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une revendication liée sur l'eau et la terre

parmi les secteurs les plus dispendieux. Mais si le secteur agricole est grand consommateur d'eau, son poids est en revanche faible en termes d'emplois, de part du P.N.B et de part dans les exportations pour l'État hébreu. Cette disproportion entre une consommation de plus de 60%de l'eau, une force de trava1l de 2,5%et une part de l'agri-culture dans le produit national estimée à2,2% nourrit les critiques vis-à-vis du maintien de certaines activités agricoles subventionnées.39 Le26 juin 2001 la Knesset a décidé de créer une commission d'enquête parlementaire sur l'eau. Un débat très virulent s'est ouvert en Israël sur les choix engagés par les autorités en matière de gestion hydraulique.

Les critiques ont été particulièrement ciblées sur l'influence prépondérante des agriculteurs et sur le lobby des I<.ibbuztniques.

Les politiques de l'eau auraient laissé une part trop belle aux revendications corporatistes des agriculteurs sans tenir compte des impératifs d'une gestion économe de l'eau au profit de tous les secteurs de la société.40

L'agriculture pionnière est un des mythes les plus enracinés et les plus construits de la société israélienne. Il n'a pas seulement guidé les premières générations de pionniers dans l'édification du nouvel État hébreu,ila aussi forgé un modèle idéologique et une structure sociale encore influents aujourd'hui. Toutefois, le poids de ce mythe fondateur n'est pas sans susciter des critiques de plus en plus virulentes au sein même de la société israélienne.

toujours reposé et repose encore sur l'agriculture. Parallèlement ces publications et ces discours ne manquent pas non plus de souligner les retards et faiblesses du secteur agricole palestinien, pour les imputer aussitôt à l'occupation israélienne. Ils sont jugés comme le fruit d'une politique délibérée d'Israël qui a multiplié les entraves à l'agriculture palestinienne afin de freiner l'essor économique des Palestiniens.

Le discours général des Palestiniens sur l'agriculture offre u::e vision mythifiée d'une société palestinienne paysanne, avec en cOI-:>l1aire une représentation très sombre du rôle d'Israël dans le déveb~pement

de leur agriculture. Pour de nombreux responsables pa~estiniens,

« l'agriculture est d'une importance vitale pour les Te:ritoires occupés (...) son rôle est crucial tant en Cisjordanie qu'à Gaza, beaucoup plus qu'en Israël et en Jordanie.»41Il s'agit encore d'« accorder la piorité au secteur agricole dans toute perspective de défense de l'économie palestinienne étant donné les faibles possibilités du secteur industriel.»42

C'est d'ailleurs dans cette logique, que l'ensemble des études sur les problèmes hydrauliques en Palestine réclame un meilleur partage des ressources en eau en arguant du développement nécessaire du secteur agricole. La représentation d'une Palestine agricole est notamment véhiculée par de nombreux responsables hydrologues palestiniens afin d'étayer l'argument d'une redistribution des ressources en eau pour l'usage agricole.La réclamation palestinienne de disposer d'eau supplémentaire pour l'agriculture s'accompagne d'une argumentation dénonçant les grosses consommations hydriques à destination des cultures israéliennes très gourmandes en eau comme le blé et le coton, alors que les cultures palestiniennes, type fruits et légumes, nécessitent moins d'eau. Sont également dénoncées les aides substantielles d'Israël à ses agriculteurs qui découragent les velléités d'économie d'eau et privent ainsi les agriculteurs palestiniens de possibilités d'irrigation supplémentaires.

Les thèmes revendicatifs des Palestiniens, qui dénoncent la confis-cation par Israël de leurs terres et de leurs ressources en eau, ne cessent de lier ses deux questions. Les critiques portées par les experts pales-tiniens sur les accords intérimaires de Taba en septembre 1995 évoquaient du reste l'absence de prise en compte par les textes signés de l'usage agricole de l'eau, reléguant les demandes d'une augmentation

de l'approvisionnement hydraulique pour développer le secteur agricole palestinien à une négociation ultérieure. Lors des négociations les Palestiniens ont d'ailleurs demandé compensation à Israël pour les dommages subis par l'économie et le secteur agricole en particulier.

Si les discours officiels conservent l'image d'une société palesti-nienne, société rurale et paysanne, la réalité nous renseigne autrement.43 Les profondes mutations de la structure agraire survenues au cours de la première moitié du XXèmesiècle avaient déjà contribué à saper les fondements d'une société à dominante agraire dans laquelle la production agricole reposait sur des communautés rurales avec mise en valeur et exploitation collectives de la terre.44 La Palestine arabe, néanmoins, conservait encore à la fin du mandat anglais un secteur d'agriculture traditionnelle non négligeable.45

L'occupation par Israël en 1967 de la bande de Gaza et de la Cisjor-danie, suivie de l'instauration des administrations militaire et civile israéliennes, ont achevé de déstructurer le secteur agricole palestinien.

Les décennies d'occupation israélienne ont imprimé les marques d'une intégration contrainte de la société palestinienne dans le système éco-nomique israélien et ont conduit à de profonds changements sociaux dans la structure de la société palestinienne. Or dans le schéma d'inter-dépendance nouée entre l'économie palestinienne et l'économie israélienne, une des incidences notables a trait à la perte d'influence de la classe paysanne. De 45% de la population active totale en Cisjordanie en 1969, la part de la population active palestinienne travaillant dans le secteur primaire a chuté à 19%en 1984. La bande de Gaza a connu une baisse comparable. Parallèlement la part de l'agriculture dans le P.I.B, durant la période allant de 1969 à 1985, a baissé de 36,4 à 30 % en Cisjordanie et de 28,3 à 17,8 % dans la bande de Gaza46 Les mesures israéliennes limitant les activités agricoles palestiniennes, les expropriations de terres pour construire des colonies, mais aussi l'application des nouvelles mesures israéliennes pour le contrôle de l'exploitation des ressources en eau ont conduit à un rétrécissement des zones agricoles accentuant le départ obligé des paysans palestiniens, et essentiellement gazaouis, vers le marché du travail israélien. Les pratiques discriminatoires, concernant le forage des puits, les quotas de consommation d'eau, etc. ont ainsi contribué à la

stagnation de l'agriculture palestinienne.47 Une des premières incidences des contraintes sur l'approvisionnement en eau a été de réduire très fortement la part des cultures irriguées sur l'ensemble des terres agricoles palestiniennes.Àla veille de l'Intifâda de 1987 seuleme:lt 5% de l'aire totalement cultivée est sous irrigation contre <·5% en Israë1.48 Dix ans plus tard, au moment des accords de Taba de ~.995,moins de 10% des terres cultivées étaient irriguées.49 L'extension ries surfaces irriguées est d'ailleurs une demande constante des Palestiniens intégrée dans leurs projections agricoles. Des estimations ont été faites qui évaluent à près de 712 000dHnHmJle potentiel des terres irrigab!es.50

Il est cependant significatif de constater que les Palestiniens insistent plus sur les potentialités agricoles des territoires que sur une analyse des résultats obtenus. L'ARI], importante o.N.G palestinienne travaillant sur le domaine agricole cisjordanien, présente ainsi des tableaux montrant des estimations élaborées par leur bureau, sur les productions potentielles de différentes cultures obtenues grâce à l'emploi de techniques modernes d'irrigation.51 Chiffres purement hypothétiques, ils ont néanmoins, aux yeux des Palestiniens, le mérite de flire valoir les capacités agricoles des territoires et leur sous-développeœe:1t causé par la politique israélienne. N'indiquant pas une réalité t~ngible,

les évaluations servent une instrumentalisation idéologique. Slles sont là pour susciter ou pour consolider l'idée d'un territoire ?alestinien à vocation agricole. Ces projections participent~lus t.:'l!n mode de représentation que d'une réalité affirmée sur le terrain, et visent à présenter l'agriculture comme le principal secteur d'activité de l'économie palestinienne.

Dans les discours croisés des Palestiniens et des Israéliens, la représentation traditionnelle sioniste d'une Palestine désertifiée, p~l'

cultivée avant l'implantation juive, a suscité à l'inverse une:éponse véhémente de la part des Palestiniens devant ce qu'ils qualifie!1t tiedén~

historique. Ils dénoncent l'argumentaire israélien commedisco'-'~s:le propagande. « (... )ils ~es Israéliens] sont imprégnés;t:squ:~. ~.~ m~e':'e

par les poèmes de leurs premiers immigrants, sur l'assècr.\,=ce,-td~s

marais et la fertilisation du désert, sur le retour au paradis a;::-è3~.;e~lfer des guerres lnternuna es. . bl (....) »52 I l 's recusent ega_eme:at ., . . ". . ,lc.e~

qu'avant l'arrivée des sionistes en Palestine, le pays étaitsous-:l~7elo?pé

sur le plan agricole, et que les ressources en eau n'étaient pas exploitées àdes fins agricoles.«Contrairementàce que laisse entendre la plupart de la documentation israélienne sur l'eau, qui voudrait que seuls les juifs aient exploité les eaux de Palestine avant la. création d'Israël, les Palestiniens d'alors utilisaient beaucoup plus d'eau pour l'irrigation.

Au milieu des années quarante la terre irriguée comprenait environ 500 000dunumsdont la moitié était plantée de citrons de manière à peu près égale par les juifs et les arabes. Mais l'aire de culture des légumes était trois fois plus importante du coté arabe que du côté juif, ce qui suggère un plus grand usage de l'eau par les Palestiniens.»53

Les années d'occupation israélienne ont vu émerger de nouveaux groupes sociaux générés par les liens entretenus avec la puissance occupante, bouleversant ainsi la structure de la société palestinienne.54 Aujourd'hui la population active palestinienne occupe principalement des emplois d'ouvriers ou employés dans les secteurs d'activité économique israéliens. Main-d'œuvre bon marché, pour moitié employée sans être déclarée dans des branches comme la construction, l'hôtellerie, les services et surtout l'agriculture, elle est soumise aux aléas économiques et politiques générés par la situation de conflit persistant entre les deux populations. Parallèlement la population palestinienne réfugiée a subi depuis 1948 un double processus de perte identitaire. On observe ainsi«une perte de ses bases paysannes et une prolétarisation croissante, accompagnée d'une extrême précarité de l'emploi et des revenus».55

Face à l'occupation israélienne et à ses conséquences, des organi-sations non gouvernementales palestiniennes se sont investies afin de pallier les problèmes rencontrés par les paysans palestiniens. La plus importante de ces o.N.G à but non lucratif travaillant dans le domaine agricole est le P.A.R.C(Palestinian Agricultural Relief Committes)56, créé en 1983. Elle identifie comme premiers objectifs, d'une part, la protection et l'augmentation des terres agricoles ainsi que leur productivité, et, d'autre part, la valorisation optimale des ressources en eau disponiblesY Ce travail de terrain associatif a éclos à la faveur de la dynamique de mobilisation initiée par l'Intifâda et avec l'émergence d'une société civile. Le mouvement de résistance nationale, déclenché en décembre 1987, amène la population palestinienne à questionner les

formes d'organisations sociales et productives mises en place, et à modifier son rapportà la terre et aux ressources naturelles. La résis-tanceà la puissance occupante prend notamment la forme de comités populaires(AI-lejneh) créés afin d'organiser l'entraide entre les habitants d'un même quartier dans tous les domaines de la vie quotidienne.

Une de leurs activités, tournées sur le développement de l'économie domestique, est d'organiser la culture des jardins et l'élevage des animaux, cherchant ainsiàsubvenir aux besoins alimentaires minimaux de manière autarcique, en boycottant les sources d'approvisionnement israéliennes.58 Les mesures de répression de la révolte palestinienne prises par les autorités israéliennes ont visé le secteur agricole, dans sa valeur économique et symbolique. Des communautés agricoles palestiniennes se sont vu interdire de semer, récolter, cultiver et commercialiser leurs produits. Nourrir le bétail, même, était un acte qui enfreignait les interdictions israéliennes. La manifestation répressive la plus durement ressentie par la population palestinienne est la destruction de champs d'oliviers par les militaires israéliens en représailles àdes actes de violence de Palestiniens. Justifiées au nom de raisons de sécurité, ces destructions cherchaientàdétruire les signes tangibles de l'attachement des Palestiniens à leur terce, symbolisé notamment par l'olivier.

La glorification de l'économie domestique, qui coïncide avec un des mots d'ordre de l'Intifâda à savoir le retour au travail de la terre, relève d'une position idéologique développée au début des années quatre-vingt, lesumt2d(<<tenir bon»). Qualifié souvent de résistance passive ce mode de résistance palestinienneà l'occupation israélienne fonde sa stratégie sur une idéologie de survie en incitant la population palestinienne à adopter une attitude qui lu:.p~rmette de rester le plus longtemps possible sur le sol palestinien avant sa libération nationale.

Lesumûd a évolué par la suite en une forme d'afftrmation des vertus traditionnelles de la société rurale, qui passe entre autres par une revalorisation de l'attachement à la terre, de l'autosuffisance, etc.

Se sont superposées des représentations fortes qui définissent la structure de la société selon des paramètres de société paysanne.

Stigmatisé par d'aucuns pour son caractère régressif, le terme a fini par prendre un sens péjoratif. Lesumûd a, dans les faits, consolidé les forces conservatrices de la société palestinienne. «L'attachement à la

terre a pris la forme d'une glorification d'une société paysanne qui n'avait jamais existé en réalité. Le thème de la fécondité s'est inscrit en parallèle à la paranoïa du nationalisme juif devant la croissance démographique arabe. Et la recherche de l'autosuffisance devint une recherche de l'autarcie, une perspective aveugle aux réalités économiques de la domination israélienne et des forces du marché.»59

La force de la représentation d'une Palestine, société rurale et paysanne, tient aussi dans le travail de mémoire autour des lieux d'habitat, de cultures agricoles, etc. Pour la population palestinienne, quitter sa terre, quitter son village signifiait perdre son identité collective. La topographie particulière du village palestinien, aménagé en unité de production agricole, consacre une mémoire collective des lieux villageois qui s'accompagne nécessairement de la mémoire des champs, des oliviers, etc.60 Profondément intégré dans le paysage alentour de plantations et de cultures, le village,«berceau et gardien des valeurs et des traditions arabes»,61 entretient la préservation de l'identité palestinienne. L'appartenance à un village perpétue les traditions de valeurs rurales et cimente un sentiment national plus fort d'attachement à la terre. Source de tout un patrimoine et de valeurs nées de ce mode de vie rural et paysan, le souvenir du village quitté renvoie immanquablementàla perte de la terre et de ses ressources.

Si les profondes modifications observées au cours du XXèmesiècle ne permettent plus aujourd'hui de qualifier la société palestinienne de paysanneàproprement dit, elle est néanmoins restée rurale quant au lieu d'habitat. Près des deux tiers de la population résident en campagne. Cela participe également d'une volonté de demeurer sur le territoire, forme de réponse à la politique de conquête territoriale israélienne. Il demeure pourtant une représentation forte au sein de la population palestinienne, de se définir en société à dominante rurale et paysanne. La pérennité de cette représentation dans la société d'aujourd'hui se justifie par une volonté de conserver des référents présents avant l'occupation israélienne. Elle perpétue l'image d'une Palestine agricole et rurale antérieure à la Nakba. En véhiculant cette représentation, les Palestiniens cherchentàconstruire un système de référents identitaires, dans lesquels la terre et l'eau sont

indissocia-blement liées pour fédérerlamémoire palestinienne de la terre perdue.

L'image d'une société palestinienne rurale et agricole, encore entretenue par la majorité des Palestiniens, répond à leur revendication de souveraineté et à une profonde aspiration nationale. Ainsi se comprend la construction«mythologisée»du Palestinien paysan, dont la représentation pérennisée sert à fonder en légitimité les reven-dications actuelles territoriales et hydrauliques.