• Aucun résultat trouvé

F ORMES DE MOBILISATION CITOYENNE DANS UNE SOCIETE D ’ INEGALITES

PREMIÈRE PARTIE

TIQUES URBAINES

2.2 F ORMES DE MOBILISATION CITOYENNE DANS UNE SOCIETE D ’ INEGALITES

Ainsi, l’objectif de cette deuxième partie du chapitre est de développer la question des formes de participation de proximité des citoyens. J’ai analyse comment les relations complexes socié-tales dans la ville contemporaine, marquées par la transformation de la structure sociale, influent sur la façon dont les individus construisent leur système de référence et d'identité, face au carac-tère illégitime de l'État et la façon d’appréhender la vie collective.

Ainsi, nous ferons référence à ces changements sociaux, pour mettre en contexte les logiques d'organisation sociale et les formes d'interaction dans les zones vulnérables, en tant que formes de résistance aux contraintes sociales marquées par l'iné-galité.

L’observation des formes d'engagement collectif dans la ville contemporaine, implique de porter notre regard sur les trans-formations sociales, où les moyens de communiquer avec l'autre, d'être soi-même et de trouver une place dans la société, sont subordonnés au système socio-économique inscrit dans les rela-tions mondialisées.

À l’évidence, le modèle capitaliste, au cours de sa transforma-tion, a influencé les modes de vie, les individus et l’organisation territoriale de la ville. Sandro Cattacin Cattacin 2005 explique ainsi comment la ville contemporaine, dans cette transition, as-sume les implications de cette transformation qui se dirige vers le flexibilisme et l’économie en réseau.

À l’après-guerre, le paradigme du progrès s’est orienté vers la croissance économique représentée par le fordisme et le progrès social – les Trente Glorieuses – cadre du changement du modèle capitaliste vers la professionnalisation de l’administration pu-blique.

À cette fin, Manuel Castells Castells (2000) identifie la société contemporaine et ses changements dans la structure sociale de-puis un changement de paradigme culturel. Ainsi, il théorise l'Ère

de l'information, comme le changement de paradigme fondé sur la technologie (micro-électronique, l'informatique, de la technologie et l'ingénierie génétique) dans lequel la connaissance et l'informa-tion inscrivent les relal'informa-tions sociales, remplaçant ainsi le para-digme de l'âge industriel, organisé autour du processus de pro-duction et de distribution de l'énergie.

L’auteur explique comment, de ces changements sociétaux, émerge une nouvelle structure sociale, axée sur la redéfinition des fondements matériels de notre vie, lesquels se basent sur la con-ception de l’espace-temps. Le fonctionnement en réseaux est une caractéristique qui définit la morphologie sociale des villes, où les relations sociales, s'inscrivant dans les processus de production, de consommation, dans les relations de pouvoir et dans la cul-ture, ont une incidence sur la représentation de la structure so-ciale.

De ce concept découle une nouvelle économie, caractérisée par son caractère informatif, global et pour fonctionner en ré-seau, où la souplesse qui positionne le néolibéralisme, est in-fluente à l’heure de transformer le domaine culturel, les styles de vie, les relations de travail et la représentation de l'État, qui perd sa légitimité en incitant les individus à revenir à leurs propres systèmes de défense et de représentation autour des identités.

Ce paradigme, comme l’explique aussi Jacques Donzelot Donzelot (2006), voit sa transition dans ces économies post-industrielles, via la conception de la cohésion sociale. La réponse aux changements socio-économiques suscités par le libéralisme économique au niveau mondial, remet en question la conception d’une solidarité de classe.

Le développement industriel se transforme en une solidarité sur la base de la confiance entre les individus, où le rôle provi-dentiel de l’État devrait plutôt être d’incitateur (Bütschi et Cattacin 1995). La crise de ce modèle s’oriente vers le flexibilisme, remet en cause les dynamiques sociétales dans lesquelles l’individu est confronté à sa propre adaptation, au-delà des schémas de forma-tion et des programmes d’études linéaires. Cattacin ( 2005)

Une approche depuis les processus complexes de différencia-tion sociale qui sont établis, permet de comprendre que le pro-cessus de radicalisation de l'individualisation dans la société, dans son passage à un nouveau processus d'intégration social, fait référence aux relations mondialisées qui marquent la destination des individus sans faire de différence quant à leur origine. Nor-bert Elias décrit ce processus comme une « intégration de l'hu-manité dans les réseaux d’interdépendance globales » Elias (1990 :193).

Les relations mondialisées ont permis d'élargir la mobilité so-ciale, à tel point que les choix des individus dans leurs relations sociales, prend une toute autre dimension. À cet égard, comme l'explique l'auteur, la négation de l'autre correspond à une ma-nière de distinguer et d’établir des liens, selon des tendances sociétales où, par exemple, les objets de consommation sont, de loin, préférés aux autres. Les relations humaines différenciées par les logiques du pouvoir, stimulent un étiquetage qui identifie l’autre à travers le prisme d’un conditionnement social pour finir par le nier. « Le pauvre n'est pas ‘autrui’, il est plutôt une condition à nier. » Krotsch (2013 :167)

Ce contexte permet d’observer, dans l’espace urbain, les im-plications du système économique sur les plus démunis, de com-prendre comment l’emploi à vie s’estompe, alors que s’installent la précarité et l’insécurité. La libéralisation de l’État est prioritaire par rapport aux politiques du marché et le système de protection sociale s’affaiblit. La marchandisation du public s’aggrave et la priva-tisation dudit système aura des répercussions sur la santé, sur l’éducation et sur l’emploi des plus vulnérables. Beck 2012

La lutte pour l’inclusion sociale, est confrontée aux inégalités le système lui-même a suscitée. Comme l’explique Sandro Catta-cin, ce modèle place l’individu face à des valeurs qui agissent « au détriment de la responsabilité collective » (Cattacin 2005).

Ainsi, l’économie mondiale se réajuste en mettant l’accent sur l’individualisation dans la distinction entre les modes de produc-tion et de reproducproduc-tion des dynamiques économiques. Pour se

maintenir, ces dynamiques prennent la forme d’un réseau, per-met ainsi le flux et les échanges, au-delà de la temporalité et de la territorialité.

Dans cette dynamique, comprendre les zones défavorisées dans la ville contemporaine n’est possible qu’en partant de la reconnaissance des inégalités sociales propres à la logique systé-mique, et par l’observation, parmi leurs attributs, de la capacité qu’ils ont à faire partie de la ville (Donzelot et al. 2001).

Malgré l’importance de la construction de réseaux sociaux dans les zones les plus défavorisées et le renforcement de la ca-pacité collective, le manque de capital social ou de gouvernance ne peut pas servir d’explication à la présence des zones vulné-rables dans la ville hors de la dynamique socio-économique. Les inégalités et l’exclusion sociale font partie de la logique du sys-tème.

Dans le premier chapitre du texte de l’ONU Challenge of slums (UN 2003), il est expliqué pourquoi les slums sont le résultat de l’échec des politiques urbaines, tant au niveau mondial, que na-tional et local. Ce serait un échec institutionnel et légal qui s’imposerait ainsi aux plus démunis. Le manque de gouvernance et de volonté politique étant un obstacle qui affaiblirait les gou-vernements, il serait alors impossible de faire face aux effets de la libéralisation de l’économie sur les plus démunis.

« An important message of this report is that slums and urban poverty are not just a manifestation of a popula-tion explosion and demographic change, or even of the vast impersonal forces of globalization. Slums must be seen as the result of a failure of housing policies, laws and delivery systems, as well as of national and urban policies ». (UN 2003 : 5)

Le texte souligne le rôle du gouvernent face à l’urbanisation, car il est le garant de l’emploi, du logement et des équipements nécessaires pour éviter les slums et l’illégalité :

« Or even where the problem is recognized, to act in a concerted and systematic way to ensure that slum living and illegality is not the fate of the vast majority of new urban residents ». (UN 2003 : 6)

L’exclusion sociale, le manque d’opportunités, d’éducation, de capital social et de réseaux, condamnerait les habitants de ces lieux à vivre dans l’illégalité. En outre, cette situation les empê-cherait d’accéder à leurs droits et aux services du secteur formel.

Ils seraient généralement exclus de la société régulière qui les en-toure, et vivraient en permanence dans l’incertitude et sans sécu-rité, car : « Officially, they do not exist » (« Officiellement, ils n’existent pas »)

Ces postulats sont compréhensibles dans le cadre de la re-prise de la théorie du capital social par la Banque Mondiale, et depuis 1990, par les politiques urbaines de nombreux pays. C’est ainsi que se développe une stratégie de rapprochement entre les zones vulnérables et les villes, connue sous le nom de confiance horizontale. En effet, les localités fragilisées étaient supposées être renforcées grâce à cette stratégie, par un investissement dans le capital social (réseaux d’entraide) et dans une bonne gouver-nance.

Cette préoccupation pour le manque de gouvernance expli-querait les échecs des investissements dans les pays en voie de développement, mais hors du cadre économique et politique (Donzelot 2006 : 16).

En Europe, il est possible d’observer comment la notion de gouvernance urbaine adhère à celle d'innovation sociale, depuis les linéaments des politiques basées sur la cohésion sociale, pour faire référence aux façons contemporaines de traiter l'inégalité sociale et l'exclusion, depuis les systèmes de protection sociale.

L'innovation sociale permettrait de construire des habilités so-ciales pour faire face aux changements sociétaux. Toutefois, l’analyse a montré combien son impact peut être limité, dans un contexte d'adversité sociale et politique. Dans la même ligne,

l'innovation sociale peut être utilisée au niveau marchand, avec le même traitement qu’un un produit. Brandsen et al.(2016)

Latham (2008 : 146), argumente que la gouvernance urbaine est un instrument utilisé pour manipuler des processus politiques et justifier les pratiques économiques globalisées qui ignorent les processus civiques lesquels contribuent à consolider d’importants fonctionnements qui réaffirment la capacité à se mobiliser collec-tivement.

Par conséquent, il en résulte une transition entre un modèle d’État social, où la citoyenneté était sensée appartenir à la con-ception de la justice sociale, et un autre qui responsabilise l'indi-vidu, reléguant au second plan le rôle de l'État, selon le principe de la promotion de la cohésion sociale à travers la notion de gouvernance. Les questions concernant les inégalités, se font donc moins visibles dans les orientations de la politique pu-blique. Le discours sert à encourager la gouvernance urbaine à travers la société civile et la mobilisation des citoyens, sans une approche qui tienne réellement compte des conflits liés aux dy-namiques du pouvoir et à l'inclusion sociale. (Eizaguirre et al.

2012

Jacques Donzelot (2006 : 20) considère qu’un État tourné vers le civisme et soucieux de l’égalité des chances pour tous, favo-riserait la préoccupation individuelle et collective quant à la cons-truction d’un meilleur avenir, une gouvernance appliquant les principes du développement urbain équitable. L’intervention de cet État, soi-disant incitateur, s’appuierait donc sur les collectivités locales et sur la société civile, sous une forme décentralisée, pour dépasser les inégalités, tout en promouvant l’égalité des chances pour tous, ceci dans le cadre de la cohésion sociale d’un système compétitif, sans que l’État ne se soustraie à son rôle de garantir le bien-être économique des individus.

En ce qui concerne les formes de citoyenneté, les formes ci-viques de participation citoyenne se transforment sous la forme de revendications sociales contemporaines. Bien que la notion de citoyenneté remonte à l'origine même de la ville, les différents

changements sociétaux ont opéré, non sans influencer la façon de concevoir la vie individuelle, ou collective, comme susmen-tionné, et celle dont est perçue la relation entre l'État et la cores-ponsabilité des citoyens. Donzelot (2011), Bacqué et Sintome (2002)

En ce qui concerne les formes de participation des citoyens, en tant que force collective, dans une relation de coresponsabilité au sein d’une société démocratique, Jacques Donzelot rappelle deux sens possibles de ce que nous pouvons comprendre par mobilisation des citoyens dans des secteurs qui ont été déconnectés ou séparés de la ville : d'un côté, depuis la responsabilisation par la voie de l’avoir individuel, générant des politiques publiques, aidant les individus à surmonter des situations difficiles pour d'autres moins incertaines (agir faible). D'un autre côté, les formes d’engagement à partir de la collectivité peuvent traduire le pou-voir que représente le collectif, par le biais du développement de la vie associative.

L’auteur rappelle que la mobilisation citoyenne dans les sec-teurs déconnectés ou séparés de la ville, peut être comprise de deux façons différentes : d'une part, depuis la responsabilisation par la voie de l’avoir individuel, où naissent pour les individus, depuis les politiques publiques, des possibilités de surmonter des situations difficiles et ainsi passer à d'autres, moins incertaines (agir faible).

D'autre part, les formes d’engagement à partir de la collectivité, peuvent trouver leur expression depuis le pouvoir incarné par le collectif, à travers le développement de la vie associative :

« Que peut faire l’État par rapport à ces stagnations, ces coupures, ces dégradations d’une partie de la population dans certaines villes plus que dans d’autres, même si au-cune ne se trouve vraiment épargnée par le phénomène ? Mobiliser la population, au double sens du terme. C’est-à-dire rendre plus mobiles les individus qui stagnent dans un lieu ou une situation dépourvus de solution mais aussi jouer la carte du collectif, du rassemblement des forces, du partenariat ». (Donzelot 2011 :134)

Comme nous l’avons suggéré, les relations de proximité ne suffisent pas à susciter l’engagement suffisant, ni les conditions pour exercer une force démocratique capable, depuis le collectif, d’influencer les politiques publiques. En outre, dans ces terri-toires urbains qui sont, comme le dit Jacques Donzelot, décon-nectés des opportunités offertes par la ville, malgré leur proximi-té physique, ils font aussi l’objet d’un étiquetage social, par des personnes qui refusent de s’investir dans leur territoire, car ils ne veulent pas être reconnus comme des habitants dudit territoire, ils refusent d’être associés au discrédit.

Dans ma démarche, les personnes occupant les espaces ségré-gés de la ville, sont pour la plupart, d’un statut économique bas.

Ce sont des acteurs sociaux qui construisent, dans leurs rapports, un territoire fonctionnel et gestionnaire des ressources, accueil-lant des migrants et apportant la stabilité à la ville. Le civisme et l’égalité des chances sont possibles quand la ville, en tant qu’entité pluriculturelle, apprend à reconnaître la différence. Ce que requièrent ces espaces urbains, plus que des politiques anti-ségrégationnistes, c’est une existence digne (Evers et al. 2014, Cattacin et Naegeli 2014).

2.3 L

A MOBILISATION CITOYENNE

:

UNE FORME DE