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Partie 3 - Cadre conceptuel relatif à l’étude des pratiques évaluatives des enseignants . 81

6 Les objectifs d’apprentissage, ou la question de la référenciation

Cela étant, le PER n’est pas un référentiel d’évaluation. Il ne donne aucun renseignement sur les modalités, les temps, le contenu, la forme ou les critères des évaluations, ni sur les exigences relatives aux différents cycles ou disciplines. Le PER n’est donc qu’« un curriculum qui décrit ce que les élèves doivent apprendre » (PER, 2010, p. 20).

Il devient dès lors fondamental de théoriser son emploi au cœur du modèle de l’alignement curriculaire élargi lorsqu’on pense son exploitation au sein de la pratique évaluative sommative.

Il peut sembler paradoxal de se référer à un curriculum comme s’il était un référentiel d’évaluation alors que celui-ci n’a pas été conçu dans ce sens. Pourtant, ce sont bien les objectifs du PER que les enseignants doivent évaluer d’un point de vue sommatif, comme le souligne le cadre légal en vigueur dans le canton de Vaud53.

Dès lors, il constitue bel et bien, et dans des degrés d’exploitation variables, une référence parmi d’autres. Toutefois, il nous a semblé risqué d’assimiler l’acte de se référer au PER à un processus de référentialisation. Comme l’ont montré certains auteurs (e. g., Figari & Remaud, 2014 ; Mottier Lopez, 2015), ce processus renvoie à toutes les étapes des démarches évaluatives dans leur acception large et non pas seulement à la formulation ou la sélection des objectifs dans le curriculum à des fins d’évaluation sommative. Malgré cela, les enseignants, à ce niveau, se réfèrent bel et bien à quelque chose lorsqu’ils concrétisent les apprentissages qu’ils poursuivent et évaluent en fin de séquences ! C’est la raison pour laquelle, afin d’expliciter ce processus, nous nous sommes inspiré du concept de référenciation développé par Vial (2012).

6.1 Vers une référenciation restreinte

L’auteur montre que tout évaluateur est amené sans cesse à faire des choix, sans se renier (1999/2008). Son action renvoie à une multitude de références. Il est dès lors acteur de leur sélection, de leur articulation et de leur usage. C’est ce que Vial nomme la référenciation, qui recouvre le fait de s’appuyer sur la pensée d’autres acteurs, l’action d’emprunter une théorie, l’intention de privilégier un angle de prise de vue spécifique sur un objet pour pouvoir en parler, ou encore le fait de s’imposer un cadre de pensée (Vial, 1999, 2012). Ce concept nous semble très pertinent pour comprendre et décrire « ce qui fait foi » chez les enseignants quand ces derniers opèrent des choix au niveau des objectifs d’apprentissages à conduire et évaluer d’un point de vue sommatif. Cela étant, le concept recouvre une ampleur importante de références possibles, alors que nous ne nous centrons ici « que » sur le rapport aux objectifs que les enseignants considérent, qu’ils soient prescrits, reformulés par les professionnels ou issus de multiples sources. C’est la raison pour laquelle nous parlerons de référenciation restreinte.

6.2 Des objectifs d’apprentissage orientés théoriquement

Nous ne pouvons aller de l’avant sans expliciter le cadre théorique choisi pour définir ce que

53 Voir http://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/organisation/dfj/dgeo/fichiers_pdf/CGE2015.pdf.

nous appelons ici objectifs d’apprentissages, ces derniers étant une composante phare de notre modèle.

Bien que formulés dans le PER en termes de compétences54, nous considérerons les apprentissages à évaluer issus du curriculum comme des objectifs55. À ce niveau, nous suivrons de nombreux auteurs ayant travaillé sur l’alignement curriculaire (e. g., Biggs, 2003 ; Hammerness, 2006 ; Squires, 2009) qui prônent l’usage de taxonomies pour décrire leur niveau de complexité. Comme nous le justifions dans notre revue de littérature, notre choix s’est porté sur la taxonomie d’Anderson et Krathwohl (2001). Elle propose de considérer tout apprentissage au travers d’objectifs appariant une habileté cognitive à un contenu56. En effet, pour parler d’apprentissage, l’habileté cognitive seule ne suffit pas, et l’unique contenu non plus. Conceptuellement, cette taxonomie croise six niveaux d’habiletés cognitives montant en complexité (se souvenir, comprendre, appliquer, analyser, évaluer et créer) avec quatre contenus de nature différente (les faits, les concepts, les procédures et les démarches méta-cognitives). Les objectifs se formulent en associant les deux. Comme le soulignent Mottier Lopez et Laveault (2008), au travers de cette taxonomie, « les auteurs ont pour ambition de démontrer les interactions entre enseignement et évaluation » (p. 9), ce qui est cohérent avec notre modèle. Cette perspective cognitive nous semble donc bien convenir à l’étude de la cohérence d’évaluations sommatives dans une perspective d’alignement curriculaire élargi.

Tout d’abord, car elle a été éprouvée dans plusieurs recherches partant des pratiques réelles, comme la nôtre (e. g., Anderson, 2002 ; Bateman et al., 2009). Ensuite, car elle donne une importance cruciale aux caractéristiques disciplinaires des objets étudiés. Comme le précise Anderson (2002), citant Gomoran, Porter, Smithson et White (1997) : "Clearly, to predict student achievement gains from knowledge of the content of instruction, a micro-level description of content that looks at cognitive demands by [type of knowledge] is the most useful approach considered to date" (p. 258). Suivant ces derniers auteurs, nous faisons l’hypothèse que formuler ainsi des objectifs participe à souligner les aspects qualitatifs de l’apprentissage.

Cette taxonomie offre donc une grille de lecture théorique de la cohérence de l’alignement curriculaire élargi, puisque c’est au travers de la complexité des habiletés cognitives appariées aux contenus qu’il est possible d’observer dans quelle mesure cette complexité de

54 Le lecteur se référera à la revue de littérature pour l’argumentation de notre choix initial de nous distancer de cette approche.

55 C’est d’ailleurs ce dernier terme qui est utilisé dans le PER.

56 Pour rester fidèle aux auteurs, nous entendons le contenu comme tout élément faisant référence aux objets de savoir disciplinaires.

l’apprentissage perdure, des objectifs jusqu’au processus de notation.

Au cœur du déploiement conceptuel de la pratique évaluative prise dans l’alignement curriculaire élargi, il est dès lors important que les apprentissages et les objectifs qui s’y réfèrent soient évalués au travers de tâches significatives, en rapport avec les contenus et niveaux de complexité formulés. Conjointement, les tâches évaluatives doivent évaluer ce qui est formulé.

Ce double mouvement est important à conceptualiser, car des travaux ont montré que c’est la nature de l’objectif d’apprentissage qui devrait déterminer la nature et le contenu des tâches évaluatives (e. g., Brookhart, 2011 ; McMillan & Nash, 2000). Ce qui nous amène à préciser ce que sont pour nous des tâches évaluatives.