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Questions de recherche

Chapitre 1. Orientation et posture méthodologiques

1.1 Une recherche collaborative de type qualitatif et interprétatif

Pour commencer cette partie méthodologique, nous expliciterons en quoi la recherche collaborative de type interprétatif et qualitatif nous a semblé un choix pertinent au vu de notre projet. Pour cela, nous indiquerons tout d’abord la genèse de ce projet, puis notre ancrage méthodologique et enfin notre posture épistémologique.

1.1.1 Genèse du projet de recherche

Notre projet de recherche trouve son origine dans deux établissements d’enseignement supérieur français et il relève d’échanges menés avec deux équipes différentes. Ce projet est donc constitué de deux projets avec deux équipes ayant, de notre point de vue, la même orientation. Nous rappelons ici notre hypothèse de recherche globale : si les processus de l’évaluation parviennent à être optimalement partagés par les acteurs de l’enseignement et de l’apprentissage, les apports formatifs s’en trouvent soutenus, tant dans leurs modalités que dans leurs qualités, et ce, au bénéfice de l’enseignant, de l’étudiant et des savoirs en jeu. Afin d’expliciter la genèse du présent projet, nous présentons tout d’abord les échanges initiaux avec Claire d’un côté, avec Inès et Alexis de l’autre, puis nous montrerons comment ces échanges sont entrés en interconnexion pour constituer un seul projet de recherche.

1.1.1.1 Les échanges avec Claire

C’est lors des rencontres du secteur langues du GFEN que l’enseignante Claire et la chercheuse-doctorante ont commencé à réfléchir ensemble sur les pratiques en évaluation-soutien d’apprentissage. Ce groupe est constitué d’enseignants de langues diverses - espagnol, anglais, allemand, français, italien - intervenant de l’école élémentaire à l’université. Il travaille à l’élaboration d’outils pédagogiques et anime régulièrement des formations pour les enseignants.

Ses membres se réunissent une fois par mois et élaborent des pratiques de classe qui font l’objet d’un travail collectif de confrontation, et pour un certain nombre d’entre elles, d’une description et d’une analyse écrites qui font l’objet de publications. Le secteur langues du GFEN s’inscrit également dans un mouvement national, mais aussi international (groupes d’Éducation Nouvelle en Belgique, Suisse, Italie, Russie...) concrétisée par la création du LIEN (Lien International d’Éducation Nouvelle).

Ainsi, dans le cadre du travail de secteur langues du GFEN, Claire et la chercheuse-doctorante échangent et construisent, avec l’ensemble du groupe, des démarches d’auto-socio-construction (DASC), telles que nous les avons présentées dans le chapitre 2 de la Revue de littérature. Claire était convaincue de l’intérêt de ces pratiques, mais ne les mettait pas forcément en œuvre de manière très régulière. Le fait que son institution, le CdESP (que nous présenterons dans la section suivante), ait décidé sous l’impulsion d’une enseignante de la mise en œuvre d’un livret d’accompagnement pour les étudiants en espagnol interrogeait cette pratique et la formalisation de l’évaluation-soutien d’apprentissage dans la classe. Ainsi, au fil des discussions et des

80 travaux autour de la mise en place d’un dispositif réflexif de manière régulière et formelle, le projet de mener un travail de recherche conjoint entre Claire et la chercheuse-doctorante s’est fait jour.

1.1.1.2 Les échanges avec Inès et Alexis

Inès, Alexis et la chercheuse-doctorante sont enseignants et collègues dans la même équipe du CdFLE (Centre de Français Langue Étrangère) centre universitaire d’enseignement du FLE.

Suite à des échanges en salle des enseignants et la constatation de positions partagées sur l’évaluation menée dans leur institution, le souhait a germé de travailler ensemble dans un premier temps à l’élaboration d’outils visant une évaluation-soutien d’apprentissage des étudiants. En effet, le constat auquel sont arrivés les trois enseignants est que rien n’était formalisé pour accompagner et soutenir l’apprentissage des étudiants. D’où une volonté de penser d’autres approches évaluatives pour mettre en synergie le formatif et le certificatif. Un petit groupe de réflexion, puis d’élaboration et d’expérimentation s’est alors constitué autour de pratiques en évaluation-soutien d’apprentissage.

1.1.1.3 Connexion des deux terrains

Ayant la volonté de mener une thèse de doctorat, il nous a semblé intéressant de mettre en interconnexion les deux contextes que nous venons de décrire. Ainsi, même si les classes, les enseignants, les étudiants sont différents, il nous est apparu des convergences en termes de valeurs, principes et modalités de travail (nous présenterons ces points dans les sections suivantes). La question de la mise en place d’un dispositif réflexif qui pourrait peut-être générer un agir évaluatif partagé dans la classe (c’est-à-dire la constitution d’un espace dans la classe où les apprenants vont construire de l’habitus, des habitudes de travail afin de verbaliser / expliciter le chemin parcouru, les difficultés, les obstacles et la suite à donner en termes d’apprentissage) était intéressante pour Claire, Inès et Alexis, d’où leur envie de participer à ce projet de recherche. Par ces deux contextes, nous souhaitons documenter en quoi le cadre conceptuel de la microculture de classe peut être intéressant pour co-construire un AEP dans les deux classes de langues étrangères dans l’enseignement supérieur.

1.1.2 Ancrage méthodologique

Notre postulat est qu’une culture évaluative construite en collaboration entre enseignant(s) et chercheur(s) influence les pratiques enseignantes (Mottier Lopez & Morales Villabona, 2016 ; Mottier Lopez, 2015b) par l’identification de savoirs professionnels réinterrogés ou nouvellement élaborés (Vanhulle, 2009). En lien avec cette hypothèse, nous avons conçu notre recherche comme contributive au développement professionnel des enseignants-participants dans une approche collaborative (au sens de Desgagné, 2007 ; Mottier Lopez, 2015) ayant une double visée, à savoir engager des pratiques dans les classes liées à l’enjeu de recherche tout en créant des conditions qui permettent de produire de la connaissance scientifique sur ces pratiques. Cette conception de la recherche collaborative est capitale dans notre propre travail, puisqu’elle désigne un projet co-construit entre enseignants et chercheur dans une relation de partenariat. Dans notre cas, ce projet de recherche a réellement été initié à partir de questionnements exprimés par un collectif de praticiens. Et c’est bien ce collectif réunissant

81 acteurs de terrain et chercheuse-doctorante qui a permis à ce projet de recherche de voir le jour, à « des fins de réflexivité partagée et de négociation de significations sur les phénomènes éducatifs investigués » (Mottier Lopez, 2018, p. 137). Associer recherche et terrain implique la création d’espaces de rencontres et d’échanges entre les enseignants et le chercheur, sous la forme de réunions, articulées à des recueils de données en situation de classe. Les objectifs de ces espaces sont de co-définir ensemble ce qui pose problème et de se mettre en recherche ensemble, chacun avec ses propres visées. C’est ce que nous détaillerons dans les sous-sections 3.3 et 3.4.

Comme indiqué dans l’introduction de ce chapitre, nous inscrivons notre recherche dans une approche de recherche qualitative. Pour expliciter notre conception, nous nous appuyons sur les propositions d’Anadon (2006), qui ancre cette approche dans l’expérience et les points de vue des acteurs sociaux sur le monde. En ce sens, Savoie-Zajc (2000), comme d’autres (Erickson, 1986 ; Anadon, 2006), qualifie la recherche qualitative d’interprétative, afin de croiser le positionnement épistémologique du chercheur et la nature des données produites.

Ainsi, en ce qui nous concerne, notre recherche comporte clairement des dimensions d’observation dans une perspective compréhensive et d’interprétation, ainsi que certains aspects participatifs dans une approche collaborative entre enseignants et chercheuse-doctorante.

Notre démarche a suivi la logique inductive suivante : nous avons tout d’abord construit nos hypothèses de recherche à partir des échanges avec les enseignants et l’observation des classes.

L’objectif était de « baser l’élaboration des hypothèses de recherche sur l’observation d’un terrain en ne fermant la porte à aucune perspective » (Vincent, 2015, p. 9). Nous avons alors opéré une construction progressive de notre objet d’étude et de notre cadre théorique, en parallèle du traitement des données empiriques. Cette démarche inductive/déductive nous a semblé nécessaire pour éviter de simplifier la complexité de la réalité du terrain à partir d’un cadre conceptuel préalable.

Ces allers-retours constants entre l’empirie et les concepts théoriques se sont construits dans une démarche progressive, faite de réajustements et rétroactions (Mottier Lopez, 2008). Face à la masse de données collectées, cette recherche a donc constitué un défi constant, puisque les apports théoriques, la méthodologie de collecte et d’analyse et la conception des séquences ont été constamment imbriqués. Notre ancrage est donc pleinement dans la perspective située, puisque celle-ci exige au plan méthodologique, de prendre en considération les caractéristiques et spécificités de chaque terrain et de chaque contexte.

1.1.3 Posture épistémologique de la chercheuse-doctorante

Dans tout processus de recherche, il revient au chercheur d’adopter une posture réflexive vis-à-vis des questions méthodologiques et théoriques qui accompagnent son projet de recherche.

Paillé et Mucchielli (2016) appellent cette démarche épistémologique « l’équation intellectuelle du chercheur », qu’ils décrivent en ces termes :

L’idée (est) de cerner le mieux possible les clés de l’interprétation et la posture à partir de laquelle nombre de décisions épistémologiques, théoriques et méthodologiques prennent place. Il ne s’agit pas de tenter de “contrôler“ toutes ces “variables“ (Heshusius, 1994), mais

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de prendre conscience de certains éléments essentiels du dialogue qui va s’engager entre les protagonistes de l’enquête (chercheurs, acteurs, lecteurs) et qui va puiser à la fois à la réalité telle que vécue ou conçue par chacun et aux écrits, modèles et essais théoriques pertinents par rapport à cette réalité. (p. 119)

La posture d’un chercheur qualifie son positionnement vis-à-vis de son objet de recherche. Elle porte sur son implication, son lien statutaire avec son terrain de recherche et ses acteurs, et sur sa position personnelle à l’égard de la situation qu’il étudie. Cette posture permet de cerner quelle est la place, évolutive, du chercheur dans son processus de recherche : « Elle ne constitue pas un repère fixe ; au contraire, elle va varier, même sensiblement, à mesure de l’avancement des travaux. […] La posture tient lieu, en quelque sorte, de toile de fond de l’interprétation. » (Paillé & Mucchielli, 2016, p.136). Si nous n’avons pas pour objet de recherche notre propre pratique, notre recherche s’est déroulée au sein de deux de nos terrains professionnels, le CdFLE où nous avons le statut d’enseignante et collègue des enseignants Inès et Alexis et le secteur langues du GFEN, où nous avons le statut de collègue de Claire. Dans ces deux contextes, l’activité professionnelle et de recherche se sont croisées sans cesse, opérant des orientations l’une sur l’autre, un « étayage mutuel » (Cousinet, 2003, p. 125). Pour mener à bien cette recherche, nous avons donc dû questionner notre propre engagement en tant qu’enseignante, en tant que participante aux travaux du GFEN et notre posture en tant que chercheuse-doctorante. Elias (1993, cité par Narcy-Combes, 2001) parle alors d’un chercheur

« tiraillé entre son engagement qui le fait aller de l’avant (l’action), et son appartenance à la communauté scientifique qui lui impose de respecter les conventions du domaine » (p. 46), qu’il schématise ainsi :

Figure 9. Engagement et distanciation du praticien-chercheur (Elias, 1993, p. 46)

Pour Paillé et Mucchielli (2016), c’est précisément le rôle central joué par les participants à la recherche qui justifie leur proximité avec le praticien-chercheur, dont l’engagement sur le terrain peut être considéré comme un atout pour la recherche :

Le participant à la recherche peut être “mis dans le coup“. […] Cela peut aller, pour le participant, jusqu’à jouer le rôle de co-chercheur, voire de co-apprenant dans le contexte d’un projet où, au-delà de la connaissance, des objectifs de reconnaissance et de transformation mettent le travail interprétatif au service du mieux-être des personnes et des communautés.

[…] L’interprétation ne vise pas uniquement la compréhension, elle est aussi un moteur de l’action, le ferment d’une transformation. (p. 114)

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