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un mythe sioniste fondateur à l'épreuve

de l'innocence et naturel de l'homme,iln'est de cure plus :niraculeuse que la culture de la terre.»19 Dans les premières années de la création d'Israël, les écoles privilégient les programmes d'init!.at!.on à la vie agricole. Un des plus célèbres ouvrages l'our jeunes enfants met en scène un fils qui ne voit pratiquement pas son père car celui-ci est, toute la journée, aux champs, et qui déclare vouloir devenir paysan plus tardàl'image de son père.20

Dans le schéma idéologique sioniste, le pionnier agricole occupe ainsi une place centrale danslamythologie delafondation politique d'Israël.

Figure légendaire avec son cortège de qualifications mythiques et idéalisées,ilest au centre de tous les discours officiels, politiques ou littéraires, qui font l'éloge du projet sioniste.21Premier président de l'Etat d'Israël, Chaïm Weizmann déclarait en inaugurant l'institut scientifique Weizmann, le 2 novembre 1949 :«nous vivons dans un pays de pionniers, et nous effectuons une tâche de pionniers en nous appliquant au repeuplement du désert, à l'agriculture et à l'industrie»22

Tous les récits relatant les conditions de vie et de travail des premiers immigrants montrent une population en butte avec l'adversité du milieu naturel, qu'ils entreprenaient de domestiquer, cultiver, etc.

«Les colons asséchaient les marais, plantaient des arbres surl~sdunes, creusaient des canaux d'irrigation, dépierraient les champs, cons-truisaient des terrasses et ressuscitaient la terre.»23Cet extrait du roman LaTOllrd'E~aest emblématique des représentations construites autour du travail des colons arrivant en Palestine. D'une terre promise, fantas-mée, doit resurgir la terre ancestrale du peuple hébreu.«Les versants des collines étaient partout cultivés jusqu'au sommet, chaque parcelle de terre était utilisée. Des terrasses s'étageaient sur les pentes escarpées, comme au temps de Salomon. La vigne, le grenadier, le figuier y poussaient. De nombreuses pépinières témoignaient des efforts déployés pour l'afforestation de parcelles naguère nues.».24La figure mythique du pionnier constitue pendant longtemps un des piliers de la base sociale de l'État hébreu.

Le discours idéologique sioniste sur l'agriculture s'accompagne d'une représentation largement véhiculée d'une Palestine aride, peu cultivée, avant l'arrivée des Juifs. «Rien n'était plus pauvre qu'un village de Palestineàla fln du XIXème siècle. Les paysans végétaient daOls les abris

de terre battue qui ne convenaient pas à des bêtes. (... ) Aujourd'hui tout est différent. Ils ont bénéficié de notre grandiose progrès social, qu'ils l'aient voulu ou non. Quand les marais ont été asséchés, quand on a creusé les canaux et planté les eucalyptus qui ont assaini le sol, on a d'abord employé la main-d'œuvre locale, acclimatée et résistante, et on l'a bien payée. Regardez ce champ. Je me souviens, quand j'étais gamin, c'était un marécage. La Nouvelle Société l'a racheté pour peu d'argent et en a fait la meilleure terre du pays.»25Représentation classique de la Palestine arabe et qui permet de justifier une occupation de terres en prétextant leur non mise en valeur par la population locale.Le pionnier est là pour délégitimer les accusations d'expropriation d'une population sur une autre et pour conduire le peuple juif dans la mission ardue de reconquête nationale.

C'est«au nom de la vision fantasmatique d'une Palestine rédimée par le travail agricole que quelques milliers de Juifs russes accosteront à Jaffa entre 1904 et 1914.»26Des institutions juives se créèrent afin de promouvoir la colonisation agricole en Palestine. En arrivant en Palestine, chaque colon recevait de la part du Fonds national juif une superficie foncière de 100 à 150 dunumj27, dont 5 environ étaient irrigués, contractualisés par un bail perpétuel.28A la proportion de l'aire irriguée sur le total de la superficie agricole, nous pouvons facilement déduire des difficultés d'approvisionnement hydraulique qui condition-naient l'extension des surfaces irriguées. Tout au long des années d'édification du futur État hébreu, la colonisation agricole n'a cessé d'être au cœur des préoccupations de l'ensemble des dirigeants sionistes. «Les ouvriers agricoles seront les agents actifs de cette conquête de la terre qui, seule, permettra de faire advenir la patrie hébraïque.»29 Arthur Ruppin, responsable de l'Office palestinien au sein de l'organisation sioniste mondiale contribue, par une politique d'aides financières et techniques, à l'édification à partir de 1910 des premières Kvoutsot, structures agricoles collectives, ancêtres des kibbutzim. Auteur d'un document d'étude sur les potentialités de cultures en Palestine en intégrant une analyse de ses ressources hydrauliques, il se fixe comme objectif de parvenir à un tiers de la population juive en Israël se consacrant à l'agriculture.30

Pour le mouvement sioniste, assurer le ravitaillement en eau des lieux de peuplement et des implantations agricoles se présente d'emblée

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comme l'une des principales tâches. L'eau, ressource vitale pour le développement agricole constitue un élément fondamental de la politique agricole des sionistes. Theodor Herzl met ainsi l'accent sur l'utilisation de la technique dans la gestion des ressources du pays et dans son industrialisation, et surtoutilaccorde une place décisive à la mise en valeur des ressources hydrauliques, condition nécessaire au développement de l'agriculture età la survie du pays. Dans son roman Pqys ancien, pqys nouveau,il fait direà l'un des personnages principaux:

«Les véritables fondateurs du pays ancien-nouveau (...) ce furent les ingénieurs hydrauliques. Drainer les marais, irriguer les étendues désertiques, installer un système de conduites électriques, c'est tout le secret de notre réussite.»31 En effet, la régulation du cours du Jourdain est assurée par les ingénieurs hydrauliciens qui ont construit des barrages entre les montagnes et la rive orientale, permettant de capter et d'utiliser toutes les ressources en eau du pays.

La topographie des premières implantations territoriales peut d'ailleurs se lire à la lumière de cette volonté agricole qui exige l'accès aux ressources hydrauliques. Ces premières implantations suivent approximativement un tracé cartographique en forme de«N )), qui part du sud de Jaffa, remonte toute la plaine côtière, part dans la vallée de Jesréel (Emek Jesreel, plaine d'Esdraelon), pour redescendre vers la région du sud de Tibériade, et suivre enftn le tracé du lac de Tibériade jusqu'aux abords du plateau du Golan. Dans les années vingt, la P.I.C.A possède 20 000 acres de terre sur le plateau. de Golan. Par ailleurs, depuis 1921, les institutions sionistes telles qce lE KKL acquièrent des terres dans la plaine d'Esdraélon (EmekJezreel),:a p!cs vaste plaine de Palestine, et dans laquelle les opportunités d'eaur. sC'.:terraines ont été revues àla hausse par rapport aux prévisions L'1itides. Plus de vingt colonies y sont fondées en l'espace de dix ans. :':""exploitation agricole va de pair avec la construction de puits de forage et le développement des progrès techniques dans l'agriculture. Ainsi, la Palestine Jewish Colonisation Association, se lance dans les années 1930-1934 dans un programme systématique de forage de puits artésiens afin de puiser l'eau, nécessaire à l'irrigation, dans les nappes souterraines.32 La justiftcation d'un approvisionnement hydraulique en volumes sufftsants pour développer les implantations territoriales s'est exprimée

continuellement par les officiels israéliens depuis la création de l'État.

Àla veille de l'installation de la conduite d'eau nationale en 1964, la presse israélienne se fait ainsi l'écho des difficultés rencontrées par les implantations agricoles pour l'approvisionnement en eau. Elle note que la maîtrise des ressources en eau continue et continuera au fùdes ansà être une donnée essentielle des implantations agricoles.33

Si le discours israélien officiel a continuellement valorisé l'implan-tation agricole avec ses figures emblématiques du pionnier et du Kibbuti; la prééminence du secteur agricole est aujourd'hui de plus en plus contestée, à la fois pour des raisons culturelles et économiques, par une société israélienne éprise de modernité occidentale et dont les modes de vie s'éloignent de plus en plus de ceux des premiers migrants.

Les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ont ainsi précipité l'effondrement économique des implantations collectivistes agricoles.34 Cette évolution se traduit par la substitution progressive des activités industrielles aux activités agricoles et par la diminution de la part des travailleurs agricoles dans la population totale des kibbutzim.A l'heure actuelle 15% seulement des membres travaillent dans l'agriculture.3S Les kibbutzim deviennent de plus en plus des lieux d'habitations et de moins en moins des lieux de production. On est passé aujourd'hui d'une valeur fonctionnelle ou d'usageàune valeur récréative.

Le mythe du désert qui refleurira grâce àl'ardeur et au travail des premiers pionniers, représentation forte qui a nourri l'imaginaire du peuple juif arrivé en Palestine se réinvestit dans les Kibbutzim qui inscrivent dans le paysage l'attachement presque spirituel de la société israélienne à une nature domestiquée et travaillée. Ils demeurent de véritables üots de verdure et de fraîcheur dans un environnement aride.

Parcourir les territoires israélien et palestinien amène le voyageur à rencontrer des paysages totalement différents. On passe soudainement de l'olivier noueux des champs palestiniensàterre jaune au laurier rose du Kibbutz àla végétation luxuriante, aux jardins et aux gazons verts.

On peut y voir une survivance de cette idéologie pionnière qui fait de la culture du sol un des piliers de la fondation d'Israël. La littérature sioniste a souvent donné lieu àdes descriptions de localités agricoles qui dessinent un milieu verdoyant et fleuri.« ( ...)les allées de mélias, les bois et les jardins (... ). Et les haies bien taillées, et les allées, et toutes les

pelouses, tout parle une langue sans équivoque»36 On retrouve ainsi une représentation forte de la terre irriguée, qui incarne, aux yeux des Israéliens, une appropriation achevée par sa mise en valeur.

Si pour les jeunes générations de Tel-Aviv, le kibbll~ et plus généra-lement l'implantation agricole, n'est qu'une lointaine réminiscence des récits sur l'histoire nationale, il reste encore un référent identitaire et une représentation idéologique prégnante dans la société israélienne.

Malgré l'effacement de ses objectifs agricoles initiaux, le kibbutz demeure une fIgure fréquemment évoquée dans les discours politiques.

Autrement dit, si les fonctions agricoles dukibbutz se sont perdues - et en cela, l'accès à l'eau est moins impératif -, la fIgure imaginaire du kibbutz demeure jusque dans ses particularités physiques et géographiques. La fonction symbolique de la végétation et delaculture prennent ici le pas sur une fonction nourricière, incarnée par !'agriculture.

Or ces modes idéologiques agricoles conditionnent des politiques de maîtrise et d'exploitation des ressources hydrauliques.

L'accent porté sur le travail agricole, au détriment de certains paramètres d'effIcacité et de rationalité économique, sans véritable remise en question critique des incidences qu'il a pu induire sur le développement de la société, ne soulève plus l'enthousiasme unanime d'antan. Aufildes ans, apparaissent des interrogations sur l'intérêt réel de perpétuer cette représentation idéologique au sein de la population.

Selon Arie S. Issar, spécialiste de l'Institut National de Recherche sur le Désert,«l'idée de faire fleurir le désert a constitué un des piliers du mouvement sioniste; mais ce rêve s'est perverti.»37

La critique porte notamment sur le caractère économiquement contestable du privilège accordé à l'agriculture, quant aux dépenses hydrauliques qu'elle engendre dans un contexte où l'eau apparaît comme une ressource rare et coûteuse. «Le développement de l'agriculture et la subvention des fermes coopératives ont toujours été des«vaches sacrées»,une conditionsine qua non du sionisme (...) Mais, pour le contribuable, subventionner des produits agricoles vendus moins chers que le prix de l'eau qui a servi à les irriguer n'est pas un devoir national, mais une absurdité économique et même en réalité un suicide.»38 Les statistiques des consommations en eau par secteur économique montrent clairement que l'agriculture fIgure toujours

parmi les secteurs les plus dispendieux. Mais si le secteur agricole est grand consommateur d'eau, son poids est en revanche faible en termes d'emplois, de part du P.N.B et de part dans les exportations pour l'État hébreu. Cette disproportion entre une consommation de plus de 60%de l'eau, une force de trava1l de 2,5%et une part de l'agri-culture dans le produit national estimée à2,2% nourrit les critiques vis-à-vis du maintien de certaines activités agricoles subventionnées.39 Le26 juin 2001 la Knesset a décidé de créer une commission d'enquête parlementaire sur l'eau. Un débat très virulent s'est ouvert en Israël sur les choix engagés par les autorités en matière de gestion hydraulique.

Les critiques ont été particulièrement ciblées sur l'influence prépondérante des agriculteurs et sur le lobby des I<.ibbuztniques.

Les politiques de l'eau auraient laissé une part trop belle aux revendications corporatistes des agriculteurs sans tenir compte des impératifs d'une gestion économe de l'eau au profit de tous les secteurs de la société.40

L'agriculture pionnière est un des mythes les plus enracinés et les plus construits de la société israélienne. Il n'a pas seulement guidé les premières générations de pionniers dans l'édification du nouvel État hébreu,ila aussi forgé un modèle idéologique et une structure sociale encore influents aujourd'hui. Toutefois, le poids de ce mythe fondateur n'est pas sans susciter des critiques de plus en plus virulentes au sein même de la société israélienne.