• Aucun résultat trouvé

Une relative accalmie : les années 1915-1916

Dans le document La cathédrale de Reims (Page 173-178)

Pour la période 1915-1916, l’abbé Landrieux a relevé 36 impacts sur 287 obus repérés durant l’ensemble du conflit. Mais le nombre d’impacts ne révèle pas l’ampleur des destructions car la ville de Reims n’est plus seulement bombardée par l’artillerie de campagne. Les Allemands ont, en effet, considérablement augmenté leur puissance de feu.

1915 : les bombardements d’une ville forte

Paul Hess minore cette vision de la puissance de feu allemand au début de l’année 1915. Il signale que les engins de rupture de 305, 280 et 210 mm sont remplacés par des projectiles à

39 Louis HenriLUÇON, op. cit., p.17.

40 MauriceLANDRIEUX, op. cit., p.160.

fragmentation, shrapnells, qui touchent l’ensemble de la ville41. Il est évident que de tels projectiles ne peuvent causer que peu de dégâts à des édifices importants comme la cathédrale. Ce que vise alors les Allemands, ce ne sont pas les biens mais les personnes présentes à Reims, civils et militaires.

Les bombardements de la ville suivent une certaine logique relevée par Paul Hess en mai 1915. Tôt dans la matinée, entre 4h30 et 5h30, la ville est survolée par un aéroplane allemand de reconnaissance. Durant la journée, Reims est bombardée de shrapnells de 75 ou 150 mm.

La nuit est réservée aux bombardements par artillerie lourde, notamment de nombreux obus de 210 mm et des obus incendiaires de 150 mm42.

Reims est ainsi devenue une ville forte et de nombreuses maisons rémoises évacuées, sont réquisitionnées par l’armée française pour servir d’abris à l’infanterie43. La stratégie militaire française consiste à investir un certain nombre de maisons réparties dans l’ensemble de la ville de Reims afin, en cas d’avancée allemande dans la ville, de pouvoir se battre maison par maison. Cette stratégie d’une guérilla urbaine est rendue nécessaire par le fait que Reims est un verrou protégeant Paris.

L’architecte Withney Warren revient au début de 1917 sur ces deux années de bombardement et fournit des chiffres aux membres de l’Académie des Beaux-Arts44. Depuis son premier rapport du 3 octobre 1914, il estime le nombre de nouveaux impacts à au moins 60000, tuant 545 civils et en blessant 64245. D’ailleurs, pour la seule journée du 27 octobre 1916, le préfet de la Marne signale que 1000 obus ont frappé la ville de Reims dont 630 ont été découverts.

Durant cette journée, 5 obus auraient touché la cathédrale. La cathédrale semble donc, aux yeux de l’armée allemande, une cible secondaire.

Il est évident que l’arrivée de Max Sainsaulieu au chevet de la cathédrale n’influe aucunement sur la poursuite des bombardements. En revanche, les travaux entrepris sous sa direction ont protégé certaines œuvres et certaines parties de l’édifice.

Les voûtes qui jusqu’alors avaient résisté sont pour la première fois percées le 22 février 1915, au cours d’un bombardement particulièrement intense. Un obus de 150 mm traverse celle située au niveau de la croisée du transept. Cette première destruction de la voûte sera

41 Lettre de Paul Hess, 23 janvier 1915, fonds Paul Hess.

42 Lettre de Paul Hess, 7 mai 1915, fonds Paul Hess.

43 Lettre de Paul Hess, 20 février 1915, fonds Paul Hess.

44 Annexe 10.

45 Whitney WARREN, Etat de la Cathédrale de Reims après le bombardement, rapport lu à la séance du 3 octobre 1914 à l’Académie des Beaux-Arts, Paris, Institut de France, 1914, 8 p.

amplifiée par la suite par des obus de plus gros calibre. Ce bombardement est vécu de l’intérieur par les architectes Henri Deneux et Max Sainsaulieu46. L’après-midi de cette fameuse journée, ils entreprennent une inspection lorsque, sous la violence des bombardements, ils sont contraints de se réfugier dans un escalier. Pour Max Sainsaulieu, il est évident que la cathédrale est visée ce jour-là47. Les dégâts causés lors de cette seule journée sont extrêmement importants comme le note, par la suite, l’inspecteur général Arsène Alexandre : « Le couronnement de la tour nord ; la tourelle ajourée qui flanque cette tour au nord-est ; la galerie haute, à la troisième travée, côté nord ; les piles de la tour est du transept nord ; le pignon du transept isolé par l’incendie ; la voûte de la croisée du transept qui est alors traversée ; enfin un arc-boutant entre la troisième et la deuxième travée de la nef côté sud. Tout cela sans compter de très nombreux éclats qui un peu partout égratignent la pierre, écornent la pierre, écornent des ornements, etc. »48. Henri Deneux communique ses impressions à l’inspecteur général Antoine-Paul Selmersheim (1840-1916) et signale que les bombardements se sont concentrés sur la tour nord et sur la voûte de la nef49. Les journaux vont relayer et condamner ces nouveaux bombardements tel l’Echo de Paris du 25 février :

« Oh ! les sauvages ! Ils piétinent les cadavres ! Une pluie de feu est tombée pendant cinq heures sur Reims. La voûte de la cathédrale est crevée ! Ce prince de la kultur et de l’orgueil kolossal apparaît comme une incarnation de Satan »50.

Le 26 février 1915, deux obus touchent la cathédrale : le premier de très gros calibre pénètre par la rosace du transept nord et cause de graves dégâts à la maçonnerie, à gauche du grand orgue ; le second, un shrapnell, ébrèche en trois endroits, les colonnettes d’une tourelle de la tour sud. Le 2 mars, selon l’abbé Landrieux, un obus de 150 mm touche profondément le soubassement du pignon de l’Annonciation au transept nord51. Le 18 mars, un rapport de police signale deux impacts sans que l’abbé Landrieux ne puisse connaître les destructions occasionnées. Ce dernier signale, le 8 avril, des impacts particulièrement violents : un obus de fort calibre descelle et désagrège toute la base d’un contrefort, à l’extrémité de l’abside ; un autre déchausse les fondations de la chapelle de l’Archevêché et ravage toutes les verrières des chapelles du Rosaire et de saint Remi ; un troisième, un 210, brise une arcature de la

46 Rapport de Henri Deneux, 22 février 1915, MAP, 81/51 197/2 114.

47 Rapport de Max Sainsaulieu, 24 février 1915, MAP, 80/3/11.

48 Arsène ALEXANDRE, op. cit., p.64.

49 Rapport à la CMH de l’inspecteur général Antoine-Paul Selmersheim, 5 mars 1915, MAP, 81/51 197/2 114.

50 Maurice LANDRIEUX, op. cit., p.215.

51 Maurice LANDRIEUX, op. cit., p.159.

galerie supérieure de la nef, du côté sud, et casse une gargouille52. Ces bombardements semblent si violents que le cardinal Luçon écrit pour la nuit du 9 avril « Nuit épouvantable […] nous tremblons pour la Cathédrale »53. Le 24 avril, Henri Deneux note que le pinacle du quatrième arc-boutant de la façade sud a été atteint, rompant une de ses deux colonnes au milieu du chapiteau.

Le 20 mai, l’obus de 150 du 17 novembre 1914 est finalement désamorcé. Ce même jour, l’abbé Divoir accompagne Paul Hess dans une visite de la cathédrale. Ce dernier, particulièrement marqué, évalue, dans son journal, l’ampleur des destructions54 : la voûte est percée, les vitraux, sauf trois ou quatre, sont en morceaux et le grand orgue a également fortement souffert.

Les impacts directs ou la mitraille ne sont pas les seuls éléments expliquant l’ensemble des destructions comme le relève, le 26 mai, l’architecte Max Sainsaulieu. La tête de la statue de l’ébrasement de droite du portail nord de la façade occidentale est tombée, sans cause apparente. La statue de saint Florent avait été particulièrement fragilisée à la suite de l’incendie et la tête s’est détachée, peut-être sous l’effet des vibrations causées par les pièces d’artillerie française distantes « de un kilomètre environ »55.

Le 1er juin, les bombardements reprennent. Deux obus de 150 mm touchent la cathédrale : le premier sur la tour nord et le second sur la face sud de la tour est du transept sud. L’un de ses obus viendrait des positions allemandes de Nogent l’Abbesse. Les tirs n’ont touché que les maçonneries et Max Sainsaulieu note que ces nouvelles destructions ne nécessitent aucune mesure de « précaution immédiate »56. A ce moment, la tour nord semble particulièrement visée car elle est à nouveau, le 15 juin, ébranlée par un 150 mm. Lors de ce bombardement, un pinacle de la façade sud est littéralement décapité57. Les superstructures sont touchées ; les sculptures le sont également le 27 juin. Le bras droit et la main gauche de la statue de l’Eglise sont brisés.

La cathédrale est-elle durant cette période une cible désignée de l’artillerie allemande ? Lors des bombardements du 20 juillet, Paul Hess note que 350 à 400 obus ont été envoyés sur la ville et que les destructions sont « considérables » dans le quartier de la cathédrale. Pourtant,

52 Ibid., p.159-160.

53 Louis HenriLUÇON, op. cit., p.41.

54 PaulHESS, op. cit., p.296-297.

55 Rapport de Max Sainsaulieu, 27 mai 1915, MAP, 80/3/11.

56 Rapport de Max Sainsaulieu, 1er juin 1915, MAP, 80/3/11.

57 Rapport de Max Sainsaulieu, 17 juin 1915, MAP, 80/3/11.

la cathédrale n’est touchée qu’à deux reprises, au niveau des chapelles absidiales58. Les dégâts sont tellement importants que Max Sainsaulieu fait précéder à un étaiement de la structure.

L’abbé Landrieux, pour sa part, date ces faits du 21 juillet. Il s’intéresse à la destruction de cette chapelle en tant que lieu cultuel et souligne les dommages causés aux croix, chandeliers, reliquaires et aux confessionnaux. L’explosion a été telle que tout ce qui était sur l’autel a été balayé « comme fétu de paille » et les chaises ont été « projetées très loin dans la nef »59. Le 12 août 1915, le cardinal Luçon, probablement épaulé par son secrétaire l’abbé Landrieux, inventorie les dégâts60. Ce relevé est probablement destiné à la diplomatie pontificale61. Point par point, il décrit l’état de sa cathédrale en insistant sur la destruction du lieu de culte. Encore à cette date, les destructions les plus significatives sont des résultantes de l’incendie. La fin de l’année 1915 est relativement calme hormis l’impact direct d’un obus de 150 mm le 19 octobre sur la partie basse d’un contrefort, à l’angle de la tour nord. Les dégâts relevés sont minimes car la masse de pierre est à cet endroit « impénétrable »62.

1916 : une cathédrale épargnée

Cette longue période d’accalmie semble se poursuivre au début de l’année 1916 alors que parallèlement les bombardements sont intenses sur la ville. Dès lors, la cathédrale apparaît volontairement épargnée. Cette recrudescence s’explique par l’augmentation des troupes et de l’artillerie présentes à Reims. Ces faits sont d’ailleurs signalés le 2 avril 1916 par Max Sainsaulieu63 et par Paul Hess. En avril 1916, ce dernier décrit une ville devenue un camp fortifié. Des abris pour mitrailleuses, des créneaux et des fils de fer barbelés sont disposés aux carrefours stratégiques. La puissance de feu française a considérablement augmenté par l’arrivée de nouvelles pièces d’artillerie lourde64. Pourtant, les dommages causés à la cathédrale sont peu importants et sont répartis sur l’ensemble de l’année 1916. Ils apparaissent davantage comme des coups de semonce que comme une volonté systématique de destruction.

Le 2 avril 1916, Max Sainsaulieu signale que la cathédrale est touchée à trois reprises : deux obus se sont écrasés sur les contreforts du côté sud et le dernier a atteint la chapelle absidiale,

58 Rapport de Max Sainsaulieu, 20 juillet 1915, MAP, 80/3/11.

59 Maurice LANDRIEUX, op. cit., p.161-162.

60 Annexe 2.

61 Document dactylographié de 4 pages de « l’Etat de la cathédrale de Reims au 12 août 1915 » signé par le cardinal Luçon, ADR, 7J 155.

62 Rapport de Max Sainsaulieu, 19 octobre 1915, MAP, 80/3/11.

63 Rapport de Max Sainsaulieu, 2 avril 1916, MAP, 80/3/11.

64 PaulHESS, op. cit., p.363.

dans l’axe du chevet65. Le 11 juillet, l’abbé Landrieux relève qu’un obus a percé la voûte du transept sud. Ce nouveau percement de la voûte, le second après celui du 21 février 1915, est important. Le préfet de la Marne signale ainsi « que la voûte de la cathédrale a été éventrée sur une largeur d’un mètre cinquante environ »66. Mais l’arc doubleau n’est pas atteint et les superstructures ne sont pas menacées.

Le 27 octobre 1916, d’après les archives préfectorales, la ville de Reims a reçu un millier d’obus. L’abbé Landrieux ne note cependant que deux impacts. Le premier obus s’écrase à la base du second contrefort de la tour sud broyant des motifs de sculptures provenant de la restauration antérieure et qui avaient été déposés là67. L’autre obus broie l’archivolte d’une des grandes baies ajourées du transept sud. D’autres dégâts sont également causés par les nombreux impacts aux environs immédiats de l’édifice. La fin de l’année 1916 est relativement calme pour la cathédrale, en revanche, des destructions plus insidieuses prennent le pas.

Dans le document La cathédrale de Reims (Page 173-178)