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L’urbanisation dans les pays en voie de dévelop- dévelop-pement : le cas de l’Amérique Latine

PREMIÈRE PARTIE

TIQUES URBAINES

1.4 LA PAUVRETE ET L ’ AGREGATION DANS DES QUAR- QUAR-TIERS DEFAVORISES

1.4.2 L’urbanisation dans les pays en voie de dévelop- dévelop-pement : le cas de l’Amérique Latine

Les villes latino-américaines combinent les dynamiques euro-péenne et nord-américaine. Elles se sont bâties à partir de toutes sortes de négociations, de conflits, d’agencements entre la super-position de la culture occidentale et les structures de pensée des populations natives, durant leur essor (Rivara 1994).

Si l’on observe la politique de colonisation, différente au nord et au sud de l’Amérique, son influence sur la façon de penser la ville a constitué un processus de reconstruction de la ville colo-niale en ville républicaine, à la recherche d’une identité. Perfetti 1996Pendant qu’au nord primait l’extermination de la population

native pour dominer le territoire, au sud la domination écono-mique, politique et religieuse déterminait les politiques de coloni-sation et la façon de dominer un territoire dont les conditions topographiques agrestes étaient considérées meurtrières pour les colonisateurs.

Dans ce processus, le territoire s’est imprégné d’un métissage qui donnera leur caractère aux villes latino-américaines. De cette affirmation, on peut percevoir que les villes latino-américaines luttent pour leur propre réinvention et que les guerres civiles qui l’accompagnent sont le produit de cette tension, à l’origine pro-duit d’une recherche d’identité et de savoir-faire.

Même si ces agencements de la ville latino-américaine don-nent une image de sous-développement, mesuré selon le déve-loppement du premier monde, on peut analyser comment les processus d’édification et de conception de la ville, « les pratiques et trajectoires », étant différents de ce qu’ils sont dans le monde occidental (Choplin 2012 : 2), doivent être étudiés sous l’angle de ces réalités, parfois méconnues.

À partir du XXe siècle, le processus d’urbanisation accélérée des pays en voie de développement aura de l’influence sur la reconfiguration des villes et de la vie sociale. Bryan Berry (1987 : 75) décrit comment les populations de ces pays se sont multi-pliées par huit entre 1920 et 1960 et dans le cas des populations des villes, elles le sont par neuf, atteignant ainsi les taux de crois-sance les plus élevés du monde.5

Les villes des pays en voie de développement ont donc été confrontées à une urbanisation et à une migration intense, accé-lérée et massive, du rural vers l’urbain, laquelle dépassait leur capacité d’accueil. A cette situation s’ajoutent les faibles niveaux du développement économique, représentés par un taux

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5 En Europe, la population a seulement été multipliée par 0,6. Actuelle-ment, la majorité de la population mondiale (70 %) habitent dans la ville.

81,7 % de la population habitent dans les pays en voie de développement, alors que 18,3 % habitent dans les pays dits développés.

d’industrialisation inférieur à l’urbanisation et aux faibles taux d’absorption du marché du travail.

La tension de la ville affecte la périphérie, qui se voit trans-formée en lieu d’accueil et d’habitation pour les plus démunis :

« squatter or uncontrolled peripheral settlements » (Berry 1987 : 83). Ces lieux sont vus dans la même optique que les slums améri-cains ; comme des endroits où règne la désorganisation, la cor-ruption et la dépravation, et ils sont donc exclus de la vie sociale et économique de la ville.

Le cas de l’Amérique latine représente aussi bien celui des pays en voie de développement. Les villes latino-américaines du XXe siècle se définissaient par leur croissance, fait social déter-minant pour leur développement, que José Luis Romero (1976 : 319) définissait comme la massification urbaine. Ce phénomène s’expliquait par l’incorporation des villes au marché mondial à travers leurs économies mono-exportatrices ; par les débuts d’une industrialisation de substitution et par conséquent une accumulation de capitaux de la part d’une bourgeoisie émergente, par l’explosion démographique accélérée, par l’industrialisation et la migration rurale et par la croissance végétative de la population urbaine.

De cette façon, la société latino-américaine était confrontée à des situations qui, historiquement, comparées à celles des pays développés, ils surpassaient leur capacité d’adaptation dans une période de temps aussi courte. José Luis Romero (1976) caracté-rise ces villes massifiées comme des villes divisées en deux secteurs, l’un adapté à la vie urbaine, à ses enjeux et à ses normes, et l’autre, anomique, exclu, sans autre option que d’essayer de s’adapter et dans ce processus, rompre avec ses conventions.

« Les villes ont été avant tout l’écran sur lequel les chan-gements sociaux ont été le mieux annoncés, par consé-quent, là où la crise du système interprétatif de la nou-velle réalité s’est retrouvée le plus à nu ». (Romero 1976 : 317)

Pendant que la promesse d’ascension sociale continuait d’attirer des masses de migrants ruraux et de villes petites ou moyennes, il s’est produit une reconfiguration de la ville qui s’est étendue aux terrains ruraux à proximité de celle-ci. Les arrivants les plus démunis s’entassaient dans ces lotissements, lesquels, quand on a commencé à y héberger de nouvelles populations, sont rapidement devenus des zones avantageuses qui servaient aux intérêts d’enjeux spéculatifs en développant une urbanisation intensive.

Ces quartiers se caractérisaient par leur configuration sponta-née et rudimentaire. L’achat du terrain et la construction d’un logement représentaient un investissement élevé et un sacrifice pour les familles, lesquelles préféraient habiter dans l’urgence plutôt que de payer un loyer.

À partir de 1940, ces zones accélèrent leur croissance pour fi-nir par constituer le grand secteur populaire de la ville. Dans chaque pays, ces secteurs prennent un nom particulier qui parle de leur image telle qu’elle est perçue depuis l’autre côté de la ville : callampas (champignons qui poussent la nuit) au Chili, villas miseria en argentine, barriadas au Pérou, favelas au Brésil, ciudades perdidas au Mexique, cantengriles en Uruguay, urbanizaciones piratas et tugurios en Colombie, et en général, invasions, rancheríos ou colo-nies. Désormais à l’intérieur, les quartiers constitués portaient aussi un nom qui parlait de leur histoire ou des attentes de leurs habitants, par exemple Nouvel Horizon, Quartier Espérance ou en-core Nouvelle ville.

La volonté et l’aspiration à l’ascension sociale que représente le logement se confrontaient à celles de l’auto-construction et de la survie, mais aussi à une réalité cohabitant avec la criminalité et la prostitution.

« Là cohabitaient ceux qui luttaient pour monter plus haut, avec ceux qui avaient accepté la marginalité et glis-sé vers la prostitution ou le crime. Et ce contact stoppait les possibilités d’ascension vers la position minimale

de-puis laquelle on pouvait aspirer à ce paradis rêvé de la classe moyenne ». (Romero 1976 : 273)

Cependant, différents processus d’organisation sociale dans la constitution des quartiers montrent comment la volonté et le travail collectif ont renforcé la capacité d’organisation. Cette situation peut s’expliquer comme une conséquence du déplace-ment de communautés rurales entières qui ont conservé leurs habitudes et leur organisation communautaire, mais aussi comme une forme d’organisation qui correspond à la constitution de réseaux sociaux solidaires (Mangin 1967).

Bryan Roberts (2011) explique comment les quartiers infor-mels peuvent être vus comme une solution à la problématique urbaine du logement, constituant de fait une réponse populaire à la rapide urbanisation. L’urbanisation de la ville Latino-américaine, comparée à la ville américaine, dans un premier temps s’inscrivait dans la cohésion sociale, produisant de l’entraide pour survivre à une ville ségréguée. Alors qu’aux États-Unis, les gens étaient confrontés à un marché concurrentiel pour trouver un emploi et un logement, en Amérique Latine ces difficultés ont été surmon-tées grâce aux réseaux sociaux d’entraide qui ont aidé à bâtir des logements d’auto-construction et se sont consolidés à travers l’emploi informel. Ce qui, en Amérique du nord était considéré désordre social, était au sud, dans un premier temps, la base de la diversification et de la consolidation de la ville.

« The factors associated with social disorganization in US cities were the basis of local social order in the early stages of Latin American urbanization. Rural migrants, most of whom were poor, brought social diversity to the cities. But unlike in the early stages of growth of the Uni-ted States cities, they collaboraUni-ted with each other rather than competed or fled. Also, family labor and extended family unity were important shared resources for coping with poverty. The difference with the United States ex-perience recalls Castells’ (1976) observation that what the Chicago School identified as general features of ur-ban life were in fact characteristics of capitalism, such as market-based competition ». (Roberts 2011 : 421)

Partant de là, la ville latino-américaine nous apprend, dans sa première période d’urbanisation, que ces espaces, bien qu’ils soient des espaces de ségrégation dans la ville, se transforment en territoires dans la mesure où ils deviennent des espaces d’appropriation sociale, où les habitants recréent des conditions de vie sur une base solidaire pour affronter le dilemme de l’exclusion socio-économique. Cependant, l’intérêt régional de rentrer dans un système global concurrent, aura des consé-quences sur les inégalités dans les villes, sur les plus démunis et sur la façon de survivre depuis leur territoire.

Bien que les villes contemporaines soient aujourd’hui con-frontées aux processus de métropolisation, de privatisation, et de marchandisation des biens publics, sous toutes les latitudes ; le processus peut être différencié selon la vitesse de ces rapports dans les villes en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, où les effets de la privatisation sont plus intenses sur les plus démunis et sur les formes de résistance et de confrontation de ces chan-gements (Choplin 2012 : 3).

Même si les études urbaines travaillent à la déconstruction de la catégorie de villes du ‘tiers-monde’ et cherchent à montrer un rapport de connexion entre les villes du Nord et du Sud, plutôt que de dépendance (Choplin 2012 : 2), le processus de globalisa-tion emporte les villes sans faire distincglobalisa-tion. Ces villes cherchent à adhérer à un système de compétition global et régional, dans lequel les inégalités affectent plus directement les plus démunis.

Depuis 1999, l’ONU mène une campagne globale pour la gouvernance urbaine. De plus l’idée d’une coopération décentra-lisée entre pays du nord et du sud s’est internationadécentra-lisée depuis la conception d’un urbanisme translocal, qui vise à inclure les pays en voie de développement dans le marché globalisé (Obrist 2013 : 99). L’Amérique latine, en tant que région qui, malgré ses affinités historiques et culturelles, se caractérise pour être hétéro-gène et complexe (Herrera 2013 : 114), est sur le point d’atteindre ses objectifs et grâce aux accords de coopération souscrits, de faire partie de relations marchandes globalisées.

C’est ainsi que, depuis un régionalisme post-libéral, on travaille pour le développement, dans les domaines de l’innovation, de l’infrastructure et de l’énergie (Carrion 2013 : 120).

À Medellin, le processus de globalisation n’est pas éloigné de cette réalité et le discours politique, au même titre que le plan d’aménagement du territoire, montre clairement l’intérêt d’avancer dans un marché global. Cependant, le changement de l’image de la ville devait être un processus montrant une ville compacte et sécurisée pour construire des rapports de marché globalisés, ce qui a influencé l’aménagement des zones vulné-rables. Même si ces zones et ces quartiers se sont consolidés tout en restant invisibles pour les politiques publiques, la période de conflit armé a clairement montré la nécessité de les contrôler pour pouvoir reconstruire une nouvelle image de ville dans l’innovation, loin des stigmates de la guerre et du narcotrafic.

Les aménagements PUI sont le résultat de cette orientation de la planification urbaine qui a servi à reconnaître les zones ou-bliées, à les connecter à la ville et dans ce même processus, à revitaliser l’organisation communautaire et sa capacité d’agencement, pouvant tirer profit - ou non - des aménagements pour transformer leurs territoires.

En ce sens, le chapitre suivant a pour finalité la compréhen-sion de ces dynamiques d’agrégation comme processus de requa-lification des quartiers et des populations à travers leur inclusion comme une territorialité dans la ville, tout en discutant ces attri-buts et leur contribution à équilibrer les dynamiques urbaines, telles que celles représentés par les questions relatives au loge-ment ou à l’autonomisation des populations les plus vulnérables.

S

YNTHESE

Tout au long du chapitre, j’ai montré comment la ville, dans sa dynamique, recrée des espaces habités par les gens qui ont le plus de désavantages sociaux, politiques et économiques. Ces zones

ou quartiers dans les villes se sont développés sur un marquage social qui les a identifiés par leurs conditions précaires de loge-ment. Cet étiquetage a pesé sur les lieux comme sur les habitants de ces lieux, sans faire de différence entre ceux-ci.

Les politiques publiques et la planification urbaine ont accen-tué le rejet de ces zones, spécialement aux États-Unis. Décrits depuis la théorie urbaine de l’école de Chicago comme zones de non droit, les théories urbaines qui parlaient des lieux de dé-sordre social, ont influencé des politiques policières dans les-quelles la répression et la sanction sociale étaient la façon de faire face à l’anomie et à la peur inspirée par la différence.

Après de nombreuses études qui montrent des fonctionne-ments importants dans ces zones de la ville, derrière les initia-tives d’intégration des villes à la compétition globale, on peut observer un courant qui appelle à la gouvernance urbaine, ceci depuis l’éradication des lieux non conformes à l’image d’une ville concurrentielle, comme le fait ONU habitat.

Pendant que les politiques publiques se libéralisent dans un modèle globalisé, ces espaces urbains continuent à se reproduire au rythme de l’augmentation des inégalités et de la précarisation des conditions de vie de la soi-disant classe moyenne et au dé-triment aussi de ces territoires urbains.

Même si les villes des pays en développement font partie du processus globalisé économique, les conséquences des systèmes de protection sociale affaiblis agissent de façon plus dramatique sur la précarisation des habitants des zones ségrégées. Le défi de la ville contemporaine s’inscrit ainsi dans une logique de recon-naissance de la différence et de la recherche d’une ville plus équi-table pour tous.

Dans le chapitre suivant, l’objectif est d’analyser en quoi ces quartiers, même s’ils sont des espaces marqués par l’étiquetage social et culturel tel que le présente la littérature, sont bien des lieux d’opportunité où se développent toutes sortes de logiques de sociabilité dans l’organisation collective. Ces alternatives dans

l’organisation communautaire montrent comment les quartiers défavorisés ont été souvent sous-estimés malgré leur potentiel.

C

HAPITRE

2. L

OGIQUES D

ORGANISATION SO-CIALE DANS LES QUARTIERS AGREGES

L’objectif de ce chapitre est de traiter les approches et les diffé-rents concepts méthodologiques mobilisés dans ce travail. Je me suis dédiée à observer les quartiers défavorisés dans leur dyna-mique interne, depuis la notion d'agrégation. La proximité et la ressemblance des conditions de leurs habitants, tendent à créer une relation de solidarité leur donnant un sentiment identitaire qui les représente, en construisant des relations significatives à l'intérieur desdits quartiers.

Ainsi, ce chapitre reprend la notion de quartiers agrégés, en analysant comment une situation de stigmatisation qui a influen-cé l’isolement social de ces secteurs urbains, peut se transformer, depuis la solidarité que construisent leurs habitants autour de ces lieux

La première partie identifie comment la dynamique de groupe construit un sentiment d'appartenance et d'identité qui peut in-fluencer l'auto-organisation, par la mobilisation collective et la création de dynamiques de résistance sociale.

La deuxième partie expose les implications des relations de proximité dans le sens d'une démocratie participative, dans le contexte urbain contemporain marqué par l'inégalité. Se font référence, d’une façon générale, à des formes d'organisation communautaires souscrites dans la ville de Medellin, lesquelles seront précisées dans le deuxième chapitre de la thèse, où sera abordé le cas spécifique de la vie sociale des trois quartiers étu-diés.