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La tragique journée du 19 septembre 1914

Dans le document La cathédrale de Reims (Page 38-48)

Nul événement touchant la cathédrale de Reims et survenu durant la guerre ne peut se comparer à l’incendie du 19 septembre 1914, comme l’exprime Emile Mâle : « Quand la France apprit que la cathédrale de Reims était en flammes, tous les cœurs se serrèrent ; ceux qui pleuraient un fils trouvèrent encore des larmes pour la sainte église. »54. Au-delà de l’émotion, il convient, avec rigueur, de relater les faits de cette seule journée. Après une présentation des sources spécifiques à l’étude de cette journée, le récit se portera sur les causes de cet incendie jusqu’à l’évacuation laborieuse des blessés.

Les sources spécifiques

Outre les différents ouvrages présentés en amont, de nombreux témoignages directs ont été imprimés. Les faits relatés sur l’incendie de la cathédrale de Reims proviennent principalement de l’abbé Maurice Landrieux, archiprêtre et vicaire général de la cathédrale de

49 ADM 203 M 14.

50 MauriceLANDRIEUX, op. cit., p.34.

51 Ce fait relaté uniquement par l’ouvrage de Maurice Landrieux ne nous permet pas de connaître les raisons du refus de cette mission parlementaire.

52 Albert LONDRES, « Ils ont bombardé Reims… », Le Matin, 21 septembre 1914.

53 MauriceLANDRIEUX, op. cit., p.37-38.

54 Emile MALE, « La cathédrale de Reims », Revue de Paris, n°16, 15 novembre 1915, p.294.

Reims et de son vicaire l’abbé Louis Andrieux. L’abbé Andrieux nous présente son témoignage a posteriori dans un article paru pour la première fois dans Le Monde Illustré le 15 septembre 1920 et intitulé « Comment j’ai vu brûler la Cathédrale de Reims »55. Il paraît un an après l’ouvrage de Maurice Landrieux56. D’ailleurs ce dernier ouvrage reprend largement divers témoignages réunis par l’abbé Landrieux et conservés dans ses archives personnelles57.

A ces témoignages des religieux présents à l’intérieur de la cathédrale s’ajoutent ceux d’Alice Martin58, de Paul Hess59 et de Henri Jadart60 reproduits dans leurs journaux respectifs. A cette longue liste, peut s’ajouter le témoignage d’un officier français reproduit dans l’ouvrage de Georges Lepelletier de Bouhélier61. On peut également noter les récits de l’abbé Auber, d’André Wolff, chantre de la cathédrale, de l’abbé Thinot, maître de la chapelle de Notre-Dame de Reims, de M. Poirier, directeur d’une maison de champagne, tous reproduits dans l’ouvrage d’Albert Chatelle.

Il s’agit bien évidemment de témoignages de seconde main. Malheureusement pour cet événement, les sources orales sont dorénavant compromises. Néanmoins des témoins oculaires ont été interrogés par François Cochet en 1983 et cités dans sa thèse de doctorat de troisième cycle62. Seize témoignages décrivent l’incendie de la cathédrale mais seulement quatre assistent directement à la scène. L’historien François Cochet relativise ces témoignages en remarquant que leurs discours sont entachés par la médiatisation postérieure de l’événement.

55 Louis ANDRIEUX, « Comment j’ai vu brûler la Cathédrale de Reims », Le Monde Illustré, 15 septembre 1920.

Cet article paraît également en Angleterre et est réédité en 1923 dans les pages du Grand Tourisme.

56 ADR, fonds Landrieux. Sur de nombreux points les témoignages divergent entre ces deux témoins oculaires.

Tout cela donne lieu à des échanges pugnaces de courriers. Malgré la justesse des arguments de Maurice Landrieux, il est difficile de contester les témoignages des deux partis comme lui rappelle le 11 octobre 1920 l’abbé Louis Andrieux : « Ceci prouve une fois de plus combien il est difficile d’écrire l’histoire d’un fait. Car tous deux nous sommes témoins oculaires et l’un et l’autre, moi comme vous, nous sommes de bonne foi ».

57 Divers témoignages et récits du 19 septembre 1914, ADR, fonds Landrieux.

58 AliceMARTIN, Sous les obus et dans les caves. Notes d’une bombardée de Reims, Paris, Gabriel Beauchesne Librairie-Editeurs, 1914, 22 p.

59 PaulHESS, La vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918 - Notes et impressions d’un bombardé, Paris, Anthropos, 1998, 582 p.

60 Henri JADART, « Reims, journal d’un Rémois, du 3 septembre au 6 octobre 1914 », dans Les Champs de bataille, 1914-1915, Paris, 1915.

61 Georges LEPELLETIER DE BOUHELIER (dit SAINT-GEORGES DE BOUHELIER), Les Allemands destructeurs de cathédrales et de trésors du passé (documents officiels), mémoire relatif aux bombardements de Reims, Arras, Senlis, Louvain, Soissons, etc…, Paris, Hachette et Cie, 1915, 78 p.

62 François COCHET, « Rémois en guerre » (1914-1918). Parole de témoins et sources écrites, thèse de doctorat de troisième cycle sous la direction de Michelle Perrot, Université de Paris VIII, 1983, 432 p.

Albert Londres (1884-1932), correspondant militaire du Matin est arrivé à Reims la veille et il est présent le 19 septembre. En revanche, son article publié le 21 septembre, malgré un ton très prophétique « Ils allaient la brûler » s’arrête le 19 septembre, à 7h2563. Quelques journalistes étrangers, correspondants de guerre de journaux anglais ou américains, sont également à Reims le 19 septembre 1914 : Gerald Morgan pour The Tribune, Granville Fortescue (1875-1952) et Ellis Ashmead-Bartlett (1881-1926) pour le Daily Telegraph. Parmi ces journalistes anglo-saxons se trouve également l’écrivain et journaliste Richard Harding Davis (1864-1916). Le témoignage de Ellis Ashmead-Bartlett a été relevé dans un article du journal L’Illustration le 26 septembre 191464.Le témoignage de Granville Fortescue a été imprimé en 191565.

A ces témoins français ou « neutres » s’ajoutent – ou plutôt s’opposent – des témoignages allemands. Ces récits, davantage orientés, ne sont pas non plus à exclure de l’analyse. Ces dépositions ont été publiées en 1915 par le ministère de la guerre allemand66 et regroupent les témoignages des blessés installés dans la cathédrale et des militaires ayant eu un lien direct avec les bombardements. Ces témoignages sont ceux de Franz Beckmann, soldat allemand prisonnier à Reims du 13 au 19 septembre ; d’un général d’infanterie resté anonyme ; d’un capitaine d’artillerie resté anonyme ; du vicaire Johannes Prüllage qui accompagnait les blessés allemands installés dans la cathédrale ; d’un colonel, chef d’état-major resté anonyme ; d’une sœur infirmière Alwine Ehlert et du docteur Edmund Pflugmacher67.

Les sources imprimées ne sont pas les seuls éléments permettant une complète compréhension de l’événement ; les sources iconographiques ont également leur place. Ainsi le musée des Beaux-Arts de Reims conserve un dessin, attribué à Espérance Léon Broquet (1869-1936), concernant l’incendie de la cathédrale68. C’est probablement l’œuvre d’un soldat retranché dans les alentours de la ville. Un autre témoignage pictural est conservé au musée national de la coopération franco-américaine de Blérancourt69. Un tel événement a dû en effet être aperçu

63 AlbertLONDRES, « Ils bombardent Reims… », Le Matin, 21 septembre 1914, annexe 3.

64 « Un des plus grands crimes de l’histoire. Récit d’un témoin du bombardement de la cathédrale de Reims », L’Illustration, 26 septembre 1914.

65 GranvilleFORTESCUE, At the Front with three armies, my adventures in the great war, London, A. Melrose, 1915, 271 p.

66 Die Beschiessung der Kathedrale von Reims, Berlin, Georg Reimer, 1915, 31 p.

67 Annexes 12 à 19.

68 Espérance LéonBROQUET, dessin annoté, septembre 1914, MBAR, n°971.12.1463.Il est difficile de s’assurer du crédit de cette source en raison de l’inexactitude même de la date « 21 septembre ».

69 Espérance Léon BROQUET, Le bombardement de la cathédrale de Reims, dessin, crayon noir sur papier, 215/316, Musée national de la coopération franco-américaine de Blérancourt, DTC 56.

de très loin et donc par de nombreux militaires. Ainsi un chapitre de l’ouvrage d’Henri Libermann70 est consacré au grand incendie de Reims71.

Pourtant peu de documents iconographiques sont des témoignages objectifs de l’incendie, sauf quelques clichés photographiques et la série des pastels du Rémois Adrien Sénéchal (1896-1955). L’artiste peintre est revenu par le train, au tout début de l’incendie. Grâce à une boîte à pochades72, il représente les différentes phases de l’embrasement de Reims et plus particulièrement celui de la cathédrale. Il réalise durant cette journée une série de dix-huit pastels qui sont édités, par la suite, sous forme de cartes postales. Ces images créées au moment même de l’incendie, heure par heure, se révèlent, comme toute représentation artistique, subjective. L’ensemble constitue une réelle source historique car chaque œuvre a été, de la main même de l’artiste, largement annotée.

Un certain nombre d’imagiers ont, à partir d’anciens clichés, figuré des incendies assez vraisemblables de la cathédrale et ont ainsi voulu créer des œuvres artistiques. De nombreuses reproductions ont été, en effet, trafiquées. Il existe ainsi peu de clichés photographiques de l’incendie, hormis ceux de l’abbé Dage (pris vers 15h00), de Jules Serpe (pris vers 15h30, 15h45 et 16h30), d’Emile Charbonneaux (pris de la rue Libergier à 16h30), de Messieurs Berthelomier et Doucet, de Jules Matot et deux autres clichés anonymes réalisés d’un immeuble, rue de l’Arbalète73. Plusieurs de ces clichés sont largement reproduits dans les journaux illustrés de l’époque, comme par exemple deux clichés instantanés de M. T. Holden Watherouse dans L’Illustration du 10 octobre 1914 » et sous forme de cartes postales par les éditeurs Jules Matot, G. Dubois et Lavergne74.

Malgré la richesse de ces sources, il apparaît extrêmement difficile de reconstituer avec justesse cette journée du 19 septembre, tant les témoignages chargés d’émotions apparaissent souvent confus et tant la propagande a déformé cet événement.

L’embrasement et la chute de l’échafaudage

Durant cette journée, ce sont vraisemblablement les batteries allemandes installées au fort de Berru qui vont ouvrir le feu sur la cathédrale, touchant l’échafaudage et causant son

70 HenriLIBERMANN, Ce qu’a vu un officier de chasseurs à pied. Ardennes belges, Marne, Saint-Gond, bataille sous Reims (2 août – 28 septembre 1914), Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1916, p.264-266.

71 Annexe 6.

72 Propos recueillis en 1998 auprès de sa veuve, Yvonne Sénéchal.

73 GilbertNOLLEAU, L’iconographie des batailles et du siège de Reims lors de la Première Guerre Mondiale, mémoire de DEA sous la direction de G. Clause, Reims, 1993, p 32-33.

74 BMR, fonds iconographique, 39-075 à 39-100.

embrasement75. Quelques obus sont tombés durant la nuit : 4 vers 2h25 et 1 à 3h25 comme le note Albert Londres. Juste avant de conclure son article, il indique que le bombardement effectif de la cathédrale a commencé « le 19 septembre 1914, à 7h25 du matin »76. Dès 7 heures du matin, selon le témoignage d’Henri Jadart77, les bombardements reprennent. C’est au tout début de la messe habituelle de 8 heures que l’abbé Landrieux signale, quant à lui, les premiers obus. Il ajoute d’ailleurs que ces tirs sont dirigés « en plein sur la Cathédrale »78. Le préfet de la Marne, dans un rapport interne daté du 30 octobre 1914, signale pour sa part le début du bombardement à 8h30 et ajoute avoir relevé « un obus éclatant toutes les 5 secondes, dans les environs de la Cathédrale qui paraît être l’objectif visé »79.

A 15 heures environ, un obus traverse l’échafaudage de treize étages, en bois de pin, qui ceinture la tour nord80. L’obus explose dans cet assemblage de bois, vraisemblablement à mi-hauteur81, sur le côté de la rue du Trésor et y met le feu. Les abbés Thinot et Landrieux tentent alors en vain d’arracher les lourds madriers. Probablement sous l’effet de la chaleur, la moitié de la grande rose éclate. Des flammèches se répandent alors à l’intérieur de l’édifice. A 15h50, l’échafaudage s’effondre sur le parvis enveloppant de sa fumée toute la façade de la cathédrale82.

Les secours sont débordés et impuissants. Le dépôt de pompe le plus proche a été détruit du fait des bombardements. Les pompiers sont gênés par les autres sinistres qui se déclarent partout dans la ville, en particulier dans le Quartier des Laines, au Mont-de-Piété, ainsi que par la rupture des conduites d’eau. Le préfet de la Marne ajoute d’ailleurs à propos des incendies : « On a l’impression à partir de 2 heures, que toute la Ville brûle, car de nombreux incendies isolés éclatent un peu partout, en dehors des principaux foyers. »83

75 Maurice LANDRIEUX, op. cit., p.3.

76 Albert LONDRES, « Ils ont bombardé Reims… », Le Matin, 21 septembre 1914.

77 Henri JADART, « Reims, journal d’un Rémois, du 3 septembre au 6 octobre 1914 », dans Les Champs de bataille, 1914-1915, Paris, 1915, p.31.

78 Maurice LANDRIEUX, op. cit., p.38.

79 ADM 203 M 14 : Reims, bombardement 1914-1915

80 L’échafaudage installé, depuis mai 1913, aurait dû être enlevé en juillet 1914.

81 Adrien SENECHAL, Echafaudage devenu bûcher de St Nicaise… (vers 15h00), pastel, 340/250, coll. Mme Yvonne Sénéchal ; BDIC, Or. F1 59 (F).

82 Adrien SENECHAL, Fumées enveloppantes à la chute de l’échafaudage (vers 15h50), coll. Mme Yvonne Sénéchal.

83 Rapport du préfet de la Marne au ministre de l’Intérieur, 30 octobre 1914, ADM, 203 M 14.

La cathédrale en flammes

Figure 1 : Echafaudage devenu bûcher de St Nicaise… (vers 15h00), Adrien Sénéchal, pastel, 1914, coll.

Yvonne Sénéchal.

Figure 2 : Fusion des plombs de la toiture de la nef (vers 15h30), Adrien Sénéchal, pastel, 1914, coll. Yvonne Sénéchal.

Figure 3 : Fumées enveloppantes à la chute de l’échafaudage (vers 15h50), Adrien Sénéchal, pastel, 1914, coll.

Yvonne Sénéchal.

Vers 15h30, la toiture prend feu et la cathédrale est en flammes. Ce nouveau foyer est soit la conséquence de l’incendie de l’échafaudage transmettant les flammes aux combles, soit l’embrasement de la toiture causé par d’autres obus. Cette question est polémique car la seconde hypothèse signifierait la volonté systématique de détruire la cathédrale. Au même moment, Albert Chatelle rapporte que les artilleurs allemands, s’étant aperçu que la cathédrale s’est embrasée, cessent leur bombardement84. Toutefois, l’abbé Landrieux contredit cette version et note que juste avant la chute de l’échafaudage, vers 15h50, « les voûtes tremblent encore sous les obus »85. Selon l’archiprêtre de la cathédrale, le bombardement aurait continué malgré l’embrasement de l’échafaudage. Il corrobore ainsi la thèse de l’incendie de la toiture par d’autres obus.

84 Albert CHATELLE, op. cit., p.94. L’arrêt des bombardements est maintes fois contesté par les textes français.

Cependant il est difficile d’imaginer qu’une foule se soit amassée aux alentours de la cathédrale alors que le bombardement se poursuivait.

85 Maurice LANDRIEUX, op. cit., p.44.

Les feuilles de plomb recouvrant la toiture sont mises en ébullition et une fine pluie de plomb fondu tombe à l’intérieur de la cathédrale. A l’extérieur de l’édifice, ce sont de véritables « ruisseaux »86 de plomb qui coulent sous les voûtes et par les gueules des gargouilles. Cette fusion provoque l’émission d’une fumée jaune d’or comme le représente alors l’artiste Adrien Sénéchal87. Le feu s’intensifie et vers 16h50, la charpente n’est plus qu’un immense foyer dont le vent pousse la fumée vers Saint-Remi.

Le feu alors atteint le carillon. A 17h30, la toiture achève de se consumer tandis qu’à l’intérieur, tout brûle88. A 20 heures, l’incendie de la charpente a cessé et seul le plomb, véritable magma en fusion, continue de se consumer89.

Cet incendie surprend tous les observateurs en raison notamment de sa fulgurante propagation. Le premier facteur qui joue, c’est le temps. L’incendie se propage du fait d’un vent violent du nord90, par un temps de brume et de pluie91. Les lourdes chapes de fumées sont orientées sud-est, c’est-à-dire que l’échafaudage subit, de front, ce vent déchaîné qui attise le foyer. D’autres raisons sont davantage techniques. Tout d’abord, comme l’affirme d’ailleurs justement l’abbé Andrieux, l’escalier de la tour nord produit un formidable appel d’air92. Ce constat explique la vitesse de propagation des flammes dans l’échafaudage. De plus, le brasier est alimenté par la paille qui jonche les nefs, par les

86 Albert CHATELLE, op. cit., p.94.

87 AdrienSENECHAL, Fusion des plombs de la toiture de la nef (vers 15h30), coll. Mme Yvonne Sénéchal. Ce phénomène est également relaté dans le journal de guerre de Paul Hess. La fusion du plomb de la toiture recouvert de cuivre ou même celle du bronze des cloches a dû créer cette curieuse alchimie de couleurs.

88 Témoignage de l’abbé Aubert extrait de Albert CHATELLE, op. cit., p.94.

89 AdrienSENECHAL, Fin des huit cloches de la Tour Nord (vers 20h00), coll. Mme Yvonne Sénéchal.

90 Adrien SENECHAL, Echafaudage devenu bûcher de St Nicaise... (vers 15h00), pastel, 340/250, coll. Mme Yvonne Sénéchal ; BDIC, Or. F1 59 (F).

91 Maurice LANDRIEUX, op. cit., p.44.

92 LouisANDRIEUX, « Comment j’ai vu brûler la Cathédrale de Reims », Grand Tourisme, n°52, novembre 1923, p.20.

Figure 4 : L’incendie à l’intérieur (vers 17h00), Adrien Sénéchal, pastel, 1914, coll.

Yvonne Sénéchal.

Figure 5 : Fin des huit cloches de la Tour Nord (vers 20h00), Adrien Sénéchal, pastel, 1914, coll. Yvonne Sénéchal.

chaises entassées dans le chœur, par les tambours latéraux93 du grand portail94 et bien évidemment, par la charpente qui va former l’essentiel du combustible.

L’armée allemande peut aussi avoir eu recours à des obus incendiaires. Le témoignage d’un capitaine d’artillerie français signale : « Quand le tir a été réglé, il a vu un tir d’efficacité se déclencher et, parmi les coups atteignant leur but, il a distingué très nettement des coups dont on entendait le sifflement non suivi d’explosion mais auxquels succédait un violent jet de flammes. Cette observation semble indiquer que l’ennemi employait des projectiles incendiaires »95. D’après ce témoignage, les artilleurs allemands auraient d’abord réglé leur tir puis utilisé des projectiles incendiaires à l’acide picrique afin d’enflammer l’édifice. Dans une lettre datée du 6 octobre et adressée au chapitre métropolitain de Paris, l’abbé Landrieux évoque trois foyers d’incendie : l’échafaudage du portail, les combles de la grande nef et l’abside96. Au moins trois projectiles auraient directement touché l’édifice ; ce témoignage rejette donc catégoriquement la thèse de l’accident. Ce fait, avéré ou non, est illustré par une œuvre de Paul Madeline (1863-1920) sur laquelle on distingue nettement ces trois foyers : l’échafaudage et deux percées au niveau de la toiture97.

Les témoignages laissent place à la rumeur quant à l’origine de cet incendie. Le 29 septembre 1914, monseigneur Charles Bellet, devant ses confrères de la société d’archéologie de la Drôme, fait état de bidons de pétrole installés dans les tours : « Leur crime était tellement prémédité qu’on a trouvé dans les tours des monceaux de paille avec des bidons de pétrole,

93 Ces tambours provenaient de l’ancienne basilique Saint-Nicaise.

94 Henri JADART, « Reims, journal d’un Rémois, du 3 septembre au 6 octobre 1914 », dans Les Champs de bataille, 1914-1915, Paris, 1915, p.32.

95 Georges LEPELLETIER DE BOUHELIER (dit SAINT-GEORGES DE BOUHELIER), op. cit., p.125.

96 VINDEX (pseudonyme de l’abbé Alexandre AUBERT), La Basilique dévastée : destruction de la Cathédrale de Reims, Paris, Bloud & Gay, 1915, p.17.

97 PaulMADELINE, estampe en noir et blanc 175/230, ADR ; MBAR, 971.12.1416.

Figure 6 : La Cathédrale de Reims en flammes, Paul Madeline, plume, encre de Chine et rehauts de gouache sur carton, MBAR, 971.12.1416.

destinés à l’usage que l’on devine. »98 Ce texte argumente en faveur de la préméditation de l’incendie et rappelle qu’en l’absence d’informations, la rumeur prend l’ascendance99. Ce constat valable pour l’ensemble de la France est particulièrement vrai pour les Rémois.

L’incendie de la toiture est un spectacle saisissant. Le soir même, un officier aviateur français, le capitaine de cavalerie Capitrel, survola du nord au sud la cathédrale, à près de 2000 mètres d’altitude. Dans son témoignage recueilli par l’abbé Maurice Landrieux, il ajoute que la cathédrale formait une « énorme Croix ardente dans une Auréole flamboyante, Croix de Martyre et d’Espérance qui, invisible d’en bas s’offrait ce soir-là au Ciel Seul »100.

Intérieurement la cathédrale est également en flammes. Les foyers sont provoqués par les chaises entassées dans le chœur et par la paille disposée dans la nef afin d’accueillir les blessés allemands qui doivent impérativement être évacués.

L’évacuation laborieuse des blessés

Après avoir tenté de faire tomber l’échafaudage et conscient du risque d’incendie à l’intérieur de l’édifice, le clergé de la cathédrale se précipite pour rejeter la paille au dehors, dans la cour du Palais du Tau. L’abbé Andrieux, germanophone, dirige les soldats allemands suffisamment valides pour aider à ce travail. Mais les flammèches de plus en plus nombreuses communiquent le feu au lit de paille. Les blessés sont alors regroupés sous l’orgue et dans l’abside101.

Ayant constaté que le feu avait pris sous les combles, les abbés Landrieux, Thinot et Andrieux, monsieur Divoir102, ainsi que quelques ouvriers, se précipitent afin de mettre à l’abri les objets liturgiques et le Trésor de la cathédrale103.

Asphyxiés, les blessés allemands essaient de sortir par le portail nord, mais ils sont arrêtés par sept ou huit territoriaux et une foule d’environ 300 personnes ivres de vengeance et prêtes à les lyncher. Les abbés Landrieux, Thinot et Andrieux104 tentent alors de protéger les prisonniers en expliquant qu’il faut les laisser sortir. Cette tension extrême retombe grâce à

98 Charles BELLET, Protestation contre la destruction de la Cathédrale de Reims et le vandalisme allemand,

98 Charles BELLET, Protestation contre la destruction de la Cathédrale de Reims et le vandalisme allemand,

Dans le document La cathédrale de Reims (Page 38-48)