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François Bellanger *

V. L’établissement des faits

La question de l’établissement des faits est centrale dans une procédure ci-vile. Les parties ne disposent en effet souvent pas de tous les éléments de fait pertinents. La force d’une procédure dépend de la possibilité d’obtenir des informations ou documents en possession de l’autre partie ou de tiers.

Dans le canton de Genève, avant l’avènement du CPC, l’ancienne loi de pro-cédure civile du 10 avril 19875 était fondée sur le principe de la maxime des débats avec pour conséquence qu’il était quasiment impossible d’obtenir des éléments de l’autre partie et, a fortiori, de tiers. Le manque de moyens des parties pour forcer la production de documents rendait la procédure civile peu intéressante lorsque des investigations étaient nécessaires. La procédure pénale était alors sensiblement plus attrayante.

Avec le CPC, la situation a diamétralement changé. En effet, si la pro-cédure civile reste a priori soumise à la maxime des débats, la portée de ce principe devient plus limitée, voire s’efface dans de nombreux cas devant la maxime d’office. Cette situation est notamment illustrée par l’obligation de collaboration des parties et les devoirs des témoins.

Selon l’article 160 al. 1 CPC, les parties et les tiers sont tenus de collabo-rer à l’administration des preuves. Ils ont en particulier l’obligation de faire une déposition conforme à la vérité en qualité de partie ou de témoin (let. a), de produire les titres requis, à l’exception des documents concernant des contacts entre une partie ou un tiers et un avocat autorisé à les représenter à titre professionnel (let. b) ou encore de tolérer un examen de leur personne ou une inspection de leurs biens par un expert (let. c).

5 « aLPC ».

Dans les limites fixées par l’article 160 CPC, les parties peuvent et doivent donc s’exprimer. Elles sont exposées à deux formes d’audition : l’interroga-toire selon l’article 191 CPC, qui est la forme usuelle, et la déposition prévue par l’article 192 CPC. Ce mode est applicable à la partie réticente à répondre aux questions ou dont les réponses laissent présumer qu’elle ne déclarerait pas la vérité. L’article 192 al. 1 CPC autorise ainsi le tribunal à contraindre, sous la menace de sanctions pénales, les deux parties ou l’une d’entre elles à faire une déposition. Dans ce cas, l’article 192 al. 2 prévoit que les parties sont exhortées au préalable à répondre conformément à la vérité. La déposi-tion apparaît donc comme une forme d’interrogatoire très proche de celui qui pourrait exister en procédure pénale.

Dans le même sens, les parties doivent produire les pièces qui sont perti-nentes, soit les pièces utiles pour établir les faits nécessaires à la résolution du litige. Le tribunal peut ordonner la production de telles pièces, notamment si l’autre partie le demande.

Les motifs de refus d’une partie sont limités. Selon l’article  163 al.  1 CPC, une partie peut refuser de collaborer uniquement, d’une part, lorsque l’administration des preuves pourrait exposer un de ses proches au sens de l’article 165 CPC à une poursuite pénale ou engager sa responsabilité civile et, d’autre part, lorsque la révélation d’un secret pourrait être punissable en vertu de l’article 321 du Code pénal suisse du 21 décembre 19376. Au surplus, l’article 163 al. 2 CPC autorise les dépositaires d’autres secrets protégés par la loi à refuser de collaborer s’ils rendent vraisemblable que l’intérêt à gar-der le secret l’emporte sur l’intérêt à la manifestation de la vérité. Si l’un de ces motifs est réalisé, le refus de collaborer devient légitime au sens de l’ar-ticle 162 CPC et le tribunal ne peut donc inférer de celui-ci que le fait allégué est prouvé. A l’inverse, si le refus n’est pas justifié, le tribunal en tient compte lors de l’appréciation des preuves conformément à l’article 164 CPC.

En conséquence, une partie ne peut plus s’abstenir de révéler des infor-mations ou fournir des documents, sous peine de violer son obligation de collaborer.

Les tiers sont soumis à la même obligation de collaborer que les parties dans la mesure où ils sont visés par l’article 160 CPC au même titre que les parties. En revanche, les tiers bénéficient de droits de refus plus étendus que les parties. L’article 165 CPC instaure un droit de refus absolu pour les conjoints, partenaires ou parents. L’article 166 CPC prévoit lui un droit de re-fus restreint dans différentes hypothèses visant les situations dans lesquelles le tiers s’exposerait à s’incriminer lui-même ou un de ses proches, ou encore celles dans lesquelles un secret protégé serait violé.

6 « CP » ; RS 311.0.

En conséquence, la marge de manœuvre des parties pour réunir les faits pertinents est désormais très grande en procédure civile. Elle permet de for-cer les parties comme les tiers à collaborer dans de très nombreux cas. A notre avis, dans les procédures pour lesquelles les investigations ne dépassent pas nos frontières, le juge civil dispose maintenant de moyens quasi- équivalents au magistrat pénal. La différence majeure entre les recherches pouvant être effectuées par ces magistrats dépend de l’existence de secrets protégés ou non.

VI. Conclusions

Le choix de la voie civile ou pénale reste un éternel débat.

Les affinités de l’avocat chargé d’apprécier la situation et de proposer à son mandant la procédure déterminent souvent l’option retenue, les avocats pénalistes ou civilistes préférant naturellement le chemin procédural corres-pondant à leur spécialité. Au-delà de cette approche plutôt subjective, voire instinctive, plusieurs paramètres permettent de faire un choix objectif.

Comme nous l’avons indiqué au début de cet exposé, la question des coûts peut jouer un rôle déterminant. En effet, le montant des émoluments et frais en procédure civile peut être un obstacle rédhibitoire pour les plaideurs.

Si cette question financière peut être écartée, la procédure civile permet aujourd’hui d’établir les faits de manière presque aussi efficace que la procé-dure pénale. Cette dernière a perdu avec le CPC un avantage important. Il ne s’agit plus désormais d’un critère déterminant dans la majorité des cas.

La procédure civile permet au justiciable de garder le contrôle sur la géo-métrie et les délais de la procédure. Ce point est essentiel, car, dans la plupart des cas, la procédure pénale échappe au plaignant : c’est une machine qui fonctionne selon ses propres règles et à son rythme. L’expérience montre ré-gulièrement que les procédures pénales démarrent souvent sur les chapeaux de roues, de manière très intense, puis, plus ou moins rapidement, tournent au ralenti. Dans les affaires complexes, nombreuses sont les procédures qui durent plusieurs années. Il est donc très difficile de faire des prévisions sur le déroulement de la procédure. En outre, plus la procédure dure, plus les coûts liés à la représentation par des avocats augmentent. Les parties arrivent ainsi souvent épuisées, tant sur le plan personnel que matériel, au terme de la procédure. A l’inverse, en matière civile, le rythme prévisible de la procédure comme le contrôle exercé par les parties sur celle-ci permettent d’arriver à un résultat plus rapide.

En outre, les parties peuvent mettre un terme à une procédure civile, no-tamment en transigeant (cf. art. 241 CPC). Elles n’ont pas cette faculté dans la procédure pénale. C’est un point important, car l’ouverture de la procédure pénale crée souvent une rupture irréversible entre les parties. A l’inverse, le début d’une procédure civile tend généralement les relations entre les parties mais des discussions peuvent continuer. Un accord peut donc intervenir à tout moment et mettre un terme à la procédure.

Les risques et profits sont donc beaucoup plus facilement mesurables en procédure civile, ce qui doit inciter à favoriser celle-ci, sauf si le caractère pénal des faits est clairement prépondérant et justifie le choix de la procédure pénale.

quelle action, ou quel choix de procédure,