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Table des matières

I. Les buts de la répression pénale des infractions commises dans l’entreprise 104

II. La responsabilité pénale individuelle 106

A. Le principe de la responsabilité individuelle de la personne physique 106 B. Les délits propres commis dans un rapport de représentation (art. 29 CP) 107 C. La responsabilité pour omission en vertu d’un devoir spécial

de protection ou de surveillance 108

1. La position de garant de l’employeur 109

2. La responsabilité du chef de l’entreprise 110

a) L’arrêt Bührle 110

b) L’arrêt Von Roll 110

c) L’arrêt Rothornbahn 112

III. La responsabilité pénale de l’entreprise 113

A. La notion d’entreprise 114

1. La définition légale (art. 102 al. 4 CP) 114

2. La notion est-elle juridique ou économique ? 115 B. Les modèles de responsabilité de l’entreprise 116 C. La nature de l’art. 102 CP : norme d’imputation ou infraction sui generis ? 117 D. Le reproche fondant la responsabilité de l’entreprise (la « faute »

de l’entreprise) 119

1. Le défaut d’organisation (art. 102 CP) 119

2. La responsabilité sans faute dans le domaine du droit pénal

accessoire 121

E. L’infraction imputée à l’entreprise 122

1. La commission d’une infraction 122

2. Le contexte des activités commerciales conformes aux buts

de l’entreprise 123

3. L’intégration de l’agent commettant à l’entreprise 123

F. Les groupes de sociétés 124

IV. Conclusion 128

Liste des ouvrages cités 130

Travaux préparatoires 135

* Professeure au Départment de droit pénal de l’Université de Genève et juge à la Cour d’appel du pouvoir judiciaire. L’auteure remercie ses assistantes, Nadia Meriboute et Philomène May, toutes deux titulaires de la maîtrise en droit et du brevet d’avocat, du soin avec lequel elles ont contrôlé le mansucrit.

I. Les buts de la répression pénale des infractions commises dans l’entreprise

Lieu de collaboration par excellence, l’entreprise déploie une activité dans laquelle des infractions peuvent être commises moyennant la contribution de plusieurs personnes qui agissent à des niveaux divers. Plus que d’autres contextes, celui de l’entreprise pose donc la question de l’allocation des res-ponsabilités entre les différents acteurs : les simples employés, les collabo-rateurs dirigeants, les organes, les chefs de l’entreprise et l’entreprise elle-même, voire le groupe d’entreprises.

Comme le relèvent Guillaume Etier et Bernhard Sträuli dans leur contribution au présent ouvrage, le droit pénal poursuit un but rétributif et préventif, relevant de la prévention générale et spéciale1. Contrairement à la responsabilité civile2, la sanction pénale peut s’appliquer à des infractions contre des biens individuels ou collectifs qui ne causent aucun dommage ; elle peut intervenir en amont d’une lésion, par exemple en cas de tentative ou dans le cas des infractions de mise en danger (concret et abstrait).

Cela vaut évidemment aussi pour les infractions commises au sein de l’entreprise. La responsabilité individuelle de la personne physique, en par-ticulier des dirigeants de l’entreprise, reste l’enjeu crucial en matière pénale.

Les politiques des entreprises sont définies par des êtres humains que la menace d’une sanction peut détourner d’actions illicites, à condition d’être suffisamment concrète. C’est, en effet, la certitude de la peine, bien plus que sa sévérité, qui est susceptible d’influencer les conduites, comme nous l’a en-seigné Beccaria3. Les personnes physiques œuvrant au sein des entreprises restent les destinataires nécessaires des normes pénales et ne sauraient s’abri-ter derrière les politiques commerciales et de compliance défaillantes qu’elles ont contribué à façonner ou à exécuter. Cela est parfois oublié, comme l’il-lustre notamment, à l’heure actuelle, la douloureuse découverte, par certains employés de banque suisses, des risques pénaux qu’ils encourent personnel-lement en relation avec les infractions (au droit pénal fiscal étranger) com-mises dans leur activité au service de la banque.

Toutefois, depuis 2003, le législateur suisse tient aussi pour responsable l’entreprise elle-même, à certaines conditions. Le but premier de la création de la responsabilité pénale de l’entreprise relevait bien de la prévention géné-rale et même spéciale à l’égard de ces acteurs de l’économie. En fondant la

1 Cf. p. 20 ss (supra).

2 Cf. Chappuis, p. 74 (supra).

3 Beccaria, § XX.

responsabilité – du moins dans le modèle de la responsabilité directe4 – sur le reproche de ne pas avoir pris les mesures de prévention nécessaires, le législateur suisse a invité les entreprises à améliorer leurs stratégies de pré-vention et de contrôle. La perspective d’une condamnation de l’entreprise – et pas seulement d’une personne physique qu’il est facile de renvoyer – est plus satisfaisante sous l’angle de la prévention, puisque l’entreprise risque ainsi une atteinte à sa réputation, de même qu’à son patrimoine.

L’enjeu sous l’angle de la réputation est néanmoins limité en l’état actuel du droit et de la pratique judiciaire. D’une part, les condamnations pronon-cées contre des entreprises sont le plus souvent rendues de manière discrète, par une ordonnance pénale entourée d’une publicité minimale et, d’autre part, elles ne font pas l’objet d’une inscription au casier judiciaire. Le projet de loi fédérale sur le casier judiciaire informatique VOSTRA (notamment les art. 1 et 75 ss), publié le 20 juin 2014, est censé combler cette lacune5. Le Mes-sage du Conseil fédéral fait valoir à l’appui de la création du casier judiciaire pour les entreprises qu’elle permettra non seulement de fixer la peine en cas de récidive mais aussi de fournir aux entreprises un moyen de « prouver leur bonne réputation dans les relations d’affaires (preuve de conformité) »6. Ce serait même « un instrument précieux pour les investisseurs »7. Toutefois, le projet présenté ne réalisera ce programme ambitieux que très partiellement, du fait que cette preuve de bonne conduite risque de ne pas être entièrement fiable en cas de restructuration8 et que sa portée sera limitée aux jugements rendus par les autorités suisses (art.  77 al.  1 P-LCJ), contre des entreprises suisses9. En dépit de ces imperfections, le principe même d’un casier judi-ciaire pour les entreprises semble incontestable au regard des buts de pré-vention générale et spéciale de la mise en œuvre de la sanction pénale. Il est donc regrettable que le Conseil des Etats, saisi comme premier conseil, ait purement et simplement biffé la partie sur le casier judiciaire des entreprises (art. 75-113 du projet) lors de sa délibération du 10 juin 201510.

Si le premier but du droit pénal est punitif et préventif, celui-ci ne se ferme pas pour autant à l’idée de la réparation, qu’il entend favoriser en permettant au lésé, devenu partie plaignante (art. 104 lit. b et 118 CPP), de faire valoir des conclusions civiles déduites de l’infraction par adhésion à la procédure

4 Cf. p. 116 (infra).

5 FF 2014 5552 ; Curia vista 14.053 (traité par le seul Conseil des Etats au moment où nous finalisons ce manuscrit ; cf. BO CE 2015 476 (du 10 juin 2015).

6 FF 2014 5651.

7 FF 2014 5654.

8 FF 2014 5651.

9 Cette dernière limitation découle de l’exigence d’un no. IDE (art. 76 al. 1 lit. a P-LCJ).

10 BO CE 2015 488.

pénale (art. 122 ss CPP). Cette question est traitée dans la contribution de Vincent Jeanneret au présent ouvrage11.

Le but réparateur est aussi au cœur de l’art. 53 CP qui revêt une impor-tance non négligeable pour la pratique du droit pénal économique. Sous la note marginale « réparation », l’art. 53 CP prévoit que l’autorité compétente renonce à poursuivre, à renvoyer devant le juge ou à infliger une peine à l’auteur qui « a réparé le dommage ou accompli tous les efforts que l’on pou-vait raisonnablement attendre de lui pour compenser le tort qu’il a causé […] : a. si les conditions du sursis à l’exécution de la peine sont remplies (art. 42) ; et b. si l’intérêt public et l’intérêt du lésé à poursuivre l’auteur pénalement sont peu importants ». L’application de cette disposition a pour conséquence la renonciation à la poursuite au sens de l’art. 8 al. 1 CPP ou le classement en vertu de l’art. 319 CPP. La pratique en fait un usage qui va bien au-delà de la réparation du dommage civil, en incluant la « réparation » d’atteintes à des biens juridiques collectifs par le versement de sommes d’argent à des organisations caritatives. A titre d’exemple, on peut mentionner l’ordonnance de classement rendue par le Ministère public de la Confédération dans une affaire de corruption d’agents publics étrangers, à l’égard de la maison mère française du groupe Alstom, qui a bénéficié d’un classement sur la base de l’art. 53 CP, après avoir payé 1 million de francs au CICR12. Un autre exemple est celui des décisions de classement dans l’affaire des caisses noires de Siemens, dans laquelle l’art. 53 CP a été appliqué au regard de versements à différentes œuvres d’utilité publique13.

II. La responsabilité pénale individuelle

A. Le principe de la responsabilité individuelle