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I – Le mollétisme ou l’impossible réformisme

En vue du congrès de 1946, Léon Blum rédigea une déclaration de principes dans laquelle il proposait la substitution des expressions « prolétariat » et « lutte des classes » par celles de « monde du travail » et d’ « action de classe ». Fruit de ses réflexions réunies dans A

1 Comité directeur, séance du 4 janvier 1956, compte rendu sténographique. Cité par A. Bergounioux,

G. Grunberg, Ibid., p.130.

2 Congrès national, Marseille, juillet 1937, compte-rendu sténographique. Cité par A. Bergounioux, G.

Grunberg, Ibid., p.162.

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l’échelle humaine1, Blum, encore plus attaché aux principes démocratiques que par le passé, voulait donner de nouvelles assises au socialisme. Il souhaitait également préparer le terrain idéologique à l’intégration du parti au système politique. Mais il se heurta, avec Daniel Mayer, le secrétaire du parti depuis 1944, au succès rencontré par la rhétorique de Guy Mollet. Celui-ci, puisant dans le marxisme ses sources théoriques et doctrinales, s’opposait à toute tentative de révision. Les mauvais résultats du parti aux Constituantes de 1945 et 1946 furent attribués à un relâchement doctrinal. Dans un tel contexte, l’orientation qu’il proposait apparaissait comme salutaire.

A/ L’après-guerre ou le refus de la révision

La victoire de Guy Mollet comme secrétaire du parti renforça le versant militant de la SFIO. Dans le texte final adopté à l’issu du congrès d’août 1946, le dos fut tourné aux orientations souhaitées par Blum. Y étaient réaffirmées l’identité révolutionnaire du parti et une lecture de la société en termes de classes : « Le Parti socialiste est un parti essentiellement révolutionnaire : il a pour but de réaliser la substitution au régime de la propriété capitaliste d’un régime où les richesses naturelles comme les moyens de production et d’échange deviendront la propriété de la collectivité et où, par conséquent, les classes seront abolies2 ». Le réformisme allait être congédié, pendant que se réaffirmait la spécificité du socialisme français face à ses voisins européens.

1. La doctrine immuable

Malgré son intégration au régime qui se mit en place après la guerre, la SFIO refusait de se définir comme un parti de gouvernement. Lorsqu’elle participa au gouvernement de la « troisième force » entre 1947 et 1951, qui se substitua au tripartisme, son réformisme fut d’ailleurs très limité. Si la Libération avait été marquée par l’érection des institutions de l’Etat-Providence, le rythme des réformes s’essouffla rapidement. Ainsi la SFIO s’attacha-t-

1 L. Blum, A l’échelle humaine [1945], Paris, Gallimard, 1971. Alors en captivité, Blum avait entrepris

dans cet ouvrage une réflexion sur son expérience à la tête de la SFIO.

187 elle pendant cette période à la défense des acquis de la Libération. Comme le précise Jacques Moreau, « au sein de cette coalition sans âme, le parti socialiste, figé dans sa conception de l’exercice du pouvoir, dut se contenter de défendre des acquis sociaux1 ». De retour dans l’opposition en 1951, elle y joua le rôle d’un « groupe de pression représentant les intérêts de son électorat2 ». Lorsqu’en 1956 il revint à Guy Mollet de former un gouvernement de coalition, il reprit le programme des nationalisations, qui n’étaient pourtant pas évoquées dans celui de 1951. Mais, fait notable, rien ne visant leur extension n’était prévu : « Il ne sera pas possible pour l’instant d’étendre la liste des nationalisations […]. Notre passage au pouvoir ne se traduira pas par la transformation socialiste de la société, mais par la réalisation des espoirs les plus immédiats de la classe ouvrière3 ». Mais si le parti a été limité dans la mise en œuvre de sa politique, cette période a néanmoins pu permettre à ses élites de se familiariser avec les questions monétaires et financières. Au congrès de 1951, le député Albert Gazier le reconnut :

« Nous avons appris aux auditoires que le capitalisme, par des amortissements excessifs, par des investissements déréglés, constituait des profits qui privaient la classe ouvrière de ce qui lui était nécessaire, mais nous l’avons fait – et nous ne pouvions pas, je le répète, agir différemment –, nous l’avons fait en condamnant systématiquement et les politiques d’amortissement et les politiques d’investissement et les manières de fixer les prix et la notion de coût et de revient4 ».

Cette familiarisation par la pratique des socialistes à ces questions économiques a tenté d’être justifiée doctrinalement, notamment sous la plume de Jules Moch. Il s’y employa dans un ouvrage, Confrontations5, qu’il publia en 1952. Reprenant certaines des idées planistes des années 1930 et qui avaient subies la vindicte blumienne, il considérait que la tâche qui revenait à la SFIO était à présent non pas la destruction du régime capitaliste mais l’accélération du développement du socialisme à l’intérieur du système. Il ne s’agissait donc plus de substituer un système à un autre mais de proposer des aménagements au sein même du système. De tels propos, à tendance explicitement réformiste, allaient d’ailleurs dans le sens de ceux de l’Internationale socialiste (IS) qui, à son congrès de Francfort en 1951 admit les

1

J. Moreau, Ibid., p.162.

2

A. Bergounioux, G. Grunberg, Ibid., p.135.

3

Congrès extraordinaire de Puteaux, compte-rendu sténographique. Cité par A. Bergounioux, G. Grunberg, Ibid., p.135.

4 43ème

congrès national, compte rendu sténographique. Cité par A. Bergounioux, G. Grunberg, Ibid., p.136.

188 principes d’économie mixte. Elle déclara ainsi dans sa résolution finale : “Socialist planning does not presuppose public ownership of all the means of production. It is compatible with the existence of private ownership in important fields, for instance in agriculture, handicraft, retail trade and small and middle-sized industries. The state must prevent private owners from abusing their powers. It can and should assist them to contribute towards increased production and well-being within the framework of a planned economy1”. Mais de telles analyses, associées à une forme de révisionnisme, ne pouvaient que déplaire à la frange la plus marxiste et majoritaire du parti. Les analyses de Moch furent ainsi réfutées dans la revue officielle de la SFIO, La Revue socialiste. Guy Mollet l’entendait lui aussi différemment et au congrès de l’IS de 1950 il posa une distinction qui avait pour objectif de sauvegarder l’exception du socialisme français. Il opposa ainsi les partis animés de « considérations morales et démocratiques » à ceux qui, à l’image de la SFIO, poursuivaient « l’abolition du capitalisme et l’appropriation des grands moyens de production et d’échange2 ». Bien que la majorité du parti ne contesta pas la pertinence des analyses de Moch, il était néanmoins hors de question de repenser la doctrine ni de faire référence à un quelconque réformisme.

2. La SFIO et le réformisme en Europe : seule contre tous3 ?

Par ses atermoiements, la SFIO ne se mettait pas au diapason des changements qui frappaient à cette époque la plus grande partie du socialisme européen, dont le cas le plus exemplaire est celui du parti allemand. La social-démocratie allemande, réunie en 1959 à Bad Godesberg lors d’un congrès extraordinaire, adopta un programme marquant explicitement une volonté de réorienter le SPD. En définissant les termes d’une critique sociale à l’intérieur du système capitaliste, le parti social-démocrate allemand entendait inscrire dans sa doctrine les principes de l’économie mixte. La vraie nouveauté se situait par rapport au marxisme, qui n’était plus envisagé comme un dogme : « Le socialisme démocratique, qui plonge ses racines dans l’éthique chrétienne, dans l’humanisme et dans la philosophie classique, n’entend pas

1

Congrès de l’Internationale socialiste, Francfort, juillet 1951. Consulté le 15/02/12 sur le lien suivant : http://www.internationalesocialiste.org/viewArticle.cfm?ArticleID=39

2 Rapport de la conférence internationale de Copenhague, août 1950. Cité par A. Bergounioux, G.

Grunberg, Ibid., p.137.

3 Le passage qui suit doit beaucoup au chapitre « Révisions idéologiques et adaptations

organisationnelles » de l’ouvrage déjà cité d’A. Bergounioux et G. Grunberg, L’utopie à l’épreuve. Le

189 proclamer des vérités dernières1 ». Cette volonté révisionniste s’est également concrétisée au niveau de la nature du parti. Il entendait dorénavant être le parti du peuple entier, non plus uniquement un parti de classe. La situation du Parti travailliste en Angleterre était quelque peu différente. Après sa défaite électorale de 1951, la question de savoir si les réformes mises en place n’avaient pas servi à reconstruire le capitalisme fut posée. L’élection en 1955 de Hugh Gaitskell à la tête du parti aurait dû accélérer la révision doctrinale. Proche de l’aile « droite » du parti, Gaitskell voulut modifier les statuts de 1918 concernant le principe de la propriété publique. Mais les réticences affichées par les dirigeants syndicaux et l’aile « gauche » du parti obligèrent Gaitskell à faire machine arrière. Sa mort en 1963 et la reprise de la direction du parti par Harold Wilson accéléra le processus. Issu de la « gauche » du parti, il sortit par le haut de ce conflit doctrinal en formulant l’idée que le travaillisme devait à présent aménager au mieux possible l’économie mixte2.

Les partis d’Europe du Nord, pour leur part, n’ont pas été contraints à une telle révision doctrinale. Les principes de l’économie mixte avaient été admis sans conteste et avaient inspiré l’élaboration des programmes de gouvernement. Outre la SFIO, le seul parti à n’avoir pas connu semblable évolution est le Parti socialiste italien. Avec à sa tête Rodolfo Morandi, le PSI avait élaboré un programme proche de celui du Parti communiste italien. Inféodé à ce dernier, le PSI connut une légère inflexion idéologique avec les évènements politiques survenus au cours de l’année 1956. La répression en Hongrie et la déstalinisation alors amorcée favorisèrent un renouveau idéologique incarné par Pietro Nenni. A partir de 1957 une majorité se souda autour de lui contre la « gauche » du parti. Mais le parti ne parvint pas à s’émanciper de l’influence du marxisme, qui resta la référence majeure. Comme le précise Giovanni Sabbatucci, « pendant les années du leadership de Nenni, le Parti socialiste italien ne put ni ne voulut s’affirmer comme social-démocrate ou réformiste3 ». La formation en 1963 d’un gouvernement de centre-gauche associant le PSI et la démocratie-chrétienne aboutit à une scission de la gauche du parti et entérina ce refus du réformisme.

1 Programme fondamental du Parti social-démocrate allemand. Publié par la Friedrich-Ebert Stiftung.

Texte français, p.5. Cité par A. Bergounioux et G. Grunberg, Ibid., p.188.

2

Ibid., p.189.

3 « Negli anni della leadership nenniana, il Partito socialista italiano non poté né volle mai essere un

partito socialdemocratico e riformista », G. Sabbatucci, Il riformismo impossibile : storie del

190 A la fin des années 50, les principes de l’économie mixte étaient en majorité acceptés. Le marché était reconnu dans les faits et devait cohabiter avec les principes de planification. Pour les socialismes français et italien ce réformisme de fait n’entraîna pas de révision idéologique. Mais cette évolution du socialisme européen fit néanmoins naître en France un débat doctrinal. En mai 1956, Roger Quillot et Pierre Bonnel signèrent dans la Revue

socialiste deux articles dans lesquels ils s’interrogeaient sur les mutations du socialisme

européen. Un Groupe d’études doctrinales fut ensuite créé. Faisant du marxisme une simple méthode d’analyse, ce groupe chercha à accorder le socialisme français avec les évolutions du socialisme : « Pour ce qui nous regarde, seule une évolution de type scandinave est actuellement concevable. Rien ne nous interdit, assurément, de nationaliser telle industrie, de susciter des coopératives, de mettre en place les éléments d’une planification et d’amorcer le contrôle ouvrier dans les entreprises. Nous ne saurions aller beaucoup plus loin sauf bouleversement de la situation internationale1 ». Les contraintes exercées par la situation internationale nécessitaient du parti qu’il en prenne conscience et adapte sa doctrine en conséquence. Si un tel débat n’était pas nouveau, il l’était dans la mesure où « il s’agissait pour la première fois de reconnaître dans une déclaration de principe de la SFIO le réformisme comme définissant l’identité socialiste2 ». Guy Mollet ne vit pas d’un très bon œil ce qu’il considérait comme une forme de révisionnisme. Il s’arrangea pour que la charte préparée par le Groupe, au lieu de servir de base à une nouvelle déclaration de principes, ne soit que l’expression d’un programme fondamental. Pour lui, rien n’obligeait au changement : « Les idées de base sur lesquelles est bâtie la pensée socialiste restent valables intégralement […]. Il ne doit pas être question de révision ; nous ne sommes pas des révisionnistes3 ». Et concluait : « Ce n’est pas de moins de socialisme qu’il va falloir s’armer pour succéder au gaullisme, c’est de plus de socialisme4 ». Durant cette période, la SFIO a donc accepté un réformisme de fait au nom de la défense des institutions et des acquis de la Libération. Les principes de l’économie mixte ne pouvaient non plus être intégrés à la doctrine. Conformément aux vœux militants, celle-ci est demeurée relativement immuable et inflexible.

1 Revue socialiste, n°121, novembre 1958. Cité par A. Bergounioux, G. Grunberg, Ibid., p.138. 2 A. Bergounioux, G. Grunberg, Ibid., p.139.

3

Journée nationale d’études, Puteaux, mai 1959, compte-rendu sténographique. Cité par A. Bergounioux, G. Grunberg, Ibid., p.139.

4

Conférence nationale d’information, Clichy, avril 1965, compte-rendu sténographique. Cité par A. Bergounioux, G. Grunberg, Ibid., p.140.

191 Elle restait en grande partie, pour reprendre l’expression de Maurice Duverger, « avec son marxisme sur les bras1 ».

B/ Vers un renouveau ?

Au congrès de 1963, le parti confirme l’orientation qui était la sienne en expliquant qu’il n’est possible de « prendre des responsabilités en régime capitaliste que si, et seulement si, il obtient des transformations de structure qui le rapprochent de son but final2 ». La reprise d’un dialogue avec le faux frère communiste pendant l’année 1964 confirma également cette tendance. Le renouveau ne pouvait donc venir de la SFIO et de l’emprise idéologique que son dirigeant maintenait sur elle. Il ne pouvait surgir que d’une minorité gravitant dans les cercles plus minoritaires du parti ou bien de l’éclatement du parti lui-même.

1. Tentatives de renouvellement doctrinal

Une telle vision des rapports de la gauche aux questions économiques semble néanmoins quelque peu caricaturale et doit être nuancée. Elle l’est du moins devenue avec le temps. Car scinder aussi radicalement la SFIO entre un pôle archaïque, arc-bouté sur son marxisme, et un pôle moderniste et réformiste désireux de se former aux logiques de l’économie, ne tient pas. Comme le précise Mathieu Fulla, « envisager l’histoire socialiste dans la République gaullienne naissante comme une simple opposition frontale entre Anciens

et Modernes conduit à éluder certaines mutations essentielles de ce que nous appelons « l’idéologie économique socialiste »3 ». Il s’avère en effet que la SFIO, à partir de la fin des

années 1950, période marquée par la stagnation de ses effectifs, vit apparaître en son sein une nouvelle tendance s’affichant en retrait vis-à-vis de la synthèse « marxo-blumienne » à l’œuvre depuis la Libération. Reprochant la réduction de la problématique économique à une

1

M. Duverger, « SFIO : mort ou transfiguration ? », Les Temps modernes, n°112-113, mai-juillet 1955, p.1872.

2

Textes votés à l’issue du 54ème Congrès national SFIO, clichy, avril 1963. Cité par A. Bergounioux, G. Grunberg, Ibid., p.140.

3 M. Fulla, « La gauche socialiste et l’économie : querelle des Anciens et des Modernes ou mue

réformiste délicate (1958-1968) ? », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 13, janvier- avril 2011, p.1.

192 simple question de répartition, cette tendance, incarnée par le mendésisme, la fraction minoritaire des réformateurs de la CFTC1, du Parti Socialiste autonome (PSA) et de l’émergence du Club Jean Moulin, tenta de proposer au parti, et plus largement à la gauche, un « nouveau paradigme économique2 ». Elle était une préfiguration de l’idée de « troisième voie », entre le communisme étatiste d’un côté et le capitalisme libéral de l’autre. En désacralisant le rapport des travailleurs et plus largement des Français aux questions économiques3, c’est une véritable mue qu’elle comptait opérer :

« Trop souvent, on a voulu donner aux travailleurs la seule compétence en matière sociale, nous étions « qualifiés » pour parler des problèmes du chômage, pour parler des problèmes de salaires, pour parler d’allocations familiales ou de régime de retraites, mais aussitôt que nous voulions parler de gestion d’entreprise, d’investissements dans l’industrie, d’expansion économique, de grandes orientations politiques de notre pays, de question de colonisation ou de rapports avec les pays étrangers, nous n’étions plus alors des personnes compétentes, nous étions bons pour faire du social, « mais non pas pour faire de l’économie et du politique »4 ».

Mais « faire sortir la gauche du social » et de conceptions des problèmes macroéconomiques jugées archaïques n’était pas chose aisée. Car en dépit d’un certain écho, cette tendance modernisatrice ne possédait pas les leviers politiques suffisants pour imposer son réformisme à l’ensemble de la gauche sans l’aide de la SFIO. Or, le parti avait pour l’heure d’autres préoccupations. L’orthodoxie doctrinale incarnée par Guy Mollet, mêlée aux préoccupations concernant le conflit algérien et les problèmes liés aux réformes constitutionnelles, ne favorisaient guère une telle reconstruction. Cependant, après la période 1958-1962, certains leaders socialistes se sont acculturés aux nouveaux impératifs d’une économie française intégrée au Marché commun. Cette acculturation passe avant tout par un renouvellement générationnel. François Mitterrand et la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS), dont le programme rédigé en 1966 sera l’œuvre de Pierre Uri, grand artisan de la Comptabilité nationale à la Libération, cherchent de leur côté à intégrer les

1

La confédération française des travailleurs chrétiens est un syndicat créé en 1966.

2

Ibid., p.6.

3

Dans l’article qu’elle a consacré à la légitimation du savoir économique sous la Vème République, Delphine Dulong rappelle bien que « l’économie demeure au début des années 1960 un domaine réservé aux seuls initiés », in « Quand l’économie devient politique. La conversion de la compétence économique en compétence économique sous la Vème République », Politix, n°35, vol.9, 1996, pp.3- 4.

4

G. Declercq, « Pour une planification démocratique », rapport sur le programme économique de la CFTC, Issy-les-Moulineaux, juin 1959. Cité par M. Fulla, Ibid., p.8.

193 principes de prévision et de planification. A la SFIO, c’est autour du CERES1 de Jean-Pierre Chevènement et du CEDEP2 de Pierre Mauroy que viendront se fédérer les rénovateurs.

Insistons dans cette tentative de renouvellement idéologique sur la place de ce que l’on peut appeler, en suivant Janine Mossuz, les clubs politiques3. Outre le Club Jean Moulin, déjà mentionné, fleurissent en effet à partir de la fin des années 1950 une kyrielle de groupes de pensée venus d’horizons divers, tels « Socialisme et démocratie » ou « Citoyens 604 ». Bien que doctrinalement divergents, leurs objectifs résidaient dans l’élaboration d’alternatives à la trop grande place prise par l’idéologie au sein du parti. Ils exprimaient ainsi le désir de passer outre « la notion ancienne de politique, oppositions de convictions quasi théologiques au sujet de problèmes qui n’ont plus de rapports directs avec la vie quotidienne du citoyen5 ». En sus de cette ambition de détacher le socialisme d’antiennes n’ayant pas de réalité pour la vie des gens, c’était également le rôle de l’institution partisane qu’il fallait réévaluer. Dans un rapport au Club Jean Moulin daté d’octobre 1964, Georges Lavau écrivait ainsi que l’échec de la doctrine socialiste étant avérée, « la tâche propre d’un parti nous semble être plus modeste et plus pratique : c’est essentiellement de définir un programme d’action à moyen terme, rappelant les buts permanents et précisant un certain nombre d’objectifs intermédiaires susceptibles d’être concrétisés6 ». La transition aux principes du régime mixte était également acceptée : « sauf à retomber dans l’utopie, le socialisme occidental est condamné à faire évoluer le régime de propriété en se plaçant, comme l’a fait la Suède, à l’intérieur du capitalisme7 ». De sorte qu’aux élections législatives de 1967, la gauche institutionnelle pouvait s’appuyer « sur une idéologie économique issue d’un compromis entre objectifs