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PREMIÈRE PARTIE

TIQUES URBAINES

1.3 L ES SLUMS : NOTIONS ET PERCEPTIONS

1.3.1 Les origines

Dans le mot slum se distingue l’étymologie allemande de schlamm qui traduit boue, mais aussi le mot schlumpen, « être sale »

“Perhaps that is the origin of the term, a room for slum-ber? However, Prunty (1998: 2) notes that: ‘Dictionary entries from the 1870s define “slums” as dirty, muddy

back streets, and conjecture a possible German etymolo-gy, from schlamm, mire, as in the Bavarian schlumpen, to be dirty” (Gilbert 2007 : 702).

Différentes notions apparaissent dans toutes les zones géo-graphiques, mais c’est dans l’Angleterre victorienne, berceau de l’industrialisation, que le terme est utilisé pour la première fois. Il décrivait un problème d’assainissement local à résoudre. En 1820, la problématique se multiplie et le terme décrit maintenant les secteurs détériorés de la ville, lieu d’habitation des personnes appartenant à la stratification sociale la plus basse. Ces lieux se caractérisaient par leurs conditions d’insalubrité, pour être le foyer d’épidémies et d’activités économiques autour de la crimi-nalité.

« La première définition écrite de slum figurerait dans le Vocabulary of the Flash Language (Vaux, 1818), où il est sy-nonyme de ‘racket’ ou de ‘commerce illégal’. Toutefois, à partir des années des épidémies de choléra (1830-40), les slums désignent les lieux où vivent les pauvres, plutôt que les activités qu’ils pratiquent. Une génération plus tard, on trouve des slums en Amérique et en Inde, et ils deviennent bientôt un phénomène international ». (Davis et Bachmann 2005 : 6)

En 1880, avec l’intention de décrire plus clairement le phé-nomène, le Mouvement de Réforme des Habitations en Angleterre change le nom des slums pour le concept de « a house materially unfit for human habitation » (UN 2003 : 44), tout en délimitant leur territoire pour l’inclure dans les programmes d’assainissement de la ville.

1.3.2 Le xxe siècle

L’urbanisation accélérée amène des changements à l’aube du XXe siècle qui continue de voir se répandre l’ombre de la misère dans toutes les villes. Pensées comme des zones malades, comme le cancer de la ville, le cœur de la corruption et de la criminalité, les

slums font l’objet d’études qui s’accumulent et qui expliquent la théorie des slums, du défi des slums, du problème des slums, sans pouvoir trouver de solution miraculeuse à un tel phéno-mène. La signification de slums introduit celle de quartier détérioré, de zones de non-droit, de secteurs à problème, de quartiers interdits ou sauvages et commence à apparaître dans le discours politique comme dans les politiques urbaines l’éradication répressive de ces espaces (Wacquant 2006 : 5).

En Amérique du nord, ce phénomène semble évident si l’on en croit la littérature spécialisée de l’époque, qui ne voit dans ces espaces de la ville qu’une maladie à extirper. Ces espaces sont étudiés comme des zones qui comportent le désordre et l’anomie sociale de la ville. Ils sont vus comme une grande préoccupation, comme une grande menace pour la Nation et son image, comme l’affirme Hunter :

« Slum undermines a democratic system of government.

They weaken the international position of the United States. They starve human talent. They fail to produce skilled manpower required to operate an increasingly technical economy. They cost the taxpayer money. They trap people and ensnare them in a way life that in most cases can hardly be called civilized ». (Hunter 1966: 4)

Dans les années soixante, les politiques publiques voient dans les slums une problématique qui se développe sans contrôle. La ségrégation et l’exclusion étaient les alternatives à leur expansion pour ainsi éviter la détérioration de la partie ‘saine’ de la ville.

Des discours comme ceux-ci confirment à quel point le pauvre, le noir et le criminel, sont la peste envahissante de l’Amérique de la deuxième moitié du XXe siècle :

« Slum constitutes the most important and persistent problem of the urban life; they are chief sources of crime and delinquency, of illness and death from disease ».

(Clinard 1996 : 3) Ou :

« Si l’occupation d’un quartier passe d’un groupe d’usagers à un autre, ou si les abords immédiats du quar-tier sont occupés par un groupe différent ou si des chan-gements importants interviennent ou semblent pro-bables, les risques se traduisent dans les estimations ».

(Federal Housing Administration, 1959, cité dans Grafmeyer 2007 : 354)

Le slum est donc un grave problème pour l’ensemble des ci-toyens et dont on cherche encore la solution miraculeuse sans la trouver.

David Hunter (1966) appelle ces zones le nouveau Ghetto qui, dans son expansion, détériore l’image de la ville. L’auteur met aussi l’accent sur les éléments caractéristiques de ces zones car il constate que les recherches sont insuffisantes. Pour lui, les habi-tants des slums américains se caractérisent en général par être noirs et pauvres. Parmi les problèmes caractéristiques des slums, il signale : la précarité du logement, la pauvreté, la densité, la con-centration de classes basses, la concon-centration raciale, la concen-tration de personnes à faible niveau d’éducation, avec des limita-tions linguistiques et culturelles, les nombreuses cas sociaux, une mobilité réduite qui reste interne, les problèmes de santé, les familles en rupture, les problèmes de déménagement, les équi-pements inadéquats, l’isolation et l’aliénation, l’insalubrité, les risques d’incendie, les problèmes de langage et la propre atmos-phère des slums. Avec la publication du travail de Lewis en 1961 du titre Les enfants de Sanchez (Lewis et Zins 1963), la pauvreté devient une sous-culture des quartiers défavorisés « qui comporte des caractéristiques universelles » (Lewis et Zins 1963 : 16). Cette pauvreté est décrite comme un mode de vie, comme un dysfonc-tionnement social qui est transmis de génération en génération et auquel appartiennent les plus démunis :

« La culture des pauvres ne s’appliquerait qu’aux gens qui sont tout à fait au bas de l’échelle socio-économique, les ouvriers les plus défavorisés, les petits paysans, les ou-vriers agricoles des plantations, et cette grande masse hé-térogène de petits artisans et commerçants que l’on

nomme habituellement le Lumpenprolétariat ». (Lewis et Zins 1963 : 15)

Des histoires de vie d’une famille enregistrées au magnéto-phone deviennent une description universalisée des pauvres, de leurs comportements, de leurs habitudes et de leurs idéologies.

Cette étude associe l’image des plus démunis à celle des margi-naux et devient un texte de référence.

D’un autre côté, l’Europe commence à voir la prolifération des quartiers à problème et des mesures prises autour du logement so-cial se développent. Häussermann signale une tendance à l’américanisation de la ville européenne, produit d’une marchandisa-tion et d’une privatisamarchandisa-tion des services sociaux et publics (Häussermann 2011 : 19). Cette marchandisation atteint aussi le logement social. Les projets urbains adoptent une politique de ségrégation qui justifie la construction de grands ensembles, comme solution aux problèmes sociaux et de logement. Les effets sont contraires aux objectifs visés et la concentration de populations se consolide comme une bombe sociale, ce qui est le cas des banlieues françaises.

« As Van Kempen and Musterd (1991: 83) observe: ‘In the Western world social high-rise housing has become the symbol of the deficiencies and failure of post-war public housing policies and management… Apart from construction faults, failures and bad repairs, problems such as vacancies, rent arrears, a high turnover rate, filthiness, vandalism, feelings of insecurity and a high concentration of socially and economically weak families are supposed to characterize the occupancy and living conditions of these estates’ ». (Gilbert 2007 : 707).

Malgré l’image négative et les problématiques sociales qui en-tourent ces espaces, certains chercheurs ont montré comment le stigmate qui pesait sur ces zones, loin d’apporter des solutions, était un danger qui désignait d’une manière très négative des lieux et même les habitants de ces lieux, sans faire de différence entre les lieux et ceux qui les habitent. Parmi eux, Wilson (1987) montre comment, parmi les populations les plus défavorisées, les

populations noires souffraient du chômage et de l’isolement que leur imposait la société. Herbert Gans (1990) analysait comment le terme underclass, utilisé pour désigner dans la planification ur-baine les populations les plus défavorisées, encadrait un stéréo-type qui marginalisait les populations et encourageait des poli-tiques répressives.

En effet, le terme utilisé en économie pour décrire de manière statistique les taux de pauvreté et de chômage, passe dans le langage de la planification pour désigner les pauvres. Son utilisa-tion dans le discours politique renfermait un discours moral qui se répandait dans la société pour voir les pauvres sous un stéréo-type de classe inférieure ; noirs, hispaniques, immigrants et nou-veaux travailleurs. Les pauvres sont identifiés par les comporte-ments déviants de la société comme des criminels, des malades mentaux, et des êtres indignes de la société. Dans cette mesure, les politiques envers les plus défavorisés se limitaient à une ré-ponse répressive et punitive, plutôt que d’être orientées vers une politique de solidarité et de lutte pour l’amélioration des condi-tions de vie de ces populacondi-tions.

Wiliam Mangin (1967) et Jhon Turner (1968), avertissant des conséquences négatives de cette façon d’étiqueter, étant donné la connotation péjorative du terme, réalisent en Amérique Latine des recherches qui montrent une autre optique des slums. Ils qualifient ces espaces de squatter settlements, argumentant que plus qu’un problème, ils constituent une contribution au problème de l’urbanisation rapide. Ces espaces comporteraient une organisa-tion sociale interne contribuant à l’équilibre social, car ils permet-taient dans le temps d’améliorer, dans certains cas, les conditions de vie des gens. Ces études ont ouvert un point de discussion sur l’hétérogénéité de ces espaces. Les étudiants, dans les pays en voie de développement, qui assurent la continuité des études de Mangin et Turner, commencent à considérer l’origine et la forme de construction des logements, tout en utilisant des termes qui remplacent le mot slum :

« They replaced it with a gamut of terms, including in-formal housing, irregular settlement, spontaneous shelter and self-help housing ». (Gilbert 2007 : 705)

Loin du mythe de la « culture » de la pauvreté créé par Lewis, les chercheurs ont trouvé dans l’hétérogénéité de ces lieux et de leurs populations, l’opportunité pour les migrants de construire un foyer. Le mot slum s’ouvre à la diversité des situations et son utilisation est remise en question.

« In practice, most ‘slums’ are anything but homogenous and contain both a mixture of housing conditions and a wide diversity of people. That is why those academics, architects and planners who began to investigate the rea-lity of life in the shantytowns in the 1950s found few Oscar Lewis type slums or slum dwellers [...]. Life in these settlements was not as dismal as that described by Lewis in the central tenements of Mexico City or San Juan and many of these areas were clearly places that al-lowed people to gradually improve their lives. Turner (1969: 521) describes how studies of cities in seven countries discovered that: ‘the peripheral settlers are al-most always of a higher socio-economic status than cen-tral city slum or ‘provisional settlement’ dwellers’. Based on his experience in Latin America, Mangin (1967: 65) noted that writers about squatter settlements in Latin America ‘agree, sometimes to their own surprise, that it is difficult to describe squatter settlements as slums. The differentiation of squatter settlements from inner-city slums is, in fact, one of the first breaks from the widely shared mythology about them ». (Gilbert 2007 : 704)

En ce sens, l’intention de ma recherche sur Medellin, était de mettre en avant le potentiel des quartiers bâtis par ces habitants, car ces quartiers se sont consolidés dans le temps et ils ont gagné leur reconnaissance, en tant que parties de la ville, suite à la force de leur organisation sociale.