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Électricité et magnétisme jusqu’au XVIIIe siècle

La connaissance des phénomènes électriques est bien antérieure au XIXe siècle, et peut remonter jusqu’à l’Antiquité. Ainsi, l’ambre jaune (ηλǫκτρoν : electron), à laquelle l’« électri-cité » doit son nom, présentait la particularité de pouvoir attirer des objets légers lorsqu’elle était frottée avec un tissu. Au XVIe siècle, un médecin anglais, William Gilbert (1544-1603), est le premier à dénommer « électriques » les corps qui, comme l’ambre, détiennent le pouvoir

d’attirer certains autres corps après avoir été frottés.1

Plus important encore, Gilbert marque une différence entre les corps « électriques » comme l’ambre, et les corps « magnétiques », comme la magnétite, une roche capable d’attirer le fer. Pour lui, l’électricité est une vapeur subtile relâchée par un corps électrique lors de la friction, et qui peut atteindre un corps voisin.2

Toujours en Angleterre, Francis Hauksbee (1660-1713) perfectionne les machines permet-tant « d’électriser » les corps, et multiplie les observations en utilisant des feuilles d’or ou d’argent. De son côté, Stephen Gray (1666-1736) découvre en 1729 l’électrification des métaux par influence. C’est le Français Charles-François Dufay (1698-1739) qui introduit l’hypothèse de deux électricités distinctes, en observant le comportement des corps chargés, en particulier les corps comme le verre ou le cristal d’une part, et les corps comme l’ambre, la gomme ou la cire d’autre part. Il nomme ainsi les deux électricités « vitreuse » et « résineuse » en réfé-rence à ces deux familles. En 1745, von Kleist et von Musschenbroeck (travaillant à Leyde, aux Pays-Bas) découvrent un moyen de stocker l’électricité et baptisent cet instrument la bouteille de Leyde. Ce dispositif deviendra plus tard le condensateur électrique.

La notion de fluide électrique apparaît avec les travaux de Robert Symmer (1707-1763), membre de la Royal Society. En réalisant des expériences sur des pièces de tissu — certaines faites involontairement sur les bas qu’il portait — Symmer arrive à la conclusion que l’élec-tricité se comporte comme deux fluides. Si les idées de Symmer prennent rapidement sur le continent, où il sera reconnu dès la fin du XVIIIe siècle comme l’inventeur de la théorie des deux fluides, il peine à s’imposer dans son propre pays. En Grande-Bretagne, ce sont les idées de Benjamin Franklin (1706-1790) qui dominent. Ignorant les hypothèses de Dufay, Franklin considère dès les années 1740 que l’électricité est unique, et emplit tout les corps. Il introduit alors le concept de corps électrisés « positivement » lorsqu’ils ont un excès d’électricité, ou « négativement » dans le cas d’un défaut.3

Cette idée de substance unique sera reprise par certains Britanniques franklinistes, comme Benjamin Wilson, également membre de la Royal Society. Les idées de Franklin sont adaptées au concept de fluide, pour donner un fluide unique. Cette dernière théorie prédomine en Grande-Bretagne, alors que la théorie des deux fluides reste majoritaire chez les continentaux.4

Avec les études quantitatives de Charles Coulomb, ingénieur militaire de l’école

d’artille-1. Pour des précisions sur cette partie voir Annexe n°1 p. 425. 2. Heilbron 1982, p. 161.

3. Malheureusement pour les physiciens, cet excès de fluide électrique correspond en fait à un défaut d’électrons, entraînant la curiosité à laquelle tout élève est un jour confronté : le déplacement des charges dans un conducteur se fait en sens inverse de la convention attribuant un sens positif au courant.

rie de Metz, dans les années 1780, la notion de masse de fluide électrique apparaît. La loi d’interaction entre deux corps chargés, obtenue par Coulomb, peut s’expliquer en faisant l’hypothèse des deux fluides se déplaçant, l’un attribuant une charge positive et l’autre une charge négative. La loi de Coulomb exprime alors que l’action entre les corps est propor-tionnelle à la masse de fluide contenue dans chacun des corps (et à l’inverse du carré de la distance). Cette hypothèse de fluides électriques restera longtemps utilisée pendant le XIXe siècle, en particulier en France, et avec elle la notion de masses électriques. Elle est reprise par les polytechniciens du début du XIXe siècle, notamment Siméon Denis Poisson, qui établit en 1812 l’équation éponyme.

Si les hypothèses des atmosphères ou des fluides électriques permettent de rendre compte des phénomènes sur la nature de l’électricité, le bât blesse concernant le mécanisme de propa-gation, notamment sur les actions à distance, ainsi que sur les relations entre mouvement des corps chargés et attraction (ou répulsion) des fluides électriques. L’historien des sciences John Heilbron remarque que « les physiciens du XVIIIe siècle ne se satisfaisaient pas du schème élé-mentaire de forces à distance dont les historiens les ont crédités ».5 Deux questions se posent notamment en remarquant que la charge s’accumule à la surface, et donc qu’aucune force ne s’exerce entre fluide(s) électriques(s) et molécules du conducteur : qu’est-ce qui retient une charge à la surface ? Comment les attractions et répulsions électriques développent-elles les forces pondéromotrices qui peuvent engendrer un courant dans les conducteurs ?

Concernant le magnétisme, la principale avancée théorique est encore une fois à mettre au crédit de Coulomb, qui introduit deux fluides — austral et boréal — interagissant via une loi de force en 1/r2. Même si cette théorie propose une argumentation moins directe que sa théorie électrique, et que ses mesures magnétiques sont également moins précises, la possi-bilité de regrouper les différentes interactions sous la bannière de la loi en 1/r2, comme la gravitation, séduit les disciples de Laplace. Les théories de l’électrostatique et du magnétisme disposent alors toutes les deux d’une base mathématique fondée sur une même dépendance avec la distance de l’interaction.

Découverte du courant électrique et premières expériences

Les phénomènes de conduction électrique apparaissent à la fin du XVIIIe siècle avec Luigi Galvani, qui réalise sur des grenouilles des expériences électriques, en touchant avec un scalpel électrisé les muscles des batraciens. Interprétant mal les contractions musculaires

observées, Galvani attribue à ces phénomènes un caractère inhérent à l’animal. Le physicien de Pavie Alessandro Volta refuse cette hypothèse, et avance que les stimuli sont dûs au corps humide de l’animal et à la jonction entre deux métaux de nature différente : le cuivre retenant l’animal et le zinc du scalpel. En 1800, Volta réalise un système permettant d’amplifier la transmission d’électricité, en superposant des disques de zinc et de cuivre séparés par des rondelles de carton imbibées d’eau salée acidifiée. La « pile » ainsi créée permet de faire dé-vier l’aiguille d’un électroscope. En dépit de l’hypothèse de Volta sur le caractère purement électrique des phénomènes, la conduction électrique, qui se décline dans différents domaines, ouvre de nouvelles perspectives :6

Dans l’ensemble, la nouvelle science du galvanisme offrait un contraste saisissant avec l’électrostatique et le magnétisme. Ces derniers avaient atteint l’état de per-fection et étaient fièrement affichés par les Français comme des accomplissements majeurs de leur physique mathématique. Au contraire, le galvanisme était un champ riche, désorganisé, s’étirant dans plusieurs directions (physique, chimie, physiologie et médecine) mais surtout échappant à l’analyse mathématique.

Ces différents domaines vont néanmoins subir un rapprochement certain avec les expé-riences d’Œrsted en 1820. Utilisant une pile constituée de cellules cuivre-zinc remplies d’un mélange sulfates-nitrites, Œrsted crée un courant au sein d’un câble électrique, et observe l’action que ce courant crée sur une aiguille aimantée, et ce pour différentes positions du câble.7 Il tire trois conclusions de ces expériences concernant ce qu’il nomme le « conflit électrique » — le courant électrique étant à son sens une suite de décompositions et recom-positions. La première observation est la possibilité pour le conflit électrique d’agir sur un pôle magnétique, ce qui constitue la première liaison entre les domaines de l’électricité et du magnétisme. La deuxième information est qu’il n’est pas circonscrit au fil mais agit égale-ment dans le voisinage de celui-ci. Enfin, il forme un vortex autour du fil. Cette notion était d’ailleurs fondamentale pour Œrsted qui « plaçait au centre de l’électromagnétisme la dua-lité cercle-axe ».8

Nous nous permettons ici un aparté anachronique pour mettre en avant à

6. Darrigol 2000 (b), p. 3.

7. Pour observer une déviation maximale il faut que le fil soit placé à l’état initial selon l’axe de l’aiguille de la boussole. Dans un premier temps Œrtsed utilise un fil de platine assez fin, qui est porté à incandescence lorsque le courant le parcourt. Par la suite, il utilise un conducteur de diamètre plus important — donc de résistance plus faible — et obtient des effets magnétiques plus importants. Sur la réalisation de l’expérience voir : Steinle 2016, p. 52-9.

8. Darrigol 2000 (b), p. 5. Œrsted introduit pour décrire ce vortex la notion de dextrorsum, décrivant en botanique l’hélicité d’une plante grimpante. Cette idée ne résistera pas au « bonhomme d’Ampère » ou au « tire-bouchon de Maxwell » (voir 30 en note).

quel point les caractères essentiels de la future théorie électromagnétique (de Maxwell et ses successeurs) sont présents chez Œrsted : effets magnétiques d’un courant électrique, forme « tourbillonnaire » ou « rotatoire » de l’action et importance de l’espace entourant le fil.

Sur ce dernier point, deux remarques sont à faire. D’une part, une distinction quant au vocabulaire utilisé : comme nous l’avons déjà signalé nous appellerons « champ » l’espace ou la région de l’espace où se produisent les phénomènes considérés (électriques ou magnétiques), et « force » ou « force de champ » la grandeur qui quantifie l’action électrique ou magnétique sur un pôle unité. Nous parlerons de « force électrique » ou de « force magnétique » pour désigner les différents cas.9

Nous gardons ainsi la distinction faite tout au long du XIXe siècle. D’autre part, concernant l’émergence d’une théorie du champ, Heilbron avance que les « premiers mouvements » dans cette direction sont à chercher du côté des électriciens, et ne seraient pas dus à « des principes fondamentaux de métaphysique, épistémologie ou philosophie naturelle ».10 Cette origine explique l’absence ou, à l’inverse, la prédominance de l’idée de champ chez les scientifiques qui vont poursuivre les expériences d’électromagnétisme, selon leur formation. Parmi ces scientifiques, nous détaillerons avant tout les travaux d’André-Marie Ampère et Michael Faraday.