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UNE SOCIOLOGIE HISTORIQUE DU REALISME POLITIQUE

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Introduction de la deuxième partie

Le Parti socialiste français, par son origine et son histoire, constitue un objet d’étude privilégié pour la sociologie historique du réalisme politique que nous proposerons dans cette partie. La première de ces raisons tient à ses origines. Conformément à l’hypothèse durkheimienne présentée en introduction de ce travail, le socialisme est initialement en contradiction avec les postulats et principes du réalisme politique. Il est en effet chez lui question de possibles et de remise en question des expériences de l’Histoire, d’idéal et non d’adaptation à la réalité, de refondation complète de la société et de la création d’un nouvel ordre social1. Or, son développement ainsi que son institutionnalisation témoignent d’une volonté de s’affranchir de cet irréalisme initial. Le procès mené par Marx et Engels à l’encontre des socialistes « utopistes » ne sera que le premier acte de distanciation vis-à-vis de pensées considérées comme chimériques et comme n’ayant aucun pouvoir de transformation. Paradoxalement, c’est par la suite face au marxisme et à ce qui sera perçu comme une orthodoxie doctrinale que le socialisme démocratique cherchera à prendre ses distances. C’est ce même marxisme, et avec lui l’ensemble des idéologies jugées radicales et dépassées, qui seront perçues comme chimériques et utopiques. Leur sacrifice sur l’autel du réalisme, bien qu’en France particulièrement tardif, n’en sera que plus soudain avec la prise du pouvoir exécutif par Mitterrand en 1981. Nous serons donc amenés dans cette partie à étudier la manière dont le socialisme, sous sa forme doctrinale et institutionnelle, a progressivement quitté le registre du non réalisme et de l’utopie pour verser dans celui du réalisme. Il s’agira d’analyser la manière dont le parti a progressivement intégré les impératifs du réalisme et en a modifié sa doctrine et son idéologie. L’évolution de son rapport au pouvoir constituera un élément central de ce travail dans la mesure où celui-ci à eu de lourds effets sur le contenu doctrinal du parti. Car en se transformant en parti de gouvernement, le parti socialiste à adapté sa doctrine et l’a pliée aux exigences de la réalité. Cette question des rapports entretenus par le parti au réalisme croisera également celle de son rapport au réformisme. L’hypothèse que nous formulons sur ce point consiste à envisager la pensée et l’expérience réformiste comme la réponse donnée par le socialisme à la question du réalisme. L’invective « qu’elle ose paraître ce qu’elle est » lancée par Edouard Bernstein pour signifier son attachement au

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E. Durkheim, Le socialisme : sa définition, ses débuts, la doctrine saint-simonienne [1928], Paris, PUF, 1992.

133 réformisme peut selon nous être interprétée comme le déplacement du précepte réaliste à la pensée socialiste. En appelant à voir le socialisme comme il est et non comme il faudrait qu’il soit, le réformisme a introduit à l’intérieur même du socialisme la question du réalisme. Les rénitences du socialisme français à l’encontre du réformisme seront donc aussi celles de ses résistances au réalisme.

Les deux chapitres de cette deuxième partie seront ainsi consacrés à reconstruire ce travail d’émancipation du socialisme vis-à-vis de son utopisme initial. Le premier chapitre nous mènera des prémisses et haillons de l’utopie socialiste jusqu’au débat doctrinal de l’entre-deux-guerres et à l’épisode du Front populaire. Le second chapitre retracera cette évolution à partir de la Seconde guerre mondiale. Il accordera une large place à la prise du pouvoir par François Mitterrand en 1981. Aboutissement et illustration des ambiguïtés du réalisme politique, c’est autour de cette période que se clôturera notre sociologie historique. Notre dessein se situant au niveau le plus proche du message socialiste, textes et discours constitueront notre matériau d’analyse privilégié1. Les travaux faisant état de telles sources étant richement documentés, nous avons pu nous délester du travail d’archive en n’ayant recours à des sources secondaires.

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L’on se permettra ici une remarque préalable concernant la critique des sources officielles. Tout texte à caractère politique peut être l’objet d’appropriations de la part d’acteurs dont les intentions sont mues par des intérêts personnels et non idéologiques. Etudier les motivations politiques et idéologiques implique donc à cet effet un travail d’objectivation. Cependant, tout texte faisant l’objet d’un ralliement important s’intègre à un ensemble plus large de croyances et de convictions de la part des militants. Puisque c’est d’avantage sur celles-ci que porte notre travail, un tel travail d’objectivation ne nous est pas apparu comme indispensable.

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Chapitre 3 : Le socialisme. De l’utopie à l’espoir

« Le socialisme n’est pas une science, une sociologie en miniature, c’est un cri de douleur et, parfois, de colère, poussé par les hommes qui sentent le plus vivement notre malaise collectif. Il est aux faits qui le suscitent ce que sont les gémissements du malade au mal dont il est atteint et aux besoins qui le tourmentent ».

Emile Durkheim, Le socialisme [1928], Paris, PUF, 1992, p.37.

. Introduction

L’étude des organisations partisanes au sein de la tradition réaliste est, nous l’avons signalé, demeurée marginale pendant de longues années, sinon limitée à quelques noms. Indépendamment de cette faiblesse, cette tradition semble en réalité avoir adopté les postulats du réalisme sans spécifiquement les questionner, en les reprenant par nécessité et bon sens : nécessités d’a/anti-idéologisme et de neutralité scientifique. Egalement par un certain conservatisme et une méfiance devant la rhétorique du changement et de l’alternative. Cela a ainsi pu la conduire, c’est l’une des conséquences d’une telle approche, à centrer leurs travaux sur la production, la place et le rôle des élites au sein des organisations partisanes. Devant ce double écueil et ce caractère quelque peu réducteur, il nous faut à présent prendre nos distances et arrimer notre travail sur le réalisme à l’organisation partisane qu’est le Parti

135 socialiste. Ce faisant, et moyennant certaines précautions et repères méthodologiques, nous éviterons, comme nous l’avons dit, de considérer le parti uniquement dans sa dimension agonistique ou de nous centrer sur l’étude des dirigeants socialistes. Conformément à ce que nous avions annoncé dans la conclusion de la première partie, nous n’adopterons donc pas un point de vue réaliste sur le parti mais chercherons à faire dire au parti son réalisme. Nous repartirons néanmoins de cette tradition réaliste de l’étude des partis politiques avant de nous positionner et préciser quel programme de recherche nous adopterons.