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Autre sujet d'inquiétude: la production hydroélectrique, mais surtout l'approvisionnement en eau à des ftns d'irrigation, sont assurés par de très nombreux barrages. Le gouvernement reconnaît que 3 200 ouvrages, pour la plupart construits entre 1950 et 1970 environ, ont cédé depuis 1949, provoquant parfois des tragédies dévastatrices, et qu'en dépit des efforts soutenus des 20 dernières années, l'état des 33000 ouvrages hydrauliques chinois demeure préoccupant.6\ Si une proportion notable d'entre eux devaient être détruits pour des raisons de sécurité, le bilan hydraulique agricole pourrait s'en trouver durablement affecté.

Le rendement de l'eau dans son usage agricole n'est que de 30% : c'est dire s'il existe une forte marge pour l'amélioration des rendements; mais celle-ci suppose des investissements majeurs et un changement des mentalités. Des investissements importants, car, par exemple, l'irrigation par gravité est employée sur 95 % des exploitations:

l'introduction des techniques par aspersion, beaucoup moins chères

que le goutte à goutte, permettrait cependant une augmentation notable du rendement hydrique. Mais la diffusion de cette technique nécessite la mise sur pied d'un lourd programme. Des changements de mentalités aussi, car, par exemple, certaines régions pourraient devoir abandonner la culture du riz, qui demande beaucoup d'eau, pour celle du blé ou d'autres céréales, moins consommatrices. Dans le cas de l'élevage, une rationalisation impliquerait de favoriser les volailles, qui consomment moitié moins de nourriture par kilogramme de viande produite, et donc moitié moins d'eau, que le porc. Mais de tels changements impliquent de bouleverser des habitudes bien établies.

Cependant, des experts de l'Association Chinoise pour les Économies d'Eau Agricole (China Agricultural Water Saving Association) ont averti le gouvernement, lors de consultations tenues en août 2001, quant au niveau très élevé des investissements qu'impliquaient d'importantes économies d'eau, compte tenu de la structure agraire du nord de la Chine. Il en coûterait environ 10 yuans par mètre cube d'eau économisé, selon Zhang Yue, président de l'Association: ce coût est supérieur au coût de revient estimé de l'eau détournée du Yangze vers le nord.62

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Ce n'est pas que la Chine manque d'eau: l'eau manque là où elle est fortement en demande, dans la plaine du Nord à l'agriculture si développée et où le développement industriel et urbain est soutenu.

L'eau est dans l'extrême nord et dans le sud du pays, et les trois quarts de l'exploitation agricole dans le nord et le nord-est. Il est, de fait, tentant d'envisager de transporter cette eau si abondante ailleurs pour en faire bénéficier les régions en déficit. Legouvernement a prévu de grands travaux de dérivation en provenance de la Chine centralé3,mais la capacité supplémentaire ainsi fournie ne sera pas longtemps suffisante face au rythme actuel de l'augmentation de la demande.

À la fin des années 1960, les Chinois avaient laissé germer l'idée de mettre à profit les fleuves sibériens, pour la plus grande peur des autorités moscovites. Bien sûr, cette peur s'inscrivait dans le cadre de la rivalité entre Chine et Union soviétique. En 1969, lors de la période des affrontements militaires sino-soviétiques, la question était à l'ordre du jour. Les Soviétiques estimaient, à tort ou à raison, que les Chinois

caressaient le projet de détourner les fleuves sibériens vers la Chine du nord. Les médias chinois, étroitement contrôlés par les autorités, ont contribué à susciter l'inquiétude soviétique en posant ouvertement la question de l'avenir de l'Extrême-Orient soviétique. La récurrence des discours sur la «ressource du nord» et la publication de cartes chinoises où la frontière sino-soviétique avait disparu, dans le contexte d'extrême tension entre les deux pays, en étaient trop pour que Moscou ne nourrisse pas de sombres inquiétudes.64

Les projets de dérivation qu'envisagent les autorités chinoises concernent surtout leurs propres ressources, dans le sud du pays. Mais, une fois les dérivations effectuées, la présence des fleuves sibériens, de l'Amour en particulier, si peu exploités par la Russie, et tellement plus proches de la plaine du Nord que le Yangze, voire le Brahmapoutre dans son parcours tibétain, semble tentante. Afin de faire face à une grave pénurie qui se dessine, il est possible que le gouvernement chinois envisagera des négociations avec la Mongolie et la Russie pour obtenir des transferts durables d'eau, maisiln'est pas certain, compte tenu des rapports ambigus entre la Chine et les autorités russes dès que des questions territoriales sont abordées, que Beijing obtienne gain de cause rapidement.

Le gouvernement, face à une demande sans cesse croissante, s'est repenché sur un projet ancien: détourner les eauxGUYangze ou de ses affluents vers le nord de la Chine par trois systèmes de canaux majeurs:

le premier, groupant plusieurs petits canaux entre les cours supérieurs du Yangze et de ses affluents, et du Huanghe, suppose la traversée d'une zone très montagneuse pour apporter 19,5 milliards de m3par an dans le cours du haut Fleuve Jaune; le second dériverait 15 milliards m3 de la rivière Han Shui vers le Fleuve Jaune et la région de Beijing;

le troisième reprendrait le tracé du Grand Canal du VIle siècle vers Tianjin pour y acheminer 9 milliards de m3, Le débit total détourné se situerait donc entre 1 300 et 1 600 m3/ sec, un débit 30 à 37 fois supérieur à celui du canal de dérivation de Wanjiazhai, ce qui suppose des travaux d'une très grande ampleur: le tracé de dérivation de la rivière Han Shui, par exemple, implique la construction de 1 500 ouvrages d'art et le déplacement de 220 000 personnes. Les coûts estimés du percement de ces trois canaux, déjà envisagés par Mao en

1952, étaient estimés à environ 15,4 milliards d'euros par le gouvernement chinois en1998,mais les énormes difficultés techniques que présentent les deux premiers tracés amènent certains analystes à envisager des coûts beaucoup plus élevés.65 Les travaux préliminaires du canal oriental vers Tianjin auraient débuté en 1998.Lecanal central, partant du réservoir de Danjiangkou sur la rivière Han Shui, est rendu au stade de la planification, tandis que le tracé occidental est en étude de faisabilité. 66 En novembre 2001,le gouvernement a rendu public le plan de cons-truction des canaux oriental et central, qui s'échelonne sur «5à 10ans», Lecoût du chantier de ces deux seuls canaux était déjà estimé à 180 milliards de yuans (21,5 milliards d'euros) ...67 Quant au projet occidental, il implique des difficultés techniques (percement de canaux en zones montagneuses et éloignées;

dénivellations de350à520m à faire franchir par l'eau pompée, d'où des coûts énergétiques importants) qui supposent l'engagement de crédits majeurs; or, cet engagement de fonds publics dans des zones peu habitées, même si elle a une finalité globale, enthousiasme peu de partisans (Fig. 6.3 de la page suivante).68

Ce sont ces perspectives budgétaires qui avaient conduit le gouver-nement à espérer pouvoir repousser le projet, mais la succession de sécheresses catastrophiques en Chine du nord au cours des années 1995-2001 l'a forcé à le remettre à l'ordre du jour. Le ministre des Ressources hydrauliques, Wang Shucheng, aurait préféré des mesures incitatives d'économie d'eau et de tarification afin de faire baisser la consommation.69 Les critiques du projet font justement valoir que les sommes qui seraient ainsi dépensées pourraient être plus efficacement investies dans la définition de programmes d'amélioration de l'usage de l'eau, ou dans l'importation de denrées agricoles de faible valeur (comme les céréales) pour permettre une spécialisation sur des cultures de plus forte valeur ajoutée.711 Vingt milliards de m3 d'eau permettent de produire 20Mt de blé, soit une valeur approximative de 2,4milliards d'euros par an, au cours de 1999(tendance à la baisse).

Cette valeur excède-t-elle l'amortissement du canal et la valeur du développement industriel que favoriserait l'emploi de l'eau à cette fin?

De plus, le secteur agricole est loin d'être favorable aux contre-projets gouvernementaux, en témoigne la position de l'Association Chinoise pour les Économies d'Eau Agricole, hostile àla tarification de l'eau

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rurale proposée par le gouvernement et au développement systé-matique des mesures de rationalisation de l'irrigation. Ces mesures, explique-t-on, risquent de conduireàla faillite de nombreux exploitants et à la baisse de la mise en culture de céréales. La tournure du problème prend dès lors une dimension résolument politique pour le gouvernement central: alors que l'autosuffisance en céréales a été difficilement atteinte en 1984, doit-il accepter une dépendance alimentaire à l'égard de l'étranger dans le domaine des denrées de base, une stratégie économique contraire au dogme maoïste, pour espérer trouver une répartition acceptable de la ressource en eau, répartition qui, de plus, assurerait un développement industriel?

Le sérieux avec lequel le gouvernement envisage ces mégaprojets s'explique en partie par l'urgence de la situation qu'induit la dérivation croissante des eaux du fleuve Jaune. À partir de 2003, un canal acheminera 146 millions de m3 par an du cours supérieur du fleuve à Hohhot, en Mongolie Intérieure, pour permettre àla capitale de cette région de faire face àl'explosion de sa population; mais c'est autant d'eau en moins pour les habitants et les industries de l'aval.71

Les volontés de mise en valeur des régions périphériques et de miseà profit de nouvelles ressources en eau ont conduit le gouvernement chinois àenvisager, en 1995, le percement d'un canal de dérivation du Tsangpo (Brahmapoutre) dans son parcours tibétain, pour irriguer des terres désertiques au Xinjiang et en Mongolie intérieure. L'ampleur gigantesque des travaux a conduit des ingénieurs de l'Académie Chinoise de Physique de l'Ingénierie à proposer de recourir à des explosions nucléaires pour permettre le percement du canalàtravers les barrières montagneuses du Gangdisi Ri et des Kunlun, une technique déjà envisagée, dans les années 1960, par les ingénieurs soviétiques pour détourner les cours de l'Ob et de l'Iénissei vers l'Asie centrale, mais aussi par les ingénieurs américains au cours des années 1950, qui envisageaient l'emploi de bombes nucléaires pour l'exploration pétrolière et pour le percement d'un nouveau canal àtravers l'Amérique centrale.72