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Deuxième travail de terrain : observation et parti- parti-cipation

DEUXIÈME PARTIE

3.1. D ESCRIPTION DU TRAVAIL D ’ ENQUETE

3.1.2 Deuxième travail de terrain : observation et parti- parti-cipation

C’est lors du deuxième travail de terrain que je décidé de m’installer dans la zone nord-occidentale et que j’ai dû affronter une réalité très différente des observations passées, réalité dans la-quelle j’ai dû m’introduire.

D’une durée de six mois, ce deuxième travail de terrain à ca-ractère ethnographique a permis d’interagir avec des réseaux sociaux et d’évaluer le regard porté sur les politiques urbaines par les habitants.

L’étude était donc centrée sur deux quartiers différents appar-tenant à la fois à deux communes différentes dans la zone nord-ouest de la ville : Juan Bobo et Nuevo Horizonte. La décision de se loger dans la zone se doit à mon objectif de participer à la vie communautaire et de comprendre les différentes logiques d’organisations sociales, comme je l’ai expliqué plus haut.

Des instruments, tels que la recherche documentaire, l’entretien semi-dirigé, l’observation participante, la photographie et la vidéo, m’ont aidé à appréhender cette réalité sociale. Le travail était divisé en trois phases : une première phase de recon-naissance des lieux, une deuxième d’installation et une troisième d’observation.

Avec l’intention de m’installer dans la zone, j’ai obtenu le con-tact, grâce à un fonctionnaire de l’EDU, d’une habitante du quar-tier rénové et renommé Nuevo sol de Oriente (auparavant Juan Bobo) qui m’a accueillie dans son appartement. Ce quartier, qui en fait était un secteur situé entre deux quartiers, était adossé géogra-phiquement à un demi-versant et traversé par une rivière. Cette zone a été choisie pour tester un type de réaménagement sur site, reasentamiento en sitio, c’est-à-dire pour éviter de reloger les gens hors des périmètres de la rivière, aménager les rives et construire du logement social, « bâtir sur du bâti », selon l’EDU.

Pour le début de la recherche, le fait de loger chez l’habitant m’a permis de trouver une position pour repérer les leaders du quartier et observer le déroulement de la vie sociale à l’intérieur de l’espace aménagé.

C’est ainsi que j’ai rencontré les habitants, trouvé un autre lo-gement et fait connaissance avec la communauté. J’étais logée chez une jeune maman qui louait les chambres de son apparte-ment pour gagner de quoi nourrir ses trois filles. J’ai été présen-tée au voisinage et bien reçue par les leaders.

Cette acceptation m’a donné un statut neutre qui m’a permis de me sentir en sécurité face au groupe armé qui contrôlait la zone, toujours méfiant des étrangers dans le quartier.

Au début, ma position n’était pas assez claire et je craignais d’être prise pour une infiltrée et d’avoir des ennuis. J’ai conservé le statut d’étudiante en stage pratique avec l’EDU s’intéressant à l’histoire du quartier.

De cette façon, je me suis fait inviter un peu partout, et j’ai pu voir chez les gens un besoin de parler, de raconter leur histoire, d’exprimer leurs souffrances. Chacun m’a raconté son histoire à sa manière et j’ai pu ainsi me faire une image d’avant et d’après ces aménagements urbains.

La participation à la vie du quartier était une condition impor-tante, et j’ai été invitée à différentes réunions et activités pro-grammées par les voisins, telles que la célébration de Noël ou les séances d’aérobics communautaires. L’intégration à la vie com-munautaire m’a permis d’avoir une vision plus proche des modes de vie, de comprendre les formes d’organisation sociale et de repérer les contradictions existant entre les conflits de voisinage, les problématiques sociales et l’intervention urbaine.

Pour consolider les observations, j’ai eu recours aussi à l’entretien et j’ai interrogé les leaders et les habitants des tiers, qui me montraient les formes d’organisation dans le quar-tier. Avec une dame, j’assurai la sécurité car le groupe armé du quartier, Los Triana, étaient à l’écoute de cette dame et ils lui obéissaient. Elle représentait pour eux une espèce de grand-mère à laquelle les jeunes vouaient respect et obéissance. Tout le monde la craignait et la respectait et elle était considérée leader dans la communauté. Depuis mon entretien, je me suis rendu compte que le respect qu’elle avait gagné répondait à la façon dont elle s’adressait aux Triana : sans crainte et avec autorité.

Une situation aurait pu me mettre en péril quand l’assistante sociale qui travaillait dans la zone m’a demandé de prendre des photos des garçons de la bande pour les donner à la police. J’ai vu comment tout pouvait basculer d’un moment à l’autre. Après avoir consulté un autre fonctionnaire, j’ai reçu son avis et il m’a averti que si je faisais cela, j’allais finir en petits morceaux dans la rivière. Même si l’assistante sociale m’amenait aux réunions de

quartier de l’EDU, elle sentait que je devais travailler avec elle et faire le sale travail. C’est ainsi que j’ai compris qu’il fallait que je retire mon étiquette de l’EDU, car à part ma personne, les gens de cette institution étaient tous très réticents, espérant seulement (pour certains) trouver une façon d’en tirer profit, même si l’EDU présentait le quartier comme un modèle mondial de réus-site sociale locale.

Peu à peu, j’ai pu faire partie du quartier, mais les conditions de vie insalubres des anciens logements se reconfiguraient dans les nouveaux bâtiments rénovés et finissant aussi par être diffi-ciles à supporter. C’était le cas quand je partageais une cuisine où se promenaient des rats, ou encore la survie d’une maman sans revenus et avec beaucoup d’enfants qui me préoccupait. Quand la vie personnelle s’en mêle, comme l’explique Whyte, la re-cherche devient un grand défi et se transforme parfois en souf-france. Désormais, l’espoir et la façon d’affronter les situations, parfois avec humour, pouvaient aussi aider à les relativiser. Un jour, par exemple, la jeune fille m’a raconté que la bande avait déposé sous toutes les portes un tract dont le message était qu’ils allaient exécuter tous les drogués et toutes les prostituées du quartier. Le frère de la fille, à ce moment-là, a dit en riant que les Triana allaient donc devoir tuer tout le monde dans le quartier.

Contrairement à ce que je m’attendais à trouver dans un quar-tier rénové, j’ai été rapidement très déçue par mes perspectives de travail et je n’arrivais pas à faire entrer de force mes concepts dans le cadre de la vie sociale du quartier. À Juan Bobo, j’ai décou-vert que le bidonville malgré les aménagements, était plutôt une mentalité, un style de vie. En outre, les gens n’étaient pas organi-sés et ils n’attendaient que l’assistance de l’État.

Survivre n’était pas une question facile pour les habitants. La plupart de mes voisins étaient des gens sans emploi, nombre d’entre eux étaient illettrés, vivant de la débrouille et de la délin-quance. La plupart des jeunes filles que j’ai connues exerçaient la prostitution comme leur mère et pour la plupart des femmes

ayant des enfants, le mari était en prison. Les jeunes traînaient avec la bande et rares étaient les jeunes scolarisés.

L’image que j’avais perçue de l’EDU du quartier était très dif-férente de la réalité que j’espérais trouver. Le projet d’aménagement Juan Bobo était présenté mondialement comme un modèle de réussite dans la réhabilitation urbaine des bidon-villes (Perez 2010), et a même gagné des prix tels que le Prix In-ternational de Dubaï pour les Meilleures Pratiques en 2008.

C’est ainsi que l’orientation de mon travail a changé et j’ai es-sayé de m’expliquer la situation. J’ai persisté à rechercher l’organisation de la communauté, les réseaux, à voir l’amélioration de la qualité de vie des gens dans leurs récits ou même dans leurs manifestations, mais à ma grande déception, je ne trouvais que des bribes de ce que j’attendais.

En discutant avec certains leaders, on me disait que si la situa-tion sociale ne changeait pas, le nouveau quartier rénové finirait dans quelques années par se détériorer et redeviendrait un bidon-ville, même dans son infrastructure. Les récits donnaient l’impression que les gens n’étaient pas préparés pour vivre au-trement qu’à leur habitude et les exemples se multipliaient. Les projets collectifs de jardinage ou d’entretien finissaient en dis-putes. De l’analyse des entretiens et des observations, c’étaient ces conflits de voisinage qui crispaient le plus la qualité de vie dans le quartier.

Ce n’est que lorsque l’EDU a proposé un prix ou une aide sous forme de concours pour le nettoyage de leurs propres im-meubles, que les gens ont réussi à se rassembler. Ils me racon-taient comment les voisins jeracon-taient leurs déchets par les fenêtres après les journées de promotion d’entretien du quartier et même des ordures étaient jetées sur les animatrices du quartier qui étaient payées par la commune. D’ailleurs, lors de mon arrivée les poubelles entassées et la mauvaise odeur de la rivière qui coupait en deux le quartier étaient la première chose que j’avais remar-quée.

Même si l’infrastructure et les aménagements ont changé l’image du quartier, les problématiques sociales n’ont donc pas pu être résolues. On pouvait voir comment les gens considé-raient leurs nouveaux appartements comme un problème plutôt qu’un avantage. Auparavant, ils vivaient dans l’illégalité et cela signifiait peu de dépenses. Maintenant, outre le besoin de se nourrir, ils allaient devoir payer leurs factures d’électricité et d’eau ainsi que des impôts. Dans les visites des autres quartiers rénovés, c’est la même sensation qui dominait.

Quand les entretiens, les conversations, les réunions ont commencé à tourner en rond autour des mêmes informations, j’ai décidé de trouver un deuxième quartier pour établir une comparaison. Je l’ai cherché, mais je voulais trouver un type différent de situation et j’ai trouvé un lieu très accueillant dans un autre secteur de la même zone.

L’entrée dans le deuxième quartier d’observation, Nuevo Hori-zonte, avait pourtant l’air plus compliquée qu’à Juan Bobo car il était en pleine période de combat entre bandes. À partir de ce moment-là, les rencontres m’ont appris comment vivaient les gens, d’une autre manière, différente, solidaire et organisée, mal-gré les problématiques dues à la violence.

Lors de la première visite, j’ai accompagné les fonctionnaires de l’EDU qui allaient présenter un projet de logement pour la zone, comme pour Juan Bobo. La situation était tendue et l’on cherchait du regard un endroit où se réfugier en cas d’affrontement. Dans cette zone, je me suis trouvée à plusieurs reprises dans cette situation et pire, au milieu de tirs croisés. Pour les fonctionnaires, ce n’était pas facile d’accepter ce travail et la seule femme qui travaillait dans la zone pour l’EDU a même démissionné quelques jours après que j’ai commencé mon en-quête dans le quartier ; elle avait trop peur.

Mais malgré les apparences, Nuevo Horizonte faisait partie de tout un réseau de quartiers organisés, dont l’unité la plus petite était Action Communal. Peu à peu, j’ai rencontré tout le groupe qui travaillait dans l’organisation de Nuevo Horizonte et c’est ainsi qu’a

commencé la deuxième partie de mon travail de terrain. Les rencontres étaient plus impressionnantes que la tension qui ré-gnait.

Au départ, j’ai bien expliqué mon travail et j’ai essayé de dé-montrer que je ne faisais pas partie de l’EDU. Dans toutes les réunions entre la communauté et l’EDU, il y avait toutes sortes de discussions et je me suis aperçue que pour les leaders de l’Action Communale, il était important de connaître l’histoire de l’urbanisation de la ville et c’est ainsi qu’un échange a pu voir le jour.

Le travail dans le quartier était très satisfaisant pour moi et jour après jour, je participais activement aux réunions du quartier et de la zone. Même si je ne donnais pas mon avis dans les réu-nions générales, je me suis pourtant impliquée d’une autre façon dans la vie du quartier. Avec un travail étroitement partagé avec les leaders, très gratifiant, et sans qu’on n’en fasse la demande, les informations s’accumulaient. J’ai aussi raconté l’expérience vécue à Juan Bobo et ils étaient très intéressés pour comprendre l’avenir de leur quartier après les aménagements.

Un atelier a ainsi été mené sur l’histoire de la ville et le proces-sus d’urbanisation a été documenté pour aboutir au développe-ment de la zone Nord-orientale. Ces ateliers ont servi à créer un espace de discussion sur l’histoire du quartier. Après avoir repéré les personnes les plus âgées qui l’habitaient, ses fondateurs, on a développé un projet de film documentaire sur l’histoire du site.

Plusieurs jeunes ont appris à utiliser la caméra vidéo et on a réali-sé une réali-série d’entretiens et de plans. Deux courts-métrages sont alors montés ; le premier avec les fondateurs qui racontent le processus de construction du quartier depuis leurs propres sou-venirs et le deuxième, un clip vidéo avec les jeunes qui racontent leur vécu à travers des expressions artistiques inspirées par le Hip-hop. Un concours de photographie sur l’histoire du quartier a été mis en place et l’image du quartier a pu être reconstruite depuis son origine, depuis le moment de l’urbanisation de ces terrains.

Pendant la période d’observation de Nuevo Horizonte, j’ai eu l’occasion de connaître les principales associations de toute la zone et réaliser des entretiens, mener des Focus Group et procéder aux observations. Ces contacts m’ont permis de suivre les diffé-rentes structures et les mécanismes de participation communau-taire, tels que les assemblées, les élections ou encore des réu-nions.

L’EDU m’a mis à disposition une place dans son bureau dans le quartier. Cette expérience a facilité l’approche avec les fonc-tionnaires et de leur travail avec les communautés. Les conversa-tions informelles et l’accompagnement de la communauté aux réunions a aussi constitué un matériau important. La vision de l’institution a été mise en évidence autant que ses contradictions quant aux processus communautaires qu’elle engageait.

3.1.3 Troisième travail de terrain : confrontations et