• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2. L’évaluation en tant que soutien d’apprentissage

2.2 Une évaluation partagée au service de la régulation interactive

Dans la première sous-section, nous retraçons les différents éléments de définition de l’évaluation-soutien d’apprentissage sur lesquels nous nous appuyons dans notre recherche. À l’intérieur de cette évaluation-soutien d’apprentissage, nous souhaitons approfondir l’évaluation-régulation interactive. Pour cela, nous définissons tout d’abord ce qu’elle recouvre, puis, nous identifions ses processus interactifs, qui nous amèneront à expliciter le concept de régulation interactive.

2.2.1 La régulation entre les acteurs à des fins d’autorégulation de l’apprenant

Nous nous appuyons sur la définition d’Allal (2007) pour qui la régulation « englobe les sources de régulation liées aux interactions de l’apprenant avec son environnement, c’est-à-dire les interactions avec les autres acteurs de la situation (enseignant, pairs) et avec les composantes matérielles et culturelles de la situation » (p. 8). En partant des régulations organisées par l’enseignant, c’est-à-dire les moments où ce dernier agit sur les conditions d’apprentissage dans la classe, Allal (2007) fait apparaître trois niveaux concernant ces mêmes conditions. Le premier niveau de régulation porte sur les conditions structurelles des situations d’enseignement (par exemple, l’organisation matérielle). Le deuxième niveau concerne les conditions d’intervention et d’interaction de l’enseignant avec les élèves, et le troisième niveau porte sur les interactions entre élèves. Allal propose la schématisation suivante :

Figure 5. Niveaux de régulation des apprentissages en situation scolaire et en formation

Dans notre recherche, ces trois niveaux de régulation apparaissent mais ils ne sont pas travaillés au même titre. Les conditions structurelles, c’est-à-dire le premier niveau défini par Allal,

Régulations liées à la structure de la situation d'enseignement / apprentissage

Régulations liées aux interventions de l'enseignant et à ses interactions avec les apprenants

Régulations liées aux interactions entre apprenants Processus d'autorégulation

51 serviront de cadre mais ne seront pas analysées en tant que telles. Notre intérêt porte en particulier sur les deuxième et troisième niveaux, c’est-à-dire les régulations entre enseignants et étudiant et les régulations entre étudiants. Toutes se mettent au service d’une autorégulation potentielle de l’apprenant. La relation entre les trois niveaux de régulation proposés par Allal est un axe capital de notre recherche. Pour notre part, en nous situant dans une perspective située de l’apprentissage, telle que décrite dans la partie 1 de cette revue de littérature, nous nous intéressons particulièrement aux processus de négociation et de co-construction de significations qui se développent dans l’interaction (Mottier Lopez, 2015). Nous souhaitons avancer que ces processus peuvent permettre aux apprenants de construire progressivement le sens des démarches de corégulation, de régulation interactive et d’autorégulation.

Mottier Lopez (2008) soutient que la corégulation désigne « la relation de co-ajustement et de co-développement entre les processus individuels, interpersonnels et communautaires qui participe à la régulation de l’apprentissage des élèves » (p. 75). Selon Mottier Lopez (2015), la régulation interactive « va au-delà de la seule notion de feedback en faveur de la conception d’une évaluation et régulation vues comme étant co-constitutives l’une de l’autre et qui contribuent à la négociation de sens, voire à la construction d’un « sens nouveau » (Figari &

Remaud, 2014) par rapport à l’objet visé » (p. 95). L’autrice conçoit la régulation interactive comme étant une « participation guidée », notamment au sens de Rogoff (1990) et de Rogoff, Mosier, Mistry et Göncü (1993), dont nous avons parlé plus haut. Pour rappel, la participation guidée fait référence aux « fonctions d’étayage de l’expert » (en lien avec les travaux de Vygotsky et Bruner) dans le « développement par l’apprenant des compétences valorisées dans sa communauté socioculturelle d’appartenance » (p. 96). Quant à l’autorégulation, elle se définit dans le sens où « l’apprenant est amené à formuler des jugements conscients sur sa propre production et/ou processus d’apprentissage, à évaluer ses manières d’agir lorsqu’il apprend et à identifier des stratégies et actions à entreprendre pour améliorer sa compréhension et développer ses compétences » (McMillan & Hearn, 2008, cité par Morales Villabona, 2015, p. 121).

Nous nous intéressons donc précisément à l’ancrage des trois niveaux définis par Allal dans un environnement social, s’appuyant sur « une hypothèse situationniste d’une relation de co-constitution entre l’individu en activité et des situations socioculturelles expérimentées (au sens de Brown, Collins & Duguid, 1989) » (Mottier Lopez, 2008, p. 76). Cette proposition fait suite à la position d’Allal (2007) qui affirme que, même quand l’apprenant travaille de manière individuelle, il s’appuie sur des ressources dans un cadre didactique toujours intégré dans le contexte socioculturel de la classe. Ainsi, cette affirmation inscrit l’autorégulation dans un environnement socioculturel.

Nous souhaitons compléter ces dimensions par la notion de collaboration comme cadre de réflexion aux interactions évaluatives en classe dans la mesure où elle évoque une

« philosophie » de l’interaction en éducation (Panitz, 1997) fondée sur l’idée de partage du contrôle entre enseignant et apprenants au sein du processus d’enseignement et d’apprentissage.

La collaboration dans l’évaluation requiert le développement d’un langage commun pour co-construire des relations d’interdépendance entre enseignants et apprenants (Sebba,

Deakin-52 Crick, Yu, Lawson, Harlen & Durant, 2008) en lien avec une responsabilité mutuelle par rapport à l’apprentissage et à son évaluation. Comme nous le verrons dans la partie 4, nos analyses de l’empirie pourront indiquer si les étudiants donnent à la collaboration une réelle valeur dans leur apprentissage de la langue étrangère et s’ils construisent un langage commun pour

« intégrer plus rapidement les rétroactions quand elles sont formulées par des pairs » (Morales Villabona, 2016, p. 121). Les notions d’espaces de dialogue, de négociation, d’échanges, de verbalisation désignent des éléments-clés pour repenser les rôles des enseignants et des étudiants et reconfigurer la relation évaluative. Les pratiques d’évaluation-soutien d’apprentissage, fondées sur la verbalisation et l’explicitation, établissent un système de communication, créateur de liens et de références qui aident à constituer un langage commun dans la collaboration dans la classe.

2.2.2 De la régulation interactive à l’évaluation-régulation interactive

Toujours selon Allal (2007), la régulation interactive met en articulation les interactions de l’élève avec son environnement social, en classe l’enseignant et ses pairs, et / ou matériel, c’est-à-dire les outils mis à disposition dans la situation didactique, à des fins d’autorégulation potentielle. À partir de cette définition et des trois niveaux de régulation, présentés précédemment, Allal (2007) rappelle trois formes possibles de régulation interactive à des fins de médiation et de soutien d’apprentissage : 1. entre l’enseignant et l’élève ou plusieurs élèves ; 2. entre les élèves ou les groupes d’élèves ; 3. entre les élèves et les outils. Ces formes possibles de régulation s’inscrivent dans des évaluations qui peuvent être formelles, mais le plus souvent, qui restent informelles et fondées sur des interactions entre l’apprenant et son environnement social et matériel (Mottier Lopez, 2015b). Cela signifie qu’elles se manifestent en continu dans la classe, car « toute réponse ou proposition interactive d’un élève peut amener une rétroaction de l’enseignant ou d’un pair » (Mottier Lopez, 2015, p. 94). Cette rétroaction, ou feedback (Crahay, 2007 ; Hattie & Timperley, 2007) permet d’apprécier l’adéquation de la réponse de l’élève à la réalisation de la tâche par exemple. Mais Mottier Lopez insiste sur le fait que ce n’est pas parce qu’il y a une évaluation interactive continue que celle-ci permet aux élèves d’apprendre. Cette assertion nous semble particulièrement importante dans notre recherche, pour questionner l’observation des classes de langues étrangères.

Les différents échanges entre les étudiants pourraient se situer dans le cadre des « régulations interactives situées » étudiées par Mottier Lopez (2016, p. 75), en cela qu’ils visent l’autorégulation des étudiants et qu’ils contribuent « simultanément à négocier les normes, les pratiques, les significations vues comme reconnues et partagées au plan communautaire de la classe » (Mottier Lopez, 2016, p. 75). En effet, Mottier Lopez (2015) affirme qu’il est indispensable que l’enseignant associe à cette évaluation en continu « une fonction explicite d’

« étayage » et de « médiation » à l’autorégulation de l’élève (Allal, 2007) » (p. 95), c’est-à-dire que l’enseignant en ait conscience et qu’il explicite les finalités et les enjeux de cette régulation interactive auprès des élèves. Une telle intention peut contribuer à ce que enseignants et apprenants négocient et construisent le sens de ces situations d’évaluation interactive informelles dans leur classe. Ainsi, dans l’analyse de notre empirie, nous convoquerons le concept d’évaluation-régulation interactive développé par Mottier Lopez (2015) afin d’analyser

53 les échanges entre l’enseignant et les étudiants, mais aussi entre les étudiants dans les deux classes à des fins d’autorégulation, que nous allons définir dans la sous-section suivante. Nous le faisons en lien avec des pratiques de portfolio à des fins d’autorégulation.