• Aucun résultat trouvé

d’un devoir spécial de protection ou de surveillance

2. La responsabilité du chef de l’entreprise a) L’arrêt Bührle

La responsabilité pénale du chef de l’entreprise fut appliquée pour la pre-mière fois par le Tribunal fédéral dans un arrêt rendu en 1970, concernant l’affaire Bührle (ATF 96 IV 155). L’auteur fut le chef suprême de l’entreprise familiale éponyme, une société en commandite dont il fut le seul comman-ditaire et dont il devint l’administrateur unique lorsqu’elle fut transformée en société anonyme. Il fut condamné pour violation par dol éventuel de l’ar-rêté fédéral sur le matériel de guerre de 1949, pour avoir constaté que ses subordonnés avaient effectué des livraisons d’armes illicites et ne pas avoir ordonné la cessation de cette activité de manière suffisamment déterminée ni avoir fait des contrôles par la suite pour s’assurer de l’abandon de ces pra-tiques illicites. Le reproche formulé à son encontre relève ainsi de la violation d’un devoir de surveillance.

b) L’arrêt Von �oll

Ce chef de responsabilité fut considérablement élargi en 1996, dans l’arrêt Von Roll (ATF 122 IV 103), qui marqua le passage de la responsabilité fon-dée sur le simple devoir de surveillance de subordonnés à celle fonfon-dée sur le devoir d’organisation préventive des risques typiquement liés à l’activité à de l’entreprise.

Le groupe Von Roll avait livré, depuis une usine sise à Berne, différentes pièces de métallurgie commandées en apparence pour la construction de presses à forger en vue d’un usage industriel mais destinées en réalité à la construction d’un canon (« Supergun ») par le régime de Saddam Hussein, ce qui constituait une violation à la fois d’un embargo international et de la

24 Cf. Chappuis, loc. cit.

25 Sur cette question, cf. Cassani, Infraction sociale, p. 63.

loi fédérale sur le matériel de guerre de 197226. Plusieurs livraisons avaient été effectuées sans difficultés, jusqu’au moment où l’une d’elles fut bloquée à l’aéroport de Francfort par les autorités douanières allemandes soupçonnant une infraction à la loi allemande sur le contrôle des armes de guerre.

Les collaborateurs ayant conclu et exécuté les contrats ignoraient la des-tination réelle des pièces au début ; pour l’un d’entre eux, le Tribunal fédéral retint néanmoins le dol éventuel pour la dernière livraison. Les membres du conseil d’administration, quant à eux, n’avaient pas connaissance du fait que les pièces livrées pouvaient être des composantes d’armes dont l’exportation n’était pas autorisée.

De ce fait, l’accusé F., cumulant les casquettes d’administrateur délégué, de président de la direction, de dirigeant du groupe Von Roll et de chef du service juridique, fut condamné pour violation par négligence de la loi fédé-rale sur le matériel de guerre (art. 19 al. 2), au motif qu’il n’avait pas empêché la seule livraison postérieure à l’intervention des douaniers allemands. Le reproche qui lui fut adressé était d’avoir omis les mesures d’organisation qui lui auraient permis d’être informé sans délai du blocage de la livraison, d’élu-cider les faits et de mettre fin aux exportations illicites27.

Les leçons que l’on peut tirer de cet arrêt sont multiples :

– Seul F. fut poursuivi et jugé comme chef de l’entreprise. Pourtant, l’arrêt précise que le devoir de mettre en place un dispositif de sécurité per-mettant à l’organisation de réagir de manière adéquate et de prévenir les livraisons ultérieures, incombait à tous les membres du conseil d’admi-nistration, aux autres organes et membres d’organes, ainsi qu’aux diri-geants effectifs28. Cet arrêt ouvre donc largement la voie à la responsabilité pour défaut d’organisation de tous les administrateurs et dirigeants.

– Sur le plan subjectif, la violation du devoir d’organisation peut aussi être invoquée à l’égard des administrateurs et dirigeants qui ignorent que leurs subordonnés s’apprêtent à commettre des infractions pénales et à qui il n’est pas possible de reprocher le dol éventuel. Toutefois, la négligence n’est punissable que si l’infraction elle-même la réprime. La construction est donc inapte à saisir des infractions telles que celles contre le patri-moine, la corruption, le blanchiment d’argent, etc.

– Reste à définir l’étendue des mesures de prévention et d’organisation exi-gibles. La doctrine estime qu’elle est délimitée par le périmètre des affaires centrales pour l’activité de l’entreprise29, représentant un risque typiquement

26 Loi fédérale du 30 juin 1972 sur le matériel de guerre, RO 1973 107.

27 ATF 122 IV 103, p. 127.

28 ATF 122 IV 103, p. 128.

29 Stratenwerth, AT I, § 14, N 28 ; Heine, RPS 2001, p. 32.

lié à son activité30. Dans l’affaire Von Roll, le Tribunal fédéral confirme implicitement la pertinence de ce critère, en soulignant que l’entreprise était bel et bien active dans la fabrication de composantes d’armes pour la Suisse, et qu’il lui incombait, par conséquent, d’instaurer un système permettant d’empêcher des livraisons interdites à l’étranger31.

– Le Tribunal fédéral évoque l’hypothèse d’une délégation de certaines tâches, sans en préciser les conditions ni trancher définitivement la ques-tion de savoir si elle aurait pu libérer F. de sa responsabilité32.

– Enfin, le Tribunal fédéral admet implicitement la possibilité d’établir la responsabilité du chef de l’entreprise dans les groupes de sociétés33, sans toutefois approfondir cette question. En effet, F. fut condamné en sa qualité de chef de la maison-mère (« Konzernchef »), pour avoir omis de prendre des mesures qui auraient permis de détecter et prévenir une infraction commise au sein d’une filiale.

c) L’arrêt �othornbahn

Le principe de la responsabilité fondée sur la violation du devoir d’organisa-tion et de sécurité fut confirmé en 1998 et appliqué à des infracd’organisa-tions au code pénal, à propos d’un directeur de la Rothornbahn AG, qui fut jugé pour avoir causé la mort d’un skieur tué par une avalanche tombée sur une piste desser-vie par les installations de remontée mécanique de l’entreprise (ATF 125 IV 9 ; JT 2000 IV 78). Vu le fort danger d’avalanche, la piste aurait dû être fermée ou l’avalanche déclenchée artificiellement, ce qui aurait empêché la survenance de l’accident mortel.

Or, le directeur de l’entreprise était hospitalisé le jour de l’accident. Le chef de piste, qui aurait pu fermer la piste, rentrait d’une semaine d’absence et ne fut pas informé correctement de la situation de danger à son retour.

Aucun autre employé n’avait été désigné pour prendre la décision. De ce fait, le directeur fut reconnu coupable d’homicide par négligence, pour ne pas avoir organisé l’entreprise de manière à mettre en place un dispositif de

sécu-30 Donatsch / Tag, Strafrecht I, p.  383 ; Oertle, thèse, p.  106 ; Schubarth, RPS 1976, p.  384 ; BSK StGB I-Seelmann, Art. 11 N 54 ; Vest, RPS 1988, p. 300 s. Pour Godenzi / Wohlers (Compli- Compli-ance Officer, p. 236), la responsabilité s’étend aux actes « mit deren Begehung gerechnet werden muss » (« à la commission desquels il faut s’attendre »).

31 ATF 122 IV 103, p. 126-127 ; Heine considère néanmoins qu’il est douteux que le critère ait été rempli dans l’affaire Von Roll (RPS 2001, p. 32).

32 ATF 122 IV 103, p. 127-128. Pour une analyse doctrinale de la question de la délégation, cf. notam-ment Ackermann, Unterlassungsrisi�en, 157 s. ; Cassani, Responsabilité, p. 56 ss ; Godenzi / Wohlers, Compliance Officer, p. 236 ss.

33 WStR-Schubarth, § 9 Konzernstrafrecht, N 25 ; cf. également Chappuis, p. 86 ss (supra).

rité adéquat pour affronter ce type de situation. Plus précisément, il n’avait pas clarifié la question de savoir qui devait prendre la décision de fermer les pistes, ni veillé à la collecte et à la transmission adéquate des informations au sein de l’entreprise.

Les arrêts qui viennent d’être évoqués – surtout ceux rendus dans les affaires Von Roll et Rothornbahn – préfigurent la responsabilité de l’entre-prise, elle aussi fondée sur un défaut d’organisation.