16 pays, comme la France, l’Allemagne, l’Angleterre, mais aussi la Russie ou le Japon, et des industries comme les chemins de fer ou les sociétés d’éclairage ont montré dans leurs pavillons les avancées techniques les plus récentes sur l’élec-tricité. Grâce aux éclairages installés tout autour du palais, illuminant les toits des maisons, Paris est devenue « la ville lumière ».18

Outre son rayonnement culturel sur un plan national, voire international, l’exposition est une date clé dans la construction des institutions des électriciens en France et à l’étranger.19

On retrouve dans son organisation tous les protagonistes des réformes, politiques et acadé-miques, qui seront établies dans les années suivantes. En parallèle de l’exposition publique, le premier Congrès des électriciens se déroule à Paris, réunissant les plus grands spécialistes de l’électricité (Hermann von Helmholtz, William Thomson, Werner von Siemens, Gustav Kirch-hoff, Galileo Ferraris, ...). Enfin, les bénéfices numéraires et sociaux de l’exposition serviront de base à la création du premier Laboratoire Central d’Électricité et de l’École Supérieure d’Électricité quelques années plus tard. En ce 20 novembre, les moteurs s’arrêtent, mais la grande machinerie de l’électricité continue de tourner.

Les prémices de l’exposition

Le genre de l’exposition comme moyen de vulgarisation et de démonstration des nouvelles avancées technologiques ne date pas de 1881. En effet, les expositions industrielles se sont succédées, depuis celle de Crystal Palace (Londres) en 1851, mettant chacune en avant les atouts des états organisateurs : industrie, commerce, colonies, etc. Lieu de rendez-vous pour la bourgeoisie du XIXe siècle, une exposition est un moyen original de toucher un large public afin de diffuser des idées nouvelles, et créer ainsi des besoins nouveaux chez les consomma-teurs, ce qui explique l’intérêt des financiers. En 1881, la nouveauté réside dans le fait de réussir à organiser un tel évènement autour d’un seul thème : l’électricité.

Un premier projet d’exposition sur le thème central de l’électricité a déjà été proposé en 1876 en Angleterre, à South Kensigton, par le Special loan collection of scientific apparatus.

17. Le « Palais des Arts et de l’Industrie », construit pour l’Exposition Universelle de 1855 sur les Champs Élysées est détruit en 1897 en vue de l’Exposition Universelle de 1900 et remplacé par les actuels Petit Palais et Grand Palais.

18. Cardot et Caron 1991, p. 27

19. Sauf mention contraire explicite, l’exposition à laquelle nous feront référence par la suite est celle de 1881.

Un projet similaire est proposé un an plus tard en France par le comte Hallez d’Arros, alors secrétaire d’un journal spécialisé nouvellement créé, L’Électricité.20 Cette nouvelle revue devait d’ailleurs servir d’organe de diffusion à l’exposition souhaitée, dont le projet échoua. Si l’exposition de 1881 peut finalement avoir lieu c’est dû, pour l’historien de l’électricité Alain Beltran, à trois raisons : une accélération du rythme des innovations, la constitution d’un milieu et l’arrivée d’un appui politique.21

Au niveau des innovations, on trouve dès 1871 une avancée majeure avec la description par Zénobe Gramme de la dynamo, considérée comme la première génératrice moderne de courant, en se basant sur le principe de l’anneau du physicien italien Antonio Pacinotti.22

En 1873, Hypolite Fontaine réalise le premier transport de force lors de l’exposition de Vienne. En 1875, Charles F. Brush introduit un régulateur pour les lampes à arc, permettant une augmentation de la durée d’utilisation en limitant la combustion des électrodes. Un an plus tard, Paul N. Jablochkoff crée la bougie électrique qui porte son nom, et qui sera utilisée pour éclairer l’avenue de l’Opéra dès 1877. La lampe à incandescence, introduite indépendamment par Thomas Edison aux États-Unis et par Joseph Swan en Grande-Bretagne, vient résoudre les problèmes des lampes à arc (voir Annexe n°8 p. 457).

Le développement et la diffusion de ces innovations se fait également grâce à un milieu en cours de constitution. La première pierre est posée par les télégraphistes qui publient, au sein des Annales de Télégraphie, les premiers articles sur l’électricité. Ce cercle, que l’historien Michel Atten désigne à son origine comme le « groupe des Annales »,23s’étend pour accueillir « des amateurs audacieux qui comprennent vite l’importance des innovations dont ils sont les contemporains ». Ainsi, le docteur Cornélius Herz crée dans les années 1870 le Syndicat français d’électricité. Il fonde également en 1879 le journal La Lumière Électrique, dont il confie la direction scientifique à l’ingénieur des Télégraphes Théodore du Moncel.24

Dans son ouvrage dédié à l’École Supérieure d’Électricité, Girolamo Ramunni argue des rivalités entre télégraphistes et électriciens pour justifier le manque de soutien apporté dans l’organisation de l’exposition de 1877, les premiers étant inquiets de voir leur discipline de-venir une petite partie des applications de l’électricité. Néanmoins, une exposition dédiée

20. Le journal L’Électricité : Revue scientifique illustrée paraîtra jusqu’en 1894. 21. Beltran et Carré 2016, p. 54.

22. Cette paternité est l’objet d’une controverse, mais il est reconnu que c’est bien Pacinotti qui a mis en œuvre le principe de fonctionnement qu’il décrit dans un mémoire en 1863, et Gramme a créé une machine plus perfectionnée, qu’il décrit en 1871. Les travaux de ce dernier semblent indépendants du premier. Source : « Gramme and the invention of the dynamo », Nature, 28 décembre 1946, p. vol. 158 (Notice bibliographique du livre : Pelseneer 1944).

23. Atten 1993.

à l’électricité permet au groupe des télégraphistes, seul domaine organisé de l’électricité à l’époque en France, de mettre en avant cette avance par rapport aux autres domaines de l’électricité. On peut donc penser que les télégraphistes sont plutôt partisans d’une telle manifestation.25

Le troisième élément déterminant pour la réussite du projet d’exposition de 1881 est l’arrivée d’Adolphe Cochery au ministère des Postes et Télégraphes en février 1879. Cochery, favorable aux télégraphistes, dépendait jusqu’alors du ministère des Finances et occupait un poste de sous-secrétaire aux postes et télégraphes.26

Il avait profité de sa position pour créer en octobre 1878 l’École Supérieure de Télégraphie. Cette école subira dix ans plus tard les conséquences d’un changement politique, avec l’absorption du ministère de Cochery par le ministère du Commerce, et deviendra essentiellement une école de formation pour les administrateurs des postes (voir page 146).

Si les conditions d’élaboration de l’exposition de 1881 restent floues, (Ramunni parle ainsi de décisions prises lors d’un dîner d’affaire), un rôle central est joué par Cornélius Herz. Parmi les autres protagonistes, on trouve d’ailleurs une large diversité : Jules Bapst, directeur du Journal des débats, Adrien Hébrard, directeur du Temps, le banquier Jacques de Reinach et Georges Berger, ancien élève de l’École des Mines et ingénieur des chemins de fer. Ils obtiennent le soutien d’Adolphe Cochery.27

Le comité d’organisation est le reflet de la volonté de réunir plusieurs catégories de métiers. Autour du commissaire général Georges Berger — déjà coutumier des expositions universelles puisqu’il a participé à celles de 1867 et 1878, et plus tard à celle de 1889 — se retrouvent des scientifiques tels Edmond Becquerel, Éleuthère Mascart, Marcellin Berthelot, Jules Jamin, ou Jean-Baptiste Dumas ; des inventeurs comme Antoine Bréguet (X 1872, qui succède à son père Louis Bréguet à la tête des ateliers de la famille)28 ou Théodore du Moncel ; des ingé-nieurs des télégraphes ; des représentants des chemins de fer ; des financiers ; des journalistes ; etc. L’État participe également en accordant une subvention de 300 000 F (en plus des 700 000 F récoltés par le biais d’une association privée de levée de fonds), et en prêtant le Palais de l’industrie.29

25. Ramunni 1995, p. 27.

26. Ce poste nouvellement créé fait suite à l’absorption des télégraphes par l’administration postale six ans plus tôt.

27. Cardot et Caron 1991, p. 22-3, note 15. Le Journal des débats et le Temps sont des quotidiens à grand tirage, le premier datant de la révolution, le second de 1861. Herz et de Reinach furent mêlés au scandale du Panama en 1892. Herz partira en Grande-Bretagne, de Reinach se suicidera. La revue La Lumière Électrique changera de nom suite à cet évènement, en 1894 pour devenir L’Éclairage Électrique. Voir chap. 10.

28. Source : Base Léonore, Dossier LH/355/96.

Une exposition grand public

Nous n’avons pas ici pour objectif de détailler les différents exposants qui furent présents lors de l’exposition. Nous rappellerons simplement les éléments principaux sur sa présentation globale.30 Les exposants sont répartis sur deux étages au sein du Palais de l’Industrie. Au rez-de-chaussée, une moitié du hall est réservée aux exposants français. On y trouve princi-palement des compagnies comme les chemins de fer (Chemin de fer de l’Ouest, Chemin de fer du Nord, Chemin de fer de P-L-M Paris-Lyon-Marseille) ; des compagnies d’éclairage (Société Jablockhoff) ou de moteurs (Société Gramme, Société Siemens) ; ainsi que des administra-tions (Ville de Paris, Ministère des Postes et Télégraphies, Ministère de la Guerre). L’autre moitié est dédiée aux exposants étrangers — 15 pays autres que la France, dont les principaux exposants sont l’Angleterre et l’Allemagne.31

À l’étage sont situées des salles dans lesquelles les électriciens et industriels présentent leurs appareils. L’exposition est organisée selon des groupes, ayant chacun trait à un aspect de l’électricité : production, transmission, électro-métrie, etc. Parmi ces différents groupes, celui des applications de l’électricité est le plus présent et le plus attendu, avec des applications comme l’éclairage, les moteurs électriques, la téléphonie, l’électrochimie ou l’électricité médicale.32

La principale qualité de cette exposition — qui était, paradoxalement, une source de ques-tionnement sur son attractivité lors de son organisation — est la nouveauté proposée aux visiteurs, avec des stands dédiés uniquement aux technologies électriques, contrairement aux autres expositions universelles de l’époque. Le journaliste et écrivain Henri de Parville écrit alors :33

Tout dans cette enceinte tient du merveilleux ; on n’était plus ici, comme dans les Expositions universelles, en face d’industries connues ; tout y était neuf, tout y était plein d’originalité et de surprise.

En particulier, le fonctionnement de toutes les machines comme les machines à coudre, les

30. Pour une description détaillée de l’agencement de l’exposition voir La Lumière Électrique, vol. IV (1881), p. 213-219 ; et Parville 1883, p. 1-12.

31. Henri de Parville donne la répartition suivante : 1764 exposants dont France, 937 ; Belgique, 208 ; Allemagne, 148 ; Angleterre, 122 ; Autriche, 37 ; Suède, 23 ; Espagne, 23 ; Norvège, 19 ; Pays-Bas, 18 ; Hongrie, 10 ; Italie, 8 ; Danemark, 5 ; Suisse, 4 ; Russie, 3 ; Japon, 2. Il ne donne aucun chiffre pour les États-Unis, qui auraient 197 exposants d’après cette répartition. Source : Parville 1883, p. 11

32. Cardot et Caron 1991, p. 27. 33. Parville 1883, p. 11-2.

scies ou les ventilateurs sans aucune force motrice apparente étonne fortement le grand public. La « transmission de mouvement » ou les « moteurs à vapeur ou à gaz » sont remplacés par « de simples fils de transmission ».34

Un aspect en particulier de l’exposition est la raison de son succès populaire : la volonté de toucher le plus large public possible. L’exposition a été conçue et mise en place pour faire de l’électricité un grand spectacle. En témoigne les descriptions faites dans les différents journaux de l’époque, peignant l’exposition à grands traits mélioratifs, et confinant parfois au fantastique :35

C’était le soir qu’il était préférable d’entrer pour la première fois à l’Exposition. Si l’on n’avait su d’avance où se trouvait le palais, on l’aurait bien vite deviné à la lueur qu’il projetait au loin sur la ville. On aurait dit que le feu était aux Champs-Élysées ou qu’une magnifique aurore boréale resplendissait à l’occident. La lumière s’échappait par les plafonds vitrés et allait éclairer les nuages. Deux puissants foyers électriques munis de réflecteurs et installés au sommet du portail de la porte d’honneur envoyaient leurs sillons étincelants sur l’Arc-de-Triomphe et la place de la Concorde. Tantôt la fumée des machines se rabattait dans la zone d’éclairement et prenait des tons pourpres et fauves d’incendie ; elle roulait des vagues lumineuses qui s’élevaient et s’abaissaient dans l’obscurité de la nuit. Tantôt, au contraire, l’espace était libre et le faisceau brillant ondulait et vibrait dans des scintillements éblouissants ; aux premiers plans, on la voyait courir sur la cime des marronniers, et la crête des feuilles s’allumait et prenait des tons d’émeraude on eût dit d’une pelouse ensoleillée suspendue dans les airs. Aux seconds plans, le rayon fouillait et embrasait les massifs humides il les couvrait de reflets chatoyants, et les petites gouttelettes de rosée tombaient lentement une à une comme des perles aux couleurs d’arc-en-ciel. Au loin, les maisons étincelaient au milieu d’une auréole blanche. Le coup d’œil était singulier, et l’on se serait cru volontiers transporté dans un pays de féérie.[...] Le palais des Champs-Élysées était bien devenu le véritable palais de la Lumière.

Si la description d’Henri de Parville peut paraître aussi élogieuse, le développement des dispositifs électriques aux alentours du Palais de l’Industrie a de quoi attirer l’œil du visiteur. Outre les dispositifs d’éclairage installés près du palais, grâce auxquels Paris ne tarde pas à

34. Parville 1883, p. 8. 35. Parville 1883, p. 4-5.

acquérir son surnom de « ville lumière », on trouve également un tramway électrique, déve-loppé par l’entreprise Siemens, transportant les visiteurs de la place de la Concorde au Palais de l’Industrie. Un ascenseur, de la même entreprise, a été installé dans l’aile Est pour monter au premier étage. Une fois arrivé en haut, la majorité des salles sont équipées de dispositifs d’éclairage variés. Chaque salle présente des appareils électriques destinés à des usages de particuliers ou de petites entreprises : paratonnerres, avertisseurs d’incendie, horloges, jouets électriques, ou lampes Edison. Le téléphone est notamment très prisé, avec un instrument dé-veloppé par Clément Ader permettant d’écouter en temps réel les représentations de l’Opéra de Paris (le « théâtrophone »), et l’on trouve dans ces salles d’audition « de 3 000 à 4 000 personnes chaque soir », affluence plus que considérable.36

Parmi ces dispositifs, l’éclairage électrique est largement mis à l’honneur, et les nom-breuses présentations permettent de comparer les différents procédés. Comme le rapporte Louis Figuier, vulgarisateur scientifique de l’époque :37

La véritable et grande nouveauté, on peut le dire, qui s’est révélée à l’Exposition internationale d’électricité (1881), c’est l’éclairage des appartements, l’éclairage domestique.

L’éclairage électrique avait déjà fait ses premiers pas dans le domaine public au moment de l’exposition, comme en témoigne l’éclairage de l’avenue de l’Opéra en 1877. En 1880, il s’était élargi à l’ensemble de la ville, en utilisant néanmoins des dispositifs variés : lampes des compagnies Lottin, Siemens, Jamin, système Reynier, bougies Jablockoff, etc.38

Enfin, outre les démonstrations quotidiennes des exposants, des promenades-conférences sont également organisées. Très prisées du grand public, elles sont menées par des électri-ciens comme Théodore du Moncel pour la télégraphie, l’ingénieur des Arts et Manufactures Édouard Hospitalier pour les « usages domestiques », ou encore l’inventeur Hypolite Fontaine pour l’éclairage. L’accent est mis sur la vulgarisation, et « plus encore que lors de la visite des stands, la rencontre entre le public cultivé et curieux et les électriciens avait lieu dans ces conférences ». Hormis ces promenades, des conférences destinées au public sont également données par les membres du congrès qui se déroule en parallèle. Loin d’être négligées par les exposants ou les professionnels, ces conférences sont un moyen de faire valoir ses propres travaux théoriques ou pratiques. Car si le travail de présentation et de mise en valeur d’un stand peut relever de « l’évènement mondain », la participation à l’exposition est également

36. Parville 1883, p. 10.

37. Cardot et Caron 1991, p. 28. Cite Figuier.

Figure 5.1 – Plan du rez-de-chaussée du Palais de l’Industrie lors de l’Exposition de 1881. Source : Parville 1883, p. 13.

valorisée dans le domaine scientifique :39

Avoir été présent à l’Exposition de 1881 comme exposant ou comme congressiste, ou mieux, y avoir été récompensé par le jury, comme Deprez, Gramme, Planté, Christofle, Breguet, ... , resterait une référence.

Lors de cette exposition, des prix sont remis aux différents intervenants. Le jury des récompenses, composé de 150 membres, dont la moitié de scientifiques français, remet 50 mé-dailles d’or, 200 mémé-dailles d’argent et 500 mémé-dailles de bronze aux quelques 1764 exposants.40

Le congrès des électriciens

Le congrès des électriciens débute le 15 septembre, et est présidé par le ministre des

39. Cardot et Caron 1991, p. 29. 40. Voir Allard et al. 1883.

Postes et Télégraphes, Adolphe Cochery. Il est constitué de 250 membres, venant de 26 pays, regroupant des physiciens, des ingénieurs du télégraphe, des inventeurs, etc. La dé-légation française, nommée par le ministre, comporte une majorité de physiciens, membres des plus hautes instances scientifiques, ainsi que des spécialistes de l’électricité, et quelques ingénieurs ou inventeurs : Edmond Becquerel et Jean-Baptiste Dumas, respectivement pré-sident et secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences en font partie, aux côtés de Jules Jamin, Marcelin Berthelot ou Hippolyte Fizeau, tous membres de l’Institut des Sciences, ou d’Alfred Potier, nouvellement en charge du cours de physique à Polytechnique et d’électri-cité aux Mines. Parmi les spécialistes de l’électrid’électri-cité, Théodore du Moncel, qui est directeur scientifique du journal La Lumière Électrique, Marcel Deprez, Édouard Blavier, directeur de l’École Supérieure de Télégraphie, Léon Lalanne, directeur de l’École des Ponts et Chaussées. On retrouve également le docteur en physique Jules Violle, le professeur au collège de France Éleuthère Mascart et le directeur des études de Polytechnique (et ingénieur-électricien) Er-nest Mercadier parmi les membres du congrès. Outre la mainmise des grandes institutions comme l’Académie des Sciences ou l’Institut, on constate que tous les enseignants des écoles des corps de l’État sont présents (Polytechnique, Mines, Ponts et Chaussées, Télégraphie, ...). Au sein de cette assemblée de personnages académiques, quelques inventeurs détonnent, comme Paul Jablochkoff ou Hypolite Fontaine, alors président de la Chambre syndicale des électriciens.

Parmi les délégations étrangères, on retrouve certains des plus grands noms de la phy-sique, comme William Thomson ou Hermann von Helmholtz. Sont également présents des spécialistes de l’électricité comme Galileo Ferraris, considéré comme « le père de l’électro-technique italienne » et l’allemand Gustav Kirchhoff,41

et des inventeurs dont les créations tiennent les premiers rôles au sein de l’exposition : Werner Siemens, Graham Bell, Zénobe Gramme, Thomas Edison, etc. Si cette participation met en avant la naissance d’un véritable mouvement à l’échelle internationale, la cohabitation d’électriciens et ingénieurs français et étrangers sera d’ailleurs sources de tensions, liées aux rivalités entre constructeurs — les pre-mières compagnies de brevets industriels se développent pendant cette période —,42 ainsi qu’à la place que la France tient à conserver en tant qu’organisateur :43

41. Bracco 2017, p. 22.

42. Le Bureau des brevets de Berne, où Albert Einstein sera employé, est créé en 1888. Voir Bracco 2017, p. 174 en note.

Le congrès traduit à la fois l’existence d’un milieu international d’électriciens — scientifiques, ingénieurs et entrepreneurs — et la nette conscience de l’essor d’in-dustries nationales concurrentes — maisons Siemens, Edison, Brush, Gramme...

Outre les rivalités financières pour les parts de marché, des rivalités intellectuelles sur-vinrent, en particulier sur l’une des missions principales du congrès : l’établissement d’unités internationales pour l’électricité, qui restera la grande avancée de ce premier congrès.44 En effet, depuis le début de la généralisation des travaux sur l’électricité en Europe, des systèmes d’unités divers s’était opportunément développés selon les pays. Cette étude du congrès sur l’unification des unités était d’ailleurs attendue par beaucoup. Ainsi, lorsque Frank Géraldy, le secrétaire de rédaction de la Lumière Électrique évoque les missions du congrès dans le numéro du 3 août 1881, il annonce :45

La mission du Congrès est double. Il a d’un côté, au point de vue théorique