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frontière commune. Bagdad reprochait de plus à la Syrie sa stratégie militaire dans la défaite de la guerre du Kippour de 1973. Une médiation saoudienne et soviétique empêcha le déclenchement de la guerre en 1975, mais les relations entre les deux voisins restèrent exécrables sur tous les plans, y compris celui de la politique hydraulique.

syrienne, sans que l'accord signé ne mentionne explicitement le PKK.

Mais, constatant que l'activisme du PKK ne diminuait pas, la Turquie a exercé de très fortes pressions diplomatiques et militaires pour que la Syrie cesse son soutien actif aux rebelles kurdes.Àce chapitre,ilimporte de souligner que Bagdad et Ankara ont souvent vu leur politique de lutte contre les mouvements kurdes coïncider, malgré leur différend hydraulique.15 L'alliance militaire explicite avec Israël, que le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou avait qualifiée «d'axe» en 1998,16 souligne davantage la faiblesse de l'armée syrienne dans l'hypothèse d'un conflit armé avec la Turquie. Ankara, à l'automne 1998, a opté pour une stratégie de menace militaire envers la Syrie pour obliger Damas à renoncer au soutien du PKI<:. Considérant que cette option militaire était sérieusement envisagée par le gouvernement turc, la Syrie a dû céder en octobre 1998. La capture d'Ocalan, le chef du PKK, en février 1999, prive Damas d'une carte majeure dans son bras de fer avec Ankara.17Il se pourrait, selon certains analystes, qu'Ùcalan ait été trahi par les Syriens en échange d'un compromis sur les eaux de l'Euphrate: compte tenu de la position de force de la Turquie, qui peut se permettre de tenir tête tant à la Syrie qu'à l'Irak, cette hypothèse semble peu probable.

Une t(uestion inséparable d'autres litiges territoriau,

La Turquie ne se fait pas faute d'établir un lien entre la question des eaux de l'Euphrate qu'elle régit désormais, et le litige portant sur l'Oronte, fleuve qui prend sa source au Liban, traverse la Syrie avant d'aboutir en Turquie dans la région d'Iskenderun (Hatay). Damas a construit plusieurs barrages sur le fleuve et ses affluents, et projette d'en construire d'autres à des fins d'irrigation. Mais cette exploitation syrienne de près de 90% des eaux de l'Oronte prive la Turquie de volumes considérables. En 1964, la Turquie avait proposé à la Syrie un accord global sur le partage des eaux de l'Euphrate, en échange d'un accord similaire sur l'OronteI8 ,ce que la Syrie a catégoriquement refusé:

pour Damas, il est officiellement inacceptable que la question de l'Oronte soit liée à celle de l'Euphrate, car les bassins sont différents.

En réalité, la Syrie refuse cette idée de négociation globale, non pour des raisons hydrologiques ou économiques, mais bien parce qu'un tel accord serait la reconnaissance implicite de la souveraineté turque sur le

Hatay: la province, qui faisait partie du territoire de jzSyrie, avait été cédée par la France, alors puissance mandataire, en 1939, afin de s'assurer de la neutralité turque dans le conflit mondial qui se profilait.

L'attitude turque dans le litige sur les eaux des rivièresp::-:-::!les de la frontière a contribuéàenvenimer les relatiom e!ltre Damas et Ankara.

Les traités Franklin-Bouillon du 20 octobre 1921 et d'am±tié f:anco-turc du 30 mai 1926 soulignent le droit de la ville syrienneë:'Alep de s'approvisionner dans la rivière Koveik, qui coule en Turquie avant de passer en Syrie. Or, au début des années 1970, la Turquie a unilaté-ralement rerné ses engagements en détournant la Koveik..19

La Turquie maÎtresse du château d'eau régi()nal

Dans les faits, la doctrine juridique du gouvernement turc implique que la Turquie se pose comme le maître des eaux qui s'écoulent du plateau anatolien. Elle récuse le statut de fleuves internationaux au Tigre etàl'Euphrate, afin de se soustraire aux conventions du droit international, encore balbutiant et très indicatif, qui esquissent le cadre normatif à respecter lors des négociations pour le partage de la ressource hydraulique.20De plus, Ankara (tout comme Damas, d'ailleurs) récuse l'idée irakienne de l'indépendance des deux bassins versants du Tigre et de l'Euphrate: en optant pour l'unicité du bassin de ces deux fleuves, tant la Turquie que la Syrie proposent que l'Irak assure ses besoins en eauà partir du Tigre, difficilement aménageable, et laisse ainsi l'Euphrate pour les besoins turcs et syriens, une position que Bagdad récuse véhémentement, bien sûr.

Qui plus est, la question ne saurait, selon Ankara, être d'ordre juridique, car les problèmes syriens et irakiens proviendraient, selon les analyses turques, d'une mauvaise gestion des eaux disponibles.21

«On sait que 500 m' / s sont plus que suffisants. On leur a garanti 500 m'/S »22;«[Les Syriens] gaspillent beaucoup d'eau et n'ont donc pas besoin de 500 m' / s».23

Faceà un Irak encore anéanti à la suite de la deuxième guerre du Golfe en 1991, et à une Syrie en proie à une grave crise économique qui ne parvient pas à négocier un accord de paix avec Israël, Ankara se sent en position de force, au point de ne plus parler officiellement d'un débit garanti de 500 m'/ s : le gouvernement turc fait valoir que la Syrie

y sera malgré tout gagnante, puisque les travaux du GAP permettront de régulariser le cours de l'Euphrate, qui pouvait tomber parfois à moins de 150m3/s: façon implicite de dénoncer l'accord de 1987.24 De plus, la Turquie relève que les ressources en eau syriennes sont encore loin d'être utilisées au maximum, puisque le barrage de Tabqa (11,6 milliards de m3), outre de produire de l'électricité (800 MW installés), devait permettre d'irriguer640 000 ha; or, seuls240000ont été effectivement bonifiés, du fait de la salinisation des sols. Il resterait donc un excédent d'eau par rapport aux prévisions initiales de Damas, un raisonnement que récuselegouvernement syrien.25

Témoin du rôle stratégique qu'elle entendait jouer grâce à son eau, la Turquie avait commencé, en 1987, à envisager des exportations massives d'eau des fleuves Seyhan et Ceyhan par un aqueduc vers la Syrie, Israël et l'Arabie saoudite. Le projet était évalué à environ 21 milliards d'euros en 1990 et n'a jamais été suivi de réalisations concrètes.26 En revanche, la Turquie a commencé à exporter de l'eau par aquatier en 2000 vers Israël, mais il s'agit encore de volumes modestes, même si l'on parle à terme d'une capacité de 180millions de m3par an.27

11 semble que la Turquie, qui parlait de ses projets d'aqueducs vers le monde arabe (sous le terme d'«aqueducs de la paix»), se désintéresse de ses voisins au fur et à mesure que s'approfondit son alliance avec Israël et que se développent ses relations avec l'Asie centrale, tandis qu'elle envisagerait de conserver l'essentiel de son eau pour elle.28 Cette politique est-elle durable? Quand bien même elle serait intolé-rable pour ses deux voisins d'aval, ceux-ci divisés et affaiblis, ont-ils les moyens de s'y opposer?