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Partie 3 - Cadre conceptuel relatif à l’étude des pratiques évaluatives des enseignants . 81

3 Un modèle théorique phare : l’alignement curriculaire

3.1 Une première conceptualisation de l’alignement curriculaire incomplète

En reprenant Cohen (1987, 1995) et Guskey (2003), Gauthier, Mellouki, Bissonnette et Richard (2005) définissent l’alignement curriculaire comme l’élément « visant à assurer une correspondance élevée entre le curriculum, l’enseignement et l’évaluation » (p. 24). Plus loin, ils précisent que le modèle ne concerne pas uniquement les contenus d’apprentissage, mais aussi sur « les opérations intellectuelles et les différentes catégories de connaissances qui y sont reliées » (p. 25). Par exemple, l’apprentissage porte-t-il sur de la restitution, de la synthèse ou de la création ? Les catégories de connaissances sont-elles de l’ordre des faits, des concepts, des stratégies, des démarches métacognitives ?

Malgré ces premiers éléments théoriques fondateurs, ce qui interpelle, c’est la manière avec laquelle le modèle d’alignement curriculaire est ici appréhendé, théorisé. L’acception qu’en ont ces auteurs est selon nous applicationniste, voire prescriptive. En effet, ils décrivent trois étapes pour sa mise en œuvre.

- La première consisterait à définir ce qui doit être maîtrisé par les élèves, en termes de performances (l’« output » : le quoi mesurer). Pour eux, il s’agit ici de répondre à la question : « comment peut-on observer et juger le degré de maîtrise de telle connaissance ou compétence en termes de comportements observables ou de manifestations ? » (Gauthier et al., 2005, p. 24). La formulation des objectifs d’apprentissage et des critères d’évaluation est ici un geste clé de cette étape, dont les finalités sont de clarifier le curriculum, de le concrétiser afin de faciliter son enseignement et son évaluation.

- La deuxième étape consisterait à planifier les séquences d’enseignement et d’apprentissage en rapport avec les objectifs du curriculum retenus de manière à amener tous les élèves à apprendre et progresser. La question ici est : « comment permettre aux élèves d’apprendre ce qui doit être maîtrisé ? ».

- Enfin, la troisième étape viserait à évaluer les apprentissages effectués par les élèves.

Elle porte sur l’enseignement dispensé, sur ce « qui fait objet d’apprentissage en salle de classe » (p. 25). Selon eux, il est important que les tâches évaluatives soient reconnaissables et congruentes avec ce qui a été enseigné et avec le curriculum.

Gauthier et ses collègues schématisent ces principes de la manière suivante : ALIGNEMENT CURRICULAIRE

CONGRUENCE Curriculum Enseignement Evaluation Contenu

Opérations intellectuelles

Catégories de connaissances

Figure 2 : Principe de l’alignement curriculaire selon Gauthier et al. (2005, p. 26)

Cette acception de l’alignement curriculaire interroge à trois niveaux :

- Le premier est relatif à la linéarité sous-jacente du modèle qui, de notre point de vue, ne rend pas compte de la complexité de la pratique évaluative. Là, c’est comme s’il suffisait de se fier étroitement à un enseignement inscrit dans un curriculum pour que les tâches évaluatives, de fait, soient alignées d’un point de vue curriculaire. Raisonner de la sorte revient à penser que tout processus d’enseignement suit une logique standardisée où les tâches d’apprentissage ressemblent aux tâches évaluatives. C’est loin d’être le cas, comme le montrent certaines recherches dans le champ (e. g., Bateman et al., 2009)47.

- La deuxième interrogation tient au manque de conceptualisation qui entoure l’idée de congruence. Si les auteurs précisent qu’il est important de considérer les opérations intellectuelles comme faisant partie de l’alignement curriculaire, ils ne font jamais de lien explicite entre la congruence de ce dernier et le rôle que ces opérations intellectuelles y jouent, ni n’abordent les spécificités disciplinaires dans de telles démarches. Ils ne font pas non plus de lien explicite entre congruence et cohérence, alors que c’est cette dernière notion qui est théorisée dans une importante littérature dont nous faisons état dans la partie précédente.

47 Pour prendre connaissance des résultats évoqués, consulter la revue de littérature en partie 2.

- Enfin, la troisième interrogation concerne l’incomplétude théorique qui entoure l’évaluation. Le raisonnement s’arrête au niveau des tâches évaluatives. Il n’est nulle part question du traitement de ces tâches, des informations sur les apprentissages des élèves qu’elles délivrent, ni de l’interprétation de ces dernières. Dans une perspective sommative, cela signifie que les processus de pondération et de notation ne sont pas théorisés, alors que, comme nous l’avons vu, ils sont indissociables de l’élaboration de l’évaluation en référence à un curriculum.

Notons toutefois que Gauthier et ses collègues ne sont pas les seuls à survoler conceptuellement cette question. Ils rejoignent selon nous Anderson (2002) qui, de notre point de vue, se situe dans les mêmes incomplétudes théoriques au niveau de l’évaluation sommative comprise dans ce modèle. En effet, il définit l’alignement curriculaire comme : « the level of coherence between curriculum objectives and assessment, between curriculum objectives and instructional activities, and finally between assessment and instructional activities » (p. 257).

La validité du contenu, la façon dont il est enseigné, ainsi que les opportunités d’apprentissage de ce contenu offertes aux élèves au travers de tâches d’apprentissage font ici également partie du concept d’alignement curriculaire. L’auteur le schématise de la façon suivante :

Figure 3 : L’alignement curriculaire selon Anderson (2002, p. 256)

Les questions formulées afin d’appréhender l’évaluation au sein de ce modèle sont ici aussi théoriquement incomplètes à nos yeux. Par exemple, au niveau de la relation A qui explicite le lien de cohérence entre l’évaluation des apprentissages et les objectifs d’apprentissage du

Objectifs d’apprentissage issus du curriculum

Evaluation des apprentissages

Tâches d’apprentissage

A

C

B

curriculum, Anderson propose la question correspondante suivante : « to what extent does the test measure the important curricular objectives ? » (p. 255), sans développer ce que sous-tend cette idée de mesure, ni la question des objectifs clés. Quant à la relation C, qui est censée mettre en évidence la cohérence qui devrait exister entre l’évaluation et les tâches d’apprentissage, l’auteur formule la question y relative : « is what we are teaching being tested ? » (p. 255). De nouveau, il reste très circonspect sur les questions centrales de pondération et de notation. Notons enfin que d’autres auteurs suivent ce développement du modèle avec les mêmes incomplétudes théoriques, en insistant surtout sur les caractéristiques du curriculum et des tâches, et de leur rapport de cohérence (e. g., Hammerness, 2006 ; Pellegrino, 2006 ; Martone & Sireci, 2009 ; Gagné, Dumont, Brunet & Boucher, 2013).