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B. En droit pénal

2. Le rapport d’imputation objective

Entre une action et un résultat déjà reliés par un rapport de causalité natu-relle (supra 1), il existe un rapport d’imputation objective si la première crée ou augmente de façon prohibée (non autorisée) un risque de survenance du second, risque qui se réalise en outre dans ce même résultat134.

a) La création ou l’augmentation prohibée d’un risque de survenance du résultat

La première partie de la formule de l’imputation objective permet d’abord de soustraire à la punissabilité les actions naturellement causales qui ne créent aucun risque de survenance du résultat, ainsi le déplacement par une infir-mière du lit d’un patient mourant d’une chambre commune de l’hôpital vers une chambre individuelle, où survient le décès. Elle permet ensuite de faire de même avec les actions naturellement causales qui accroissent un risque

134 Pour une présentation compacte de la problématique, voir Donatsch / Tag (note 88), p. 88-92 ; Gropp Walter, Strafrecht, Allgemeiner Teil, 4e éd., Berlin/Heidelberg 2015, § 4 nos 85-109.

de survenance du résultat dans une mesure juridiquement insignifiante, par exemple le déversement d’un seau d’eau dans un torrent en crue qui s’en va inonder la cave d’une villa et endommager les biens que le propriétaire y a entreposés. Enfin et surtout, elle permet de soustraire à la punissabilité les actions naturellement causales demeurant dans les limites du risque auto-risé, c’est-à-dire les comportements qui incorporent notoirement un danger de survenance du résultat, mais qui s’avèrent socialement indispensables ou utiles, comme l’exploitation d’une centrale nucléaire, la construction d’un ouvrage du génie civil, la participation à la circulation routière ou la vente d’articles de la vie quotidienne susceptibles d’être utilisés à des fins illicites (couteau de cuisine, cutter, etc.).

Le départ entre le risque autorisé et le risque prohibé est fonction de l’observation ou alors de la violation par l’auteur des règles de prudence com-mandées par les circonstances et sa situation personnelle. La question est donc identique à celle de l’« imprévoyance coupable » (supra IV B 3 b) au sens de l’article 12 al. 3 CP définissant la négligence, mais concerne tout autant les infractions intentionnelles (supra IV B 3 a). L’imprévoyance considérée com-porte un volet interne et un volet externe.

L’imprévoyance interne est donnée lorsque l’auteur pouvait et devait reconnaître l’avènement du résultat et les grandes lignes de l’enchaînement causal y ayant conduit, bref, lorsque l’auteur pouvait et devait prévoir ces élé-ments (cf. supra IV B 3 b). La jurisprudence opère ici traditionnellement avec le concept de la causalité adéquate : est prévisible ce qui s’inscrit dans le cours ordinaire des choses et s’avère conforme à l’expérience générale de la vie135. La méthode est contestable – pour ne pas dire contraire à l’article 12 al. 3 phr. 2 CP (« situation personnelle ») – car elle ne conduit à une solution exacte et équitable que si l’auteur à juger présente les caractéristiques « générales » de l’agent « ordinaire », si l’intéressé est donc représentatif de la moyenne de ses concitoyens. Elle revient en revanche à poser des exigences excessives lorsque les capacités cognitives de l’auteur sont inférieures à la moyenne (« Schlechter­

wisser »), respectivement des exigences insuffisantes lorsque les capacités co-gnitives de l’auteur sont supérieures à la moyenne (« Besserwisser »)136. Dans l’appréciation de la « reconnaissabilité » du résultat et du déroulement causal des événements, par exemple d’un accident de la circulation débouchant sur la lésion corporelle d’un autre usager de la route, il n’est donc pas indifférent que l’automobiliste à juger soit un jeune conducteur titulaire du permis de conduire depuis quelques semaines seulement ou un chauffeur profession-nel ayant quelques centaines de milliers de kilomètres à son actif.

135 Cf. ATF 131 IV 145 c. 5.1 ; ATF 133 IV 158 c. 6.1 ; ATF 134 IV 193 c. 7.3 ; ATF 135 IV 56 c. 2.1-2.2 ; ATF 138 IV 57 c. 4.1.3.

136 Cf. ATF 134 IV 255 c. 4.2.3.

L’imprévoyance externe est donnée lorsque le comportement de l’auteur à juger diverge essentiellement de celui qu’aurait adopté une personne pru-dente placée dans la même situation et dotée des mêmes capacités de réac-tion. Pour définir la prudence ainsi requise, le juge se référera aux disposi-tions étatiques existantes (lois, ordonnances, règlements)137. A défaut et pour autant qu’elles soient généralement reconnues, il prendra appui sur les pres-criptions d’origine semi-publique (par exemple les directives élaborés par la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents [SUVA]) ou privée (par exemple les règles édictées par la Fédération internationale de ski [FIS])138 qui régissent l’activité considérée139. Quelle que soit leur nature, les normes pré-citées n’ont cependant qu’une valeur indicielle et ne lient pas le juge, auquel il appartient toujours de formuler les exigences de la prudence en fonction des « circonstances » (art. 12 al. 3 phr. 2 CP) du cas particulier à trancher140. Sous peine à nouveau d’aboutir à des solutions inexactes parce qu’inéqui-tables, il s’agira donc de tenir compte des aptitudes inférieures (« Schlechter­Schlechter­

könner ») ou supérieures (« Besserkönner ») à la moyenne de l’auteur à juger : placer sa voiture en glisse sur la chaussée afin d’éviter une collision avec un autre véhicule ne sera certes pas attendu d’un automobiliste ordinaire, mais bien d’un ancien pilote de rallye. Cette analyse individualisée s’effectue ici aussi selon une perspective ex ante (cf. supra IV B 3 b). En l’absence de toute disposition définissant la prudence (a priori) requise, l’imprévoyance externe est susceptible de trouver son fondement dans la violation de l’un des deux principes généraux suivants : quiconque crée une situation dangereuse doit faire tout ce qui est raisonnablement exigible de lui pour éviter que le dan-ger ne se réalise (allgemeiner Gefahrensatz)141 et quiconque ne dispose pas des capacités nécessaires pour accomplir une tâche dont l’exécution comporte des risques pour autrui est tenu de s’en abstenir purement et simplement (Übernahmeverschulden)142.

b) La réalisation dans le résultat du risque créé ou augmenté de façon prohibée

La seconde partie de la formule de l’imputation objective permet de sous-traire à la punissabilité toutes les situations dans lesquelles le risque créé ou augmenté de manière prohibée (supra a) ne se trouve finalement pas à l’origine du résultat parce qu’un autre risque s’est réalisé dans celui-ci. Pour

137 ATF 127 IV 34 c. 2a ; ATF 130 IV 7 c. 3.3 ; ATF 135 IV 56 c. 2.1.

138 ATF 106 IV 350 c. 2a ; ATF 122 IV 17 c. 2b/aa.

139 ATF 122 IV 145 c. 3b/aa ; ATF 127 IV 62 c. 2d ; ATF 130 IV 7 c. 3.3.

140 ATF 135 IV 56 c. 2.1.

141 ATF 127 IV 62 c. 2d ; ATF 134 IV 255 c. 4.2.2 ; ATF 135 IV 56 c. 2.1.

142 ATF 135 IV 56 c. 4.3.2.

exprimer positivement l’exigence ici en cause, une relation de risque (�isiko­�isiko­

zusammenhang) doit exister entre l’action et le résultat incriminés.

Cette relation de risque est susceptible de manquer dans un grand nombre de configurations, dont le traitement juridique est toutefois encore assez largement controversé. On se limitera donc à mentionner trois acquis de la jurisprudence fédérale.

D’abord, le rapport d’imputation objective fait défaut lorsque le lésé, sans avoir donné son assentiment (supra IV B 4) ou son consentement (infra VI B 3) à la survenance du résultat, notamment parce qu’il croit en sa bonne étoile, assume en toute connaissance de cause et en pleine liberté le risque de cette survenance. Conformément à ce principe, un motocycliste qui tracte à grande vitesse un cycliste s’étant accroché à son bras de façon délibérée et en pleine conscience du danger inhérent à l’entreprise ne saurait être condamné du chef de lésion corporelle grave (art. 122 al. 1, art. 125 al. 2 CP) ou d’homicide (art. 111, art. 117 CP) si le cycliste chute de son engin et se blesse ou se tue143.

Ensuite, le rapport d’imputation objective doit être écarté lorsque le risque qui se réalise ne fait pas partie de ceux que la règle de prudence violée a pour vocation d’écarter. L’automobiliste qui percute et blesse un autre usager de la route alors qu’il traverse un village en se conformant en tous points aux règles de prudence imposées par les circonstances ne saurait être condamné du chef de lésion corporelle simple (art. 123 ch. 1, art. 125 al. 1 CP) au motif qu’il avait, avant d’entrer dans la localité, dépassé la vitesse maximale auto-risée et se serait donc retrouvé plus tard seulement à l’endroit fatidique s’il avait respecté l’allure imposée144. Les prescriptions en matière de limitation de la vitesse ont pour fonction d’empêcher la survenance d’accidents sur les tronçons auxquels elles s’appliquent, et non pas celle d’assurer la sécurité du trafic en un autre lieu.

Enfin, le rapport d’imputation objective n’est donné que si le juge peut af-firmer avec une vraisemblance confinant à la certitude ou du moins avec un haut degré de vraisemblance que le résultat ne se serait pas produit si l’auteur avait adopté le comportement prudent attendu de lui dans les circonstances145. Alors seulement est-il établi que le résultat a été causé « par » (cf. art. 12 al. 3 phr. 1 CP) l’inobservation de la règle de prudence considérée. Ce rapport de connexité ou d’imprévoyance (Pflichtwidrigkeitszusammenhang) entre le com-portement imprudent et le résultat, cette exigence d’« évitabilité » du résultat sont par exemple absents lorsqu’un automobiliste dépasse la vitesse maxi-male autorisée, fauche un piéton et le blesse grièvement, l’enquête permettant

143 ATF 125 IV 189 c. 3.

144 ATF 94 IV 23 c. 2 (où le Tribunal fédéral raisonne toutefois à tort en termes de causalité naturelle).

145 ATF 130 IV 7 c. 3.2 ; ATF 133 IV 158 c. 6.1 ; ATF 134 IV 193 c. 7.3 ; ATF 135 IV 56 c. 2.1 + 5.1.

au mieux de retenir que la lésion corporelle ne serait vraisemblablement pas survenue si le conducteur avait circulé à l’allure prescrite.

VI. L’illicéité