• Aucun résultat trouvé

Conclusion : le Front populaire Et après ?

Les effets de la crise économique et des politiques de déflation menées par les gouvernements des années 1932-1936 conduisirent au pouvoir l’Union des partis de gauche, rassemblés depuis l’été 1935 dans une coalition commune. Cette victoire du Front populaire

1

En raison des évènements du 6 février, il fut repoussé à mai.

2 Cité par Bergounioux, Ibid., p.1172. 3

Ibid., p.1172.

182 en mai 1936 et l’échec qui en suivit amorça un changement de mentalité au sein du parti. Cette expérience de gouvernement, en permettant la réalisation de réformes importantes, introduisit l’idée d’une réconciliation possible avec le fait de gouverner dans les cadres existants. Mais il fallait dans un premier temps rassurer le versant militant du parti. Blum s’y attacha en définissant strictement les limites de l’expérience qui allait s’ouvrir :

« Nous agissons à l’intérieur du régime actuel, de ce même régime dont nous avons démontré les contradictions et l’iniquité au cours de notre campagne électorale. C’est cela l’objet de notre expérience. Et le vrai problème que cette expérience va poser, c’est celui de savoir si, de cette société que nous avons jugée dans des termes que nous ne retirons pas, et à laquelle nous essayons d’en substituer une meilleure, par une action que nous ne renions pas et que nous n’abandonnons pas, il s’agit de savoir si, de ce régime social, il est possible d’extraire la quantité d’ordre, de bien-être, de sécurité, de justice qu’il peut comporter pour les travailleurs et les producteurs… Il s’agit de savoir si, par une action accomplie à l’intérieur du régime, il est possible de préparer dans les esprits et dans les choses mêmes l’avènement inéluctable du régime qui reste notre fin et notre but. Il s’agit de savoir s’il est possible d’assurer un passage, un aménagement paisible, amiable, entre cette société et la société dont la réalisation définitive et est reste notre but1 ».

Cette expérience était la preuve tant attendue par certains qu’il n’était pas nécessaire de tout changer pour ensuite prendre le pouvoir. La découverte par les socialistes des idées keynésiennes modifia également leur rapport à l’économie. Ainsi, lorsqu’en mars 1938 Léon Blum tenta dans le cadre de son second gouvernement d’obtenir au Sénat les pleins pouvoirs financiers, il le fit avec un programme marqué par les principes keynésiens préconisant notamment une légère inflation pour relancer l’économie. Se reconnaissant progressivement dans un régime d’économie mixte, le socialisme français pouvait également s’appuyer sur une crédibilité gagnée auprès de la classe ouvrière avec l’expérience de 1936. La politique vichyste allait également donner un parfum de nostalgie à un épisode du Front populaire qui, en dépit de sa courte durée, donnait consistance à l’histoire de la gauche française.

Le parti avait indubitablement changé sur certains points. Mais malgré cette évolution, il semblait encore souffrir d’un complexe vis-à-vis du pouvoir. Le 6 juin 1937, alors que les

1

Discours au congrès extraordinaire de la SFIO, mai 1936, in L’œuvre de Léon Blum, vol. 4-1, Paris, Albin Michel, 1964, pp.263-268. Cité par S. Berstein, « Léon Blum et le capitalisme », in Le

socialisme à l’épreuve du capitalisme, A. Bergounioux, D. Cohen, (dir.), Fayard/Fondation Jean

183 difficultés s’accumulaient pour le gouvernement, Blum pouvait ainsi envisager un échec. Auquel cas, « on serait alors obligé de se demander s’il n’y a pas un vice plus profond, un vice congénital, si ce que nous continuons à croire possible ne l’est pas, s’il n’est vraiment pas possible à l’intérieur du cadre légal, à l’aide des institutions démocratiques, par une coalition de partis, sans excéder un programme commun qui respecte les principes de la société actuelle, de procurer aux masses populaires de ce pays les réformes de progrès, de justice qu’elles attendent1 ». Pris dans la tourmente du pouvoir, Blum posait une question de fond : le parti n’était-il voué qu’à mener des expériences éphémères et ponctuelles au sein d’un cadre ne lui convenant guère ? Cette question reprendra tout son poids lorsque, en 1983, sera posée au gouvernement Mauroy la question de la sortie ou non du Système monétaire européen (SME). Car cette fois la gauche fera le pari de la durée, chose dont elle était encore incapable à ce moment de l’histoire.

1

Le Populaire, daté du 7 juin 1937. Cité par A. Bergounioux et G. Grunberg, Les socialistes français

184

Chapitre 4 : La tragédie du pouvoir

« Il y aura toujours des misères et des privations, des riches et des pauvres ; toujours des douleurs, des souffrances morales ; point d’illusion plus vaine et plus dangereuse que le bonheur : le bonheur n’est pas de ce monde ! ».

Théodore Dezamy, Monsieur Lamennais réfuté par lui-même, Paris, L’Auteur, 1841, p.5

. Introduction

Bien qu’éphémère, le Front populaire constitue un épisode politique important. Sa chute en 1937 ne ternit pas intégralement le bilan d’une expérience qui aura marqué la France. Il a permis de réaliser des réformes dont la loi sur les congés payés est la plus exemplaire. Mais il a également fait évoluer le socialisme français dans son rapport au pouvoir dans la mesure où, grâce à lui, il avait pour la première fois un héritage à défendre. L’analyse de sa courte inscription dans le temps, imputée à la mise en place trop faible de réformes structurelles, fut également importante. C’est d’ailleurs le bilan que tira Léon Blum de son échec : « Il faut davantage, il faut un programme offrant une base plus forte et plus large, pour résister aux forces qui s’attaquent au gouvernement démocratique […]. Je ne dirai pas que ce sont des réformes de structure […]. Mais, enfin, bien qu’à mon avis, approximativement, l’expression désigne tout de même un certain nombre de réformes positives sur lesquelles

185 nous nous entendons parfaitement1 ». Le réformisme n’était donc pas loin d’être admis par Blum. Mais son échec déçut les militants, dont la méfiance vis-à-vis du pouvoir ne demandait qu’à être entretenue. Au congrès de 1937, Pierre Brossolette formula un sentiment partagé par beaucoup :

« Nous, nous avions la mystique de notre parti […]. Nous pensions que l’investiture que le parti a reçue de la souffrance de millions et de millions de travailleurs lui donnait des droits et des devoirs supérieurs à ceux des autres partis, des droits et des devoirs qui lui interdisaient de capituler comme les autres peuvent le faire […]. Et maintenant que le parti a donné l’impression d’être comme les autres, de tomber comme les autres et de pratiquer comme les autres le petit jeu parlementaire, ce que nous voulons, c’est que le congrès dise non […], dise que jamais le parti ne se permettra à nouveau de pareilles faiblesses2 ».

La guerre refoula la SFIO dans la Résistance, qui se reconstitua légalement à la fin de l’année 1944. Elle participa pendant la guerre, au nom des circonstances exceptionnelles, à plusieurs gouvernements. A la Libération, elle fut confrontée à la question de savoir si, dans la période si nouvelle qui s’ouvrait, elle allait être capable de réviser sa doctrine et de l’accorder à son acceptation de l’économie mixte et de sa participation à des expériences gouvernementales. Léon Blum s’engagea dans cette voie, espérant faire du mouvement une sorte de parti travailliste français3. Mais c’était sans compter sur les résistances qui allaient se fédérer autour de Guy Mollet.