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Chapitre 3. L’agir en didactique des langues étrangères

3.1 Le concept d’agir social en DDL

3.1.1 La tâche dans la perspective actionnelle

La parution du CECRL en 2001 témoigne de cette entrée dans une didactique explicitement marquée par une perspective actionnelle. Sur le plan institutionnel, la création des six niveaux (du A1 au C2)7 et de leurs référentiels sont communs désormais à l’enseignement et à l’apprentissage de l’ensemble des langues du Conseil de l’Europe. Ces six niveaux sont caractérisés par l’agir social : le but n’est pas seulement de communiquer en langue étrangère avec l’autre, mais d’agir avec les autres dans un contexte plurilingue. Cette modification paradigmatique conduit à modifier la configuration didactique de l’enseignement et de l’apprentissage des langues étrangères. Dans son travail sur l’évolution historique des modes d’entrée en didactique des langues-cultures étrangères en France, Puren (2000a) montre le passage d’une orientation objet (c’est-à-dire centrée sur la connaissance) à une orientation sujet (c’est-à-dire centrée sur l’action à réaliser).

De ce fait, sous l’impulsion du CECRL, l’agir social en DDL est retenu comme nouvel agir de référence. Il ne s’agit donc plus uniquement de l’interaction langagière, mais de la contextualisation de cette interaction dans le cadre d’une action sociale, qui se révèle dans la notion de tâche. Concernant la tâche, nous référons à la définition de Nunan (1989) « Task : a piece of classroom work which involves learners in comprehending, manipulating, producing or interacting in the target language while their attention is principally focused on meaning rather than form » (p. 19). Nous la complétons avec la définition donnée dans le CECRL (2001) : « Est définie comme tâche toute visée actionnelle que l’acteur se représente comme devant parvenir à un résultat donné en fonction d’un problème à résoudre, d’une obligation à remplir, d’un but qu’on s’est fixé. » (p. 16). Nous remarquons alors une formulation relativement générale, qui permet d’englober dans la tâche des activités variées tant langagières que non langagières. Nous passons donc d’une focalisation sur les activités langagières à une focalisation sur l’agir social. À ce propos, Puren (2004), puis Perrichon (2008) distinguent les actions et les tâches : l’action est une unité de sens au sein de l’agir d’usage (c’est-à-dire en société), alors que la tâche est une unité de sens au sein de l’agir d’apprentissage (c’est-à-dire en classe). Ils distinguent donc ainsi l’usager qui réalise des actions dans la société et l’apprenant qui réalise des tâches dans son processus d’apprentissage ; la perspective actionnelle permettant de tisser des liens entre les deux types d’agir. Schneuwly (2009), quant

7 Les référentiels du CECRL identifient six niveaux de compétence pour caractériser l’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation des langues étrangères des pays membres du Conseil de l’Europe. Ces niveaux sont classés en trois paliers A, B et C, eux-mêmes subdivisés en 2 sous-paliers (A1, A2, B1, B2, C1, C2).

60 à lui, définit la tâche en didactique du français comme une « forme particulière de mise en activité pouvant participer à la mise en œuvre d’un dispositif didactique. Elle implique une réponse sous forme d’une activité dirigée vers un but, dévolue aux élèves, individuellement ou en groupe » (p. 34). Selon cet auteur, les tâches occupent une place essentielle dans les séquences d’enseignement (que nous définirons dans la partie Méthodologie), car elles « sont souvent ce qui y permet de faire advenir l’objet [de savoir], ce qui permet à l’objet d’exister, à l’enseignant de le montrer et à l’élève de le rencontrer (p. 35). Cette approche de la tâche nous semble complémentaire de l’approche proposée en DDL. Nous reprenons les caractéristiques de la tâche nommées par Schneuwly (2009, p. 35), à la suite de Dolz, Schneuwly, Thévenaz-Christen & Wirthner (2002). Ainsi, la tâche :

- opérationnalise et matérialise les contenus d’enseignement - est définie par l’enseignant et/ou des programmes

- est déclenchée par une consigne - consiste en un problème à résoudre - est circonscrite dans l’espace et le temps

- son produit et/ou son résultat fait l’objet d’une évaluation - présuppose la mise en œuvre d’une procédure

- est prescriptive dans la mesure où elle engage enseignant et apprenants

Une fois posés ces éléments de définition, de nombreuses acceptions se font jour, telles que tâche finale, tâche langagière, tâche intégrée, micro-tâche, macro-tâche…Nous ne nous attacherons pas à faire une typologie de ces différentes acceptions, nous renvoyons aux travaux réalisés par Huver et Springer (2011, pp. 170-175) qui les décrivent de manière précise. Pour certains didacticiens, avec lesquels nous sommes en accord, la tâche est indissociable de la complexité, davantage tournée vers le sens que vers les formes linguistiques. Comme l’affirme Puren (2006), la tâche désigne « une unité de sens - et donc de cohérence – au sein de l’agir d’apprentissage » (p. 56). Mais alors comment caractériser cette tâche dite complexe ? Nous retenons ici les aspects par lesquels Médioni (2009) la définit. La tâche est une activité complexe qui oblige à mobiliser des savoirs, savoir-faire et savoir-être en vue d’aboutir à une réalisation finale. C’est une activité contextualisée, « un acte social en soi » (p.9), qui présente un problème à résoudre, obligeant à agir en interaction pour produire ensemble.

L’agir social : de l’individuel au collectif et réciproquement

Comme nous l’avons vu précédemment, l’enseignement et l’apprentissage des langues étrangères promeuvent, suivant les périodes, un agir social de référence. Une des spécificités de la perspective actionnelle, c’est la dimension collective de l’agir de référence : on agit avec les autres, il n’y a donc plus simplement une interaction (informer/s’informer) mais une co-action, « parce qu’elle met en avant la dimension collective des actions et la finalité sociale de ces actions » (Puren, 2004, p. 11). Ainsi, l’agir est au cœur des principes didactiques de la perspective actionnelle. Les tâches et actions sont orientées socialement. L’apprenant en co-agissant devient un acteur social collaborant avec d’autres acteurs sociaux. La classe devient un espace social de construction collective de savoirs. Ce qui est cohérent avec la perspective située présentée plus haut. L’objectif de l’enseignement et de l’apprentissage est d’apprendre à

61 communiquer et à agir avec d’autres. Pour ce faire, l’apprenant accomplit des activités en groupe, en co-action. Selon Puren (2001), « c’est cette dimension d’enjeu social authentique qui différencie la co-action » (p. 62).

Nous reprenons ici la notion de discours affichant les liens sociaux qui unissent les interlocuteurs entre eux. Co-agir, c’est se mettre d’accord sur la définition d’un espace conjoint langagier et non-langagier, dans lequel l’enseignant et les apprenants échangent, discutent, confrontent, construisent, réalisent des actions collectives à partir de tâches contextualisées dans des situations de communication. La modélisation proposée par Perrichon (2008) illustre cette définition :

Figure 6. Modèle du discours dans une interaction (repris de Perrichon, 2008, p. 72)

Cette modélisation, selon son autrice, permet d’expliquer que les acteurs en présence (A, B, C) échangent au sein d’une classe, définie comme un espace dans lequel les apprenants collaborent, tout en participant à la construction de l’espace commun. L’objectif de la co-action est donc double : chaque participant utilise des outils langagiers pour coopérer avec l’autre, tout en co-construisant l’espace commun. La communication devient alors un moyen pour agir et non plus une fin en soi. Ces différentes caractéristiques confirment que le discours met en lumière les liens sociaux des acteurs et qu’à travers lui, il est possible de saisir l’enjeu et le but de l’action : c’est la présence de l’autre, le « co-acteur » selon Bange (1992, p. 207), qui conduit notre acte social, langagier ou non. Ainsi, la co-action demande non seulement à l’enseignant et aux apprenants d’expliciter les règles, les codes, les conventions de la classe (Puren, 2014), mais également de se mettre d’accord sur des stratégies collectives d’enseignement et d’apprentissage pour réaliser l’action commune en classe. À nouveau, on voit ici un lien avec la perspective située.

Ce concept de co-action n’est pas uniquement lié à la perspective actionnelle, mais peut être également rattaché aux approches socioconstructivistes et à celle de la perspective située telles que nous les avons développées dans la partie 1 de cette revue de littérature. Toutefois, dans l’enseignement et l’apprentissage des langues étrangères, la co-action doit aussi être langagière : les apprenants ont une tâche à réaliser, tâche qui oblige à une mise en mots, à une production dans la langue étrangère (Médioni, 2009, p. 14). Perrichon (2008) avance alors que

« dans les tâches mettant en lien agir d’usage et agir d’apprentissage, le passage de l’action individuelle à l’action collective constitue le point d’orgue d’un enseignement de type actionnel

» (p. 186). Ces concepts montrent que le langage est indissociable de l’action - nous parlons

62 pour agir - et indissociable du contexte - nous agissons dans un certain contexte, un certain cadre. Bange (1992) complète d’ailleurs ce contexte par :

Une conception active selon laquelle l’acteur ne réagit pas seulement au contexte, mais contribue à le construire. Le contexte n’est pas une donnée matérielle mais une production des acteurs eux-mêmes, une construction interprétative par laquelle les acteurs définissent la situation en vue de la réalisation de buts pratiques. (p. 18)

Le fait, comme dit Bange, que les acteurs ne réagissent pas seulement aux caractéristiques du contexte, mais plutôt qu’ils « contribuent à le construire » à partir de leur interprétation s’articule avec les caractéristiques de la co-action allant vers une co-construction de l’action commune. Nous allons nous questionner désormais sur cette notion de contexte.

Prépondérance du contexte

La notion de contexte n’a cessé d’occuper une place centrale de la DDL. Dès les années 70, l’approche communicative, centrée sur l’idée qu’on apprend une langue étrangère grâce aux interactions dans une situation spécifique, évoquait la prise en compte du contexte dans lequel se construit l’apprentissage. Toutefois, pendant longtemps, une opposition a existé entre ce qui relève de la classe et ce qui lui est extérieur. La linguistique distinguait par exemple des processus d’appropriation de la langue étrangère cognitivement préprogrammés avec peu d’influence contextuelle et, à l’opposé, une cognition située dans laquelle les énoncés en langue étrangère prennent tout leur sens dans des usages sociaux, situés et en contexte (Gajo &

Montada, 2000). Ainsi, dans cette logique, Mathey et Py (1995) définissent le contexte comme

« l’ensemble des facteurs situationnels qui se révèlent pertinents pour la compréhension d’un comportement langagier » (p. 14). Parallèlement à cela, à la même époque, les approches constructivistes ont été convoquées pour mettre en avant la place centrale accordée à l’apprenant, à ses démarches d’apprentissage et aux dimensions interactionnelles dans la classe, dans une dynamique « socioculturellement située » (Castellotti, 2008, p. 189).

Près de 30 ans plus tard, Porquier et Py (2004) rappellent que « tout apprentissage est socialement situé » (p. 5), en caractérisant le contexte dans lequel « se situent et se développent, pragmatiquement, historiquement, géographiquement et socialement les processus d’apprentissage (Porquier & Py, 2004, p. 58, cité par Castellotti, 2008, p. 186). Ainsi, le contexte de l’apprentissage des langues étrangères est désormais marqué par la diversité et par une pluralité d’éléments qui interagissent de manière dynamique.

Dans le Dictionnaire didactique du français langue étrangère et seconde (Cuq, 2004), le contexte est défini comme « l’ensemble des déterminations extralinguistiques des situations de communication où les productions verbales (ou non) prennent place » (p. 54). Un élément capital et spécifique à l’enseignement et à l’apprentissage des langues étrangères est alors pris en compte : « l’ensemble des représentations que les apprenants ont du contexte, introduisant par là même des variables culturelles et interculturelles dont la prise en compte est alors féconde » (p. 54). À cette définition du contexte, Cuq ajoute la définition de situation dans laquelle il distingue trois fonctions : 1. la situation d’apprentissage caractérisée par ses conditions de déroulement externes, telles que l’espace, le temps, et internes, comme la motivation de l’apprenant, son parcours scolaire, ses représentations sur la langue ; 2. la

63 situation de classe qui met en lien l’enseignant, l’apprenant / les apprenants et les savoirs ; 3. la situation de communication dans laquelle se trouvent à la fois les actes de cette communication et le travail sur ces actes (nous développerons cet élément dans la sous-section 2.1).

Cambra Giné (2003) complète les définitions précédentes par une caractéristique, centrale de notre point de vue. Selon elle, le contexte, qu’elle définit comme « l’ensemble structuré des traits d’une situation sociale » (p. 52), est à la fois donné et construit, ce qui permet de le rapprocher de l’approche située de Lave (1988). De ce fait, le contexte émerge de la

« description des processus interactifs que les participants développent ensemble, du travail de contextualisation auquel ils se livrent » (p. 54). Dans ce cadre, le contexte se caractérise alors à partir d’une contextualisation dynamique et interactive. Cambra Giné (2003) ajoute que, lorsque nous parlons de contexte en langue étrangère, nous sommes non seulement en présence d’un processus dynamique et interactif, mais que ce dernier doit également être « défini et négocié par les participants qui doivent se mettre d’accord sur les objectifs, les intentions, les rôles » (Cambra Giné, 2003, p. 52). Nous complétons ces éléments par la position de Dolz et Tupin (2011) qui estiment que « les contextes agissent et interagissent sur les situations d’enseignement -apprentissage et sont à leur tour potentiellement modifiés par ce qui se passe dans l’espace de la classe » (p. 84). Nous avançons donc à partir de la définition du contexte que ce dernier est 1. caractérisé par un processus dynamique et interactif dans lequel les acteurs doivent négocier et se mettre d’accord, 2. met en synergie les personnes (enseignants et apprenants) comme acteurs sociaux, les tâches complexes d’apprentissage, et l’objet de savoir qu’est la langue étrangère.

Cette approche du concept de contexte dans l’enseignement et l’apprentissage des langues étrangères nous semble particulièrement intéressante à mobiliser dans le cadre de notre recherche, car elle permet précisément de décrire les traits constitutifs d’une possible microculture de classe telle que la définit Mottier Lopez (2008). Nous rapprochons notamment la différence que fait Lave (1988) entre les dimensions de la situation qui sont disponibles et données aux personnes (l’arena) et les dimensions construites et transformées par l’activité interprétative de l’individu (le setting), comme nous l’avons développé dans le chapitre 1 de cette revue de littérature. Comme le suggère Mottier Lopez dans l’ensemble de ses travaux, cette distinction entre le donné et le construit propose une « articulation judicieuse » (2007, p.

153), qui dépasse les approches sociolinguistiques et interactionnistes par des aspects plus englobants de l’ensemble des paramètres de la situation. Cette articulation du setting avec l’arena semble capitale dans notre recherche, car elle permet de « penser la relation de constitution et de structuration réciproques entre l’individu et les situations » (Mottier Lopez, 2016, p. 163). Cette position nous permettra d’éclairer nos empiries en ce sens que

« l’enseignant doit observer et interpréter l’activité de l’élève (dans ses formes individuelles, interpersonnelles et collectives) au regard d’éléments qui relèvent à la fois des situations expérimentées et des caractéristiques individuelles (Mottier Lopez, 2016, p. 163).

Elle permet également d’ancrer les propositions didactiques, dans le cadre de la perspective actionnelle. Dans un tel cadre, la notion d’acteur social prend également une autre dimension, dépassant ce que nous avons défini précédemment. En effet, en partant des définitions sur le

64 contexte, l’apprenant est considéré comme un acteur social qui participe et interagit dans des situations données en vue de réaliser des tâches complexes en langue étrangère, mais il est également au cœur du processus de contextualisation, puisque c’est lui, en interaction avec l’enseignant et ses pairs, qui définit et négocie les caractéristiques même des dimensions constructibles de cette contextualisation.

3.2 Les langues étrangères et l’agir en DDL : co-construire des