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Les sources

Dans le document La cathédrale de Reims (Page 164-169)

Les sources sont abondantes mais souvent parcellaires et entachées d’exagérations. Durant la guerre, de nombreux ouvrages sont consacrés à la cathédrale martyre, mais ce sont souvent des documents de seconde main. Les sources originales, rigoureuses et exhaustives sont en fait peu nombreuses et se limitent à divers écrits, à de nombreuses photographies et aux rapports des « gardiens » de la cathédrale5.

Des documents épars

Parfois, le récit des bombardements se retrouve dans les correspondances ou journaux personnels, comme par exemple dans le journal de guerre du cardinal Luçon6 ou dans celui de

1 Terme utilisé par Paul Léon, lors d’un discours prononcé le 28 mai 1925 à la Sorbonne.

2 CharlesSARAZIN, « Une cathédrale nationale : Reims », La Revue Catholique, n°5 de mars 1919, p.76.

3 Albert LONDRES, « L’Agonie de la Basilique », Le Matin, 29 septembre 1914.

4 LouisBREHIER, La Cathédrale de Reims : une œuvre française, avant-propos.

5 Annexe 1.

6 Louis Henri LUÇON (Cardinal), Journal de la guerre 1914-1918, t.173, Reims, Travaux de l’Académie nationale de Reims, 1998, 315 p.

Paul Hess7. Il est d’ailleurs fort probable que la publication d’autres journaux de guerre fournira, à l’avenir, des documents pour compléter cet inventaire des destructions8.

Emblématiques, les écrits d’Albert Londres peuvent-ils réellement servir de sources ? Nous avons déjà montré que l’article du 21 septembre avait été rédigé antérieurement à l’incendie.

En revanche, l’article du journal Le Matin du 29 septembre 19149 donne de nombreuses indications sur les destructions notamment au niveau de la tour nord. Albert Londres accompagne alors la délégation officielle dirigée par le sous-secrétaire d’Etat aux Beaux-Arts, Albert Dalimier. De son côté, l’architecte américain Whitney Warren établit deux rapports présentés à l’Académie des Beaux-Arts le 3 octobre 1914 et le 6 janvier 191710. Ces expertises constituent un inventaire détaillé de la cathédrale de Reims à un moment donné et leurs comparaisons permettent de mesurer les destructions subies dans l’intervalle.

L’évêque de Dijon, Maurice Landrieux, publie son ouvrage en 191911 et réalise, dans son chapitre 5, un inventaire détaillé des bombardements au jour le jour. Cet inventaire a été établi tout d’abord d’après les documents établis par l’abbé Thinot, puis par des relevés qu’il a lui-même effectués. Après sa nomination à Dijon le 6 décembre 1915, il appuie son récit sur des sources fournies probablement par Max Sainsaulieu. D’autres documents sur l’état de la cathédrale de Reims ont été réalisés par l’abbé Landrieux conjointement avec le cardinal Luçon, documents fournis notamment à la diplomatie vaticane comme par exemple le rapport sur « l’Etat de la cathédrale de Reims au 12 août 1915 »12.

Dans un ouvrage consacré à la cathédrale de Reims et paru en 1915, l’auteur Jacques Mayor établit un compte rendu13 des destructions dont a souffert la cathédrale. Sa présentation a également l’avantage d’être complétée par des clichés photographiques fournis, entre autres, par le service des monuments historiques. Il convient en effet d’insister sur le poids de cette source dans l’inventaire des destructions.

7 PaulHESS, La vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918 - Notes et impressions d’un bombardé, Paris, Anthropos, 1998, 582 p.

8 Je rejoins en cela le souhait émis par François Cochet d’éditer systématiquement de telles sources.

9 Annexe 4.

10 WhitneyWARREN, Etat de la Cathédrale de Reims après le bombardement, rapport lu à la séance du 3 octobre 1914 à l’Académie des Beaux-Arts, Paris, Institut de France, 1914, 8 p. et Whitney WARREN, L’Agonie de Reims, rapport lu à la séance du 6 janvier 1917 à l’Académie des Beaux-Arts, Paris, Institut de France, 1917, 5 p.

Annexes 9 et 10.

11 MauriceLANDRIEUX, La Cathédrale de Reims ; un crime allemand, Paris, Librairie Renouard, 1919, 236 p. et 96 pl.

12 « Etat de la cathédrale de Reims au 12 août 1915 », document dactylographié de 4 pages, signé par le cardinal Luçon, ADR, dossier « Les Amis de la Cathédrale. Après l’Incendie de la Cathédrale »

13 Jacques MAYOR, Reims - La Cathédrale, La Vieille France, Paris, Editions d’Art et d’Histoire, 1915, p.126-136.

La photographie : témoin des destructions

Le fait que la cathédrale de Reims pouvait partiellement ou totalement disparaître sous les bombes a poussé les amateurs et les pouvoirs publics à réaliser un maximum de clichés de ces richesses en péril.

Max Sainsaulieu est chargé de photographier au maximum l’édifice dans un but d’inventaire, mais également de propagande. Le 29 mars 1915, il signale un premier envoi de 112 clichés de la cathédrale, du palais et de la chapelle de l’archevêché ainsi que deux ou trois vues des alentours, prises du haut de la cathédrale14.Il réalise également des prises de vue au cours des différentes missions qu’il réalise et notamment lors de la tournée d’inspection de Paul Léon en mai 191515. Ensemble, ils visitent les églises dévastées de la Marne, de la Meuse et de la Meurthe-et-Moselle16. Les envois de ces photographies se poursuivent durant toute la guerre.

L’autre grand pourvoyeur de clichés photographiques est Pierre Antony-Thouret. Il réalise d’abord des clichés à titre personnel avant d’être chargé, par décret, d’effectuer des photographies des monuments détruits17. Il reçoit à ce titre un permis de circuler entre Paris, Reims, Soissons, Amiens et Arras. A partir des clichés conservés dans le fonds iconographique de la médiathèque de l’architecture et du patrimoine, les premiers clichés de la cathédrale pris par Pierre Antony-Thouret sont datés de mai 1916, soit bien avant sa nomination officielle. La cathédrale le passionne et il revient en octobre 1916, septembre et octobre 1917 et mars 1918. Obnubilé par le devenu célèbre « Ange au Sourire », il désire, en janvier 1918, se rendre à Reims au plus tôt afin de ramener le chef de « l’Ange Saint Nicaise ». Il craint que les Allemands ne mettent la main dessus18. Après la libération de la ville, il vient prendre de nombreuses photographies des ruines notamment en octobre et décembre 1918. A partir de ces nombreux clichés, il publie, en 1927, un ensemble remarquable de 127 photographies intitulé Pour qui n’a pas vu Reims au sortir de l’Etreinte Allemande19.

14 Rapport de Max Sainsaulieu, 29 mars 1915, MAP, 81/51 197/2 114.

15 Rapport de Max Sainsaulieu, 21 juin 1915, MAP, 80/11/61.

16 Ils se rendent notamment à Beausite, Clermont-en-Argonne, Louppy-le-Château, Pretz-en-Argonne, Revigny-sur-Ornain, Villers-aux-Vents et Vassincourt dans la Meuse ; Bétheny, Châtelraould-Saint-Louvent, Ecriennes, Favresse, Huiron, Heiltz-le-Maurupt, Marson, Orbais-l’Abbaye, Pargny-sur-Saulx, Sermaize-les-Bains et Suippes dans la Marne ; Gerbéviller, Haraucourt, Maixe, Nomeny en Meurthe-et-Moselle.

17 Décret du ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, 4 décembre 1917, MAP, 80/11/61.

18 Lettre de Pierre Antony-Thouret, 4 janvier 1918, MAP, 80/11/61.

19 PierreANTONY-THOURET, Pour qui n’a pas vu Reims au sortir de l’Etreinte Allemande (octobre 1918). La Cathédrale.. La Ville.., Paris, Chez l’Auteur, 1927, 36 p, 127 pl.

D’autres photographies ont été réalisées mais pas dans un intérêt strictement d’inventaire des destructions. Ce sont souvent des images de propagande, réalisées soit par des particuliers, soit par le service photographique de l’Armée. Philippe Des Forts et le comte Henri de Lestrange ont ainsi pris des clichés de la cathédrale. Des autochromes ont été effectuées par Fernand Cuville et Paul Castelnau. Il ne faut pas omettre les clichés pris par Henri Deneux20 bien que sa production durant la guerre soit minime par rapport aux nombreuses sources iconographiques réalisées lors de la restauration.

Ces nombreux clichés fournis entre autres par l’un des « gardiens » de la cathédrale, Max Sainsaulieu, servent à conserver les éléments sculptés en vue d’une future restauration, inventorier les destructions et compléter les rapports adressés notamment au service des monuments historiques.

Les rapports des « gardiens » de la cathédrale

Les documents les plus étoffés sur cette période sont produits par l’architecte ordinaire de la cathédrale, Max Sainsaulieu. De ses activités à Reims durant la Première Guerre mondiale, quarante rapports ont été envoyés au service des monuments historiques. Ces rapports, conservés aux archives de la médiathèque de l’architecture et du patrimoine, s’échelonnent du 28 janvier 1915 au 1er juin 191821. Ces quarante rapports sont des documents de visu de Max Sainsaulieu et sont présentés par l’inspecteur général Charles Genuys lors des réunions de la commission des monuments historiques. Particulièrement détaillés, ils suscitent l’intérêt des membres qui félicitent directement Max Sainsaulieu « pour les détails précis qu’il fournit sur l’état du monument malgré les dangers que présente la situation »22. Ces sources se révèlent peu exhaustives. On sait, par exemple, qu’un premier rapport a été écrit le 25 janvier 1915 car Max Sainsaulieu y fait référence dans son rapport suivant23. De même, lors de la séance de la commission des monuments historiques du 5 mars 1915, un rapport de Max Sainsaulieu

20 Direction régionale des affaires culturelles de Champagne-Ardenne, service de l’Inventaire, fonds Henri Deneux : 33 dossiers, 3641 photographies diverses (fonds photographique, copie de celui conservé par la bibliothèque municipale de Reims). Ensemble inventorié et indexé.

21 Rapports de Max Sainsaulieu du 28 janvier, 7 février, 11 mars, 16 mars, 29 mars 1915, 9 juillet, 9 août 1916, MAP, 81/51 197/2 114 ; 24 février, 27 mai, 1er juin, 17 juin, 18 juin, 4 juillet, 20 juillet, 19 octobre 1915, 2 avril, 4 avril, 30 avril, 19 juillet, 31 octobre, 5 novembre 1916, 10 avril, 13 avril, 17 avril, 20 avril, 25 avril, 29 avril, 1er mai, 3 mai, 16 juin, 2 juillet, 27 juillet, 31 juillet, 14 août, 8 septembre 1917, 13 mars, 14 avril, 4 mai, 1er juin 1918, MAP, 80/3/11.

22 CMH, 5 mars 1915, MAP, 80/15/23.

23 Rapport de Max Sainsaulieu, 28 janvier 1915, MAP, 81/51 197/2 114.

concernant les bombardements des 19, 21 et 22 février est présenté24. Malheureusement ces documents n’ont pas été conservés dans les fonds consultés à la MAP.

Les rapports fournis par Henri Deneux sont moins nombreux et correspondent plus à des missions ponctuelles, consacrées à des problèmes précis. Seulement deux de ses rapports sont conservés25. Le gardien de la cathédrale, monsieur Huart, est également mis à contribution et envoie au moins deux rapports à Max Sainsaulieu26.

Le besoin de rapports précis alimentant la propagande et la contre-propagande nécessite un état quasi-journalier. Le représentant de l’Etat à Reims, le sous-préfet, s’en charge, par l’intermédiaire du commissariat central de police. Des messages téléphoniques, télégrammes, lettres et rapports sont envoyés au sous-secrétariat d’Etat aux Beaux-Arts. Ce sont de rapides comptes rendus des destructions survenues durant la journée à Reims et bien évidemment la cathédrale y apparaît souvent. Certains sont lacunaires et ne répertorient que le nombre d’impacts, d’autres beaucoup plus complets ont dû être réalisés avec le concours de Max Sainsaulieu27. Ces informations sont parfois envoyées directement à Paris, mais la plupart du temps, ces rapports suivent la voix hiérarchique et sont envoyés par télégrammes à la préfecture de Châlons-sur-Marne. Ils sont repris par le cabinet du préfet pour présenter l’ensemble des bombardements de Reims28.

Les derniers rapports de guerre connus sont réalisés par les militaires durant la période où Reims est complètement évacuée de sa population civile. Deux inventaires complets des destructions ont ainsi été conservés : le premier rédigé le 1er août 1918 par le capitaine Robert Linzeler et le second, non daté, par l’officier d’administration du génie André Collin29.

Il est difficile d’évaluer la fiabilité de ces sources. Le 22 février 1915, la voûte au niveau de la croisée du transept est percée par un obus. Mais cette date, relevée par Henri Deneux30, est différente de celle des ouvrages de l’abbé Maurice Landrieux et d’Arsène Alexandre. Le

24 CMH, 5 mars 1915, MAP, 80/15/23.

25 Rapports de Henri Deneux du 24 avril 1915 et du 3 janvier 1917, MAP, 80/3/11.

26 Rapports du gardien Huart des 22 et 23 avril 1917, MAP, 81/51 197/2 114.

27 Rapports de la préfecture de la Marne : message téléphonique du 24 février 1915 ; télégrammes du 24 février 1915, du 28 octobre 1916 et du 24 avril 1917 ; rapports du 15 juillet et du 6 novembre 1916, du 19 avril, du 23 avril, du 25 avril (second rapport envoyé ce même jour), du 27 avril, du 30 juin et du 16 juillet 1917 ; MAP, 80/3/11.

28 ADM, 203M 14-16.

29 « Description sommaire des dégâts causés à la Cathédrale de Reims, visite du capitaine Linzeler », 1er août 1918 ; « Rapport sur l’état de la cathédrale de Reims, ministère de la Guerre et sous-secrétariat d’Etat des Beaux-Arts. Monuments et œuvres d’art de la zone des armées. Conservation, évacuation. Front du Centre », officier d’administration du génie Collin ; MAP, 80/3/11.

30 Rapport de Henri Deneux, 22 février 1915, MAP, 81/51 197/2 114.

premier date cet épisode du 21 février alors que le second situe l’action le 19. Ce n’est qu’un exemple qui prouve la difficulté à établir une chronologique exacte de ces faits malgré la rigueur des inventaires.

Dans le document La cathédrale de Reims (Page 164-169)