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L’évolution de Global Voices n’a pas été libre de controverses ni de conséquences. Pour certains, le travail de la « communauté », devenu plus exigeant et plus « journalistique » a été la preuve d’un changement qui éloignait Global Voices de ses objectifs d’origine. Les engagements se trouvent ébranlés aujourd’hui avec les changements qui peu à peu font de Global Voices une « organisation » plus qu’une « communauté ». Autrement dit, le caractère qui donnait une priorité au travail en équipe et à la création des liens d’amitié semble être eclipsée par un intérêt plus concentré dans l’influence que Global Voices pourrait avoir dans le milieu de la participation citoyenne et des droits humains. Global Voices semble subir une transformation qui a été aussi vécue par d’autres communautés ou projets de médias citoyens qui se sont transformés en organisations, sites web collectifs, ou qui ont adopté des plate-formes plus dépendantes des réseaux sociaux. De la même manière, les médias traditionnels prennent en compte plus que jamais les opinions et les échanges sur le Web. En conséquence, une organisation comme Global Voices est contrainte de changer pour pouvoir continuer à vivre.

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Par ailleurs, les problèmes de financement sont aussi un élément important de cette transformation. La nécessité de créer du contenu plus compétitif pour avoir accès à plus de financement s’est traduit dans des changements que les membres de la « communauté » semblent ne pas vouloir accepter. Je me suis trouvée moi-même au milieu de beaucoup de désaccords assez profonds sur ce qu'était Global Voices. Pourtant, il est important de rappeler que le contenu de Global Voices et l’influence qu’il a gagnée depuis sa naissance ont été le fruit du travail de bénévoles, qui ne sont pas tous de journalistes professionnels et qui écrivent sur des sujets qui les passionnent et sur des causes auxquelles ils croient fortement.

Global Voices fait partie des nombreuses « communautés » et organisations de médias contraintes de se réinventer pour continuer à avoir une place sur le Web et pour éviter leur disparition. L’influence des médias est également importante. Global Voices a été placé dans l’obligation d’adhérer aux usages des journalistes employés par les grands médias, comme beaucoup d’autres organisations similaires, souvent à un coût élevé en termes de participation des bénévoles et de travail de son équipe. Le modèle de Web qui avait suscité beaucoup d’enthousiasme lors des débuts risque d’être remis en question : l’idée que les personnes travaillent gratuitement et partagent leurs résultats tant que cela sert une cause.

De toutes façon, pour ses membres et ses adeptes, Global Voices continue d’être un point de référence pour accéder à des informations issues de groupes qui utilisent les outils d’Internet pour participer à la vie politique et sociale de leur environnement. Le site est toujours une référence pour trouver des pages du Web décrivant des endroits que leurs auteurs estiment méconnus, ou des personnes qui, selon ces mêmes auteurs, mériteraient d’être mieux connues, tout particulièrement au-delà de leur région.

L’avenir de Global Voices et de ses équipes de travail reste incertain. Pour beaucoup de membres, le fait d’avoir atteint dix ans de travail est un accomplissement en soi. En ce qui concerne ma propre expérience avec la « communauté », c’est en tant qu’éditrice que j’ai pu voir de plus près ces changements et les contraintes qui en ont résulté.

Il est vrai que les envies de faire de Global Voices un média ont rapproché le produit du travail de la « communauté » plus proche du monde des actulités. Pourtant, un accord important dans la production de contenus du site est de toujours privilégier la dimension « humaine » des informations (c’est-à-dire, les témoignages ou les histoires individuelles). Cela se traduisait par la recherche et l’utilisation de témoignages partagés sur des blogs,

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d’opinions exprimées sur Twitter et d’articles publiés par des médias indépendants ou locaux. Assez souvent, les auteurs d’Amérique latine proposaient d’écrire sur des médias indépendants créés par des communautés indigènes qui cherchaient à raconter leurs propres histoires et diffuser leurs points de vue à l’aide du Web 2.0.

Quelques exemples sur lesquels j’ai travaillé en tant qu’éditrice de l’Amérique Latine : l’un des mouvements les plus importants de médias indépendants et indigènes venait du Mexique. Beaucoup de ces groupes et communautés revendiquaient leurs cultures indigènes et racontaient comment elles devaient affronter différents types d’exclusion. Parallèlement, le problème de la propriété des terres, ainsi que la présence de groupes criminels les enfermaient dans des espaces d’une grande vulnérabilité. De la même manière, d’autres groupes cherchaient à explorer le problème de l’identité et de l’appartenance en Colombie et au Paraguay. Les jeunes des zones urbaines en Bolivie cherchaient aussi à montrer une partie de leur réalité. Les mouvements féministes, de défense des droits humains et de défense de la sécurité et de la vie privée en ligne se montraient très actifs et énergiques au Venezuela, en Uruguay et au Paraguay. D’autres espaces en Argentine se consacraient à préserver la mémoire des événements liés à la dictature au moyen de blogs qui collectaient des photos de personnes victimes de disparition forcée.

Ces exemples m’ont permis de faire de véritables découvertes à propos de mon propre pays, le Venezuela, non seulement à travers sa crise sociale, économique et politique, mais aussi à travers des personnes qui participaient activement dans les débats au centre de la société, débats dont je n’avais pas conscience quand j’y habitais.

C’était également grâce aux espaces en ligne que des mouvements pacifistes, féministes, de défense des droits des communautés LGBTQ se sont fait connaître et se sont connectés avec d’autres mouvements similaires dans la région.

Il reste à voir comment les changements de tonalité dans le contenu et les transformations de l’organisation, ainsi que les isolements entre les équipes de base et les équipes régionales seront intégrés pour continuer le travail. De la même manière, force est de constater qu’après dix ans, les équipes ne sont plus les mêmes, tout comme le Web qui a évolué. Une nouvelle génération s’exprime dans la « communauté » tout comme de nouvelles générations d’outils de communication se présentent avec différents types de contenu. Au fur et à mesure que Global Voices privilégie ses objectifs en tant qu’organisation au profit de ses objectifs en tant que « communauté », les dynamiques

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internes peuvent créent des hiérarchies qui risquent de reproduire les mêmes limitations que l'on peut observer dans les médias traditionnels.

Le risque est donc, que tout comme dans les ambiances des médias internationaux, les équipes qui dominent les discussions sur Global Voices déterminent, elles aussi, quelles sont les histoires que la « communauté » devrait raconter, comment elles devront être narrées, le moment où elles devront être diffusées, combien on devra en raconter. L’ambiance des médias est exigeante et, en cette période de bataille au sein du monde des communications, ce ne sont pas les médias citoyens qui ont le dessus. Le pendule changera sûrement de côté à un moment ou un autre, mais force est de constater qu’un des défis de Global Voices en tant que « communauté » est de protéger un espace que la majorité de ses membres sentent comme inclusif et où toutes les voix seraient valides.