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Les missions les valeurs et les identités de Global Voices

Chapitre VIII : Une « communauté » et une organisation

2. Les missions les valeurs et les identités de Global Voices

L'identité de Global Voices est un sujet toujours présent dans les discussions internes de la communauté et à l’occasion de rencontres formelles et informelles. Durant ses plus de 10 ans d'existence, le projet est devenu à la fois un site d'information, un agrégateur de contenus d’intérêt, une organisation de médias et une organisation de traducteurs. Pourtant, la définition qui est évoquée le plus dans les billets du blog interne, ainsi que dans les discussions des membres de Global Voices est celle de « communauté ».

Dans le travail de Global Voices, un autre concept évoqué est celui de « représentation ». Notamment la représentation de régions et de groupes dans les médias d’Internet et les médias internationaux. Une des missions de Global Voices est celle de questionner les images que les médias traditionnels renvoient de certains groupes et d’inviter les lecteurs à faire attention à d'autres façons possibles de les voir. D'après les discussions et les présentations faites et animées par des membres de la communauté, Global Voices cherche à donner une image plus complexe des régions et des groupes de personnes à l’aide des médias citoyens.

D’après David Sasaki, un des premiers auteurs et éditeurs, la « philosophie » de Global Voices est celle qui attire l’attention sur des groupes qui racontent leurs propres histoires, plutôt que de parler au nom d’eux-mêmes. Il s’agit d’élargir la portée des blogosphères qui pourraient être « isolées » à cause de la langue, de la thématique ou de la région où elles se trouvent. De la même manière, Global Voices veut offrir de nouveaux éclairages sur des lieux, des événements et des personnes peu couverts par les médias traditionnels. Les objectifs de Global Voices sont présentés dans une partie de leur manifeste, qui aide à comprendre les valeurs qui sont au centre du travail des membres :

Grâce aux progrès techniques, les libertés de pensée, d'expression et de communication ne sont plus entre les seules mains de ceux qui possèdent les moyens d’édition et de distribution; ces libertés ne peuvent plus être indûment restreintes par les gouvernements. Désormais,

105 chacun peut bénéficier de la liberté accordée autrefois à la seule presse. Chacun peut parler

directement au monde.

Nous voulons construire des ponts qui relient les hommes au-delà des fossés culturels et linguistiques qui les séparent, afin que chacun puisse mieux connaître l’autre. Nous voulons travailler ensemble plus efficacement et agir avec plus de force.

Extrait du « manifeste » de Global Voices. Écrit en 201222

La plupart des membres de Global Voices non seulement partagent les valeurs et la mission de la « communauté », mais ils cherchent aussi à présenter leurs régions et les blogosphères écrites dans leurs langues plus présentes sur le Web. Mohamed El Gohary, traducteur et chef de l’équipe de traducteurs témoigne dans un billet sur le site du « Blog de la communauté » sur certaines de ses motivations pour travailler avec Global Voices. Son billet, intitulé « pourquoi je traduit pour Global Voices » est un exemple des motivations liées au désir de voir une langue ou un contenu plus présente dans les médias du Web :

J’ai rejoint GV en tant que traducteur, donc Lingua est le premier département de GV auquel j’ai eu affaire. Je les ai rejoints principalement car à l’époque, en 2009, les contenus en langue arabe ne représentaient que 1% de l’ensemble d’Internet, bien qu’il ait dans le monde au moins 300 millions d’habitants dont la langue maternelle est l’arabe. Je voulais incarner une raison de multiplier les contenus en arabe sur le web et je crois que j’y parviens, directement et indirectement.

Extrait d’un billet du « Blog de la communauté » écrit par Mohamed El Gohary, 2014 23

Pour Lokman Tsui (2010)24, Global Voices est un cas exemplaire dans ce qu'il appelle le « journalisme d’hospitalité »25. Il s’agit d’une culture cosmopolite où la pratique de l’écoute est essentielle. Pour cette communauté, les voix de ceux qui ne sont pas représentés dans les espaces médiatiques sont au cœur du travail. Dans cet esprit, les membres insistent dans la validité de chacune des voix, non seulement celles qui sont au centre des articles de Global Voices, mais aussi celles de ses membres. Cet esprit de bienveillance, selon l'auteur, est une des points les plus importants de l'interaction dans la communauté et le point central du type de représentation qu'elle suscite :

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Version en français : https://fr.globalvoices.org/manifeste/ Version originale disponible dans les annexes (Volume II, page 65)

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I joined GV as a translator, so Lingua was the first GV department I came across. I primarily joined because back then, in 2009, Arabic content was only 1% of all the Internet, although there are at least 300 million Arabic native speaker. I wanted to be a reason to increase Arabic content on the web and I think I'm succeeding in that directly and indirectly.

Ecrit en anglais et disponible sur https://community.globalvoices.org/2014/12/why-do-i-translate-for-gv/ 24

Le travail de Tsui cherchait à refléter les nouveaux styles de journalisme, la mienne a comme but une étude monographique de Global Voices et une approche ethnographique des expériences des membres pour essayer de comprendre en quoi la participation des membres de Global Voices peut-elle être formateurs. Pour rappel, j’essaye de mettre en épreuve l’hypothèse que ces apprentissages peuvent être liés à l’interculturel.

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Le travail de Tsui comprend l’hospitalité comme l'obligation morale d'entendre la voix de l’inconnu d’après les idées de Roger Silverstone (2007) qui, selon Tsui, a importé les idées de l’hospitalité dans les études sur les espaces médiatiques.

106 Des dizaines de millions de blogs, de photos et vidéos, de podcasts sont publiés sur le Web

dans le monde. Comment savoir quels sont les blogueurs ou les podcasteurs les plus influents, respectés, et crédibles, dans un pays donné, dès qu’il ne s’agit pas du nôtre ? (...) Nous souhaitons : Attirer l’attention sur les conversations en ligne les plus intéressantes, sur les nouvelles perspectives qui émergent grâce à Internet dans le monde entier, en indiquant les liens vers des textes, photos, podcasts, vidéos et autre formes d’expression des individus sur Internet, dans le monde entier.

Extrait du texte de la page « à propos » de Global Voices, 2007

Global Voices s'est présentée dès ses débuts comme une alternative aux médias traditionnels internationaux. Ses membres défendent la mission d'amplification d'images et de représentations. Le but est aussi de complexifier les visions sur un événement et de proposer des images alternatives de pays ou de régions qui sont souvent visibles qu’à travers des conflits. Pourtant, le travail de Global Voices n’est pas opposé de celui des médias traditionnels. En effet, les médias internationaux sont un des points de départ du travail de l’organisation et parfois, des alliés.

Des travaux en collaboration avec Reuters, BBC, Rue 89, et d'autres médias ont eu pour résultats des couvertures médiatiques prenant en compte des témoignages venant de blogueurs de plusieurs régions. Ceci dit, le travail de Global Voices n'ignore pas les médias ou les informations qui prennent la une des médias plus puissants. Parallèlement au travail de représentation de groupes rarement présents sur les écrans des télévisions internationales, Global Voices cherche à être complémentaire dans des informations très présentes dans les médias26.

L’intérêt est, également, celui de partager des histoires qui sont, la plupart du temps, racontées de façon spontanée. Même quand un blogueur raconte quelques détails qui, en apparence, ont peu d’importance, le contenu et les informations sont, d’après l’esprit de travail de l’organisation, plus convaincants et plus révélateurs. Jillian York27, une des plus anciennes auteurs bénévoles, signale que l’aspect le plus intéressant chez Global Voices est le travail sur des narrations en première personne. Les gens racontent leurs histoires personnelles sur des espaces numériques publics qui servent de sources pour le travail des

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Il y a une préférence dans le contenu de Global Voices pour les histoires venant des régions moins représentés, ce qui fait que les informations des régions comme l’Amérique du Nord et l’Europe Occidentale soient mises de côté dans les priorités éditoriales. Pourtant, les informations de ces pays ne sont pas complètement absentes du site de Global Voices. Les bénévoles ont consacré du travail et de l’espace à des articles concernant les attentats à Paris de novembre 2015, et les élections présidentielles aux États Unis, par exemple.

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Témoignage recueilli lors d’un interview avec Michele Richinick le 21 avril 2011. URL: https://www.youtube.com/watch?v=VQNJZptn9B0

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auteurs. Ces espaces revêtent en même temps, plusieurs formes (billets publiés sur des blogs, Twitter, Facebook, vidéos sur YouTube, etc...) qui constituent, en combinaison, la base d’un billet intéressant et complet, d’après la vision des membres la communauté. L’élément de fond se compose de contenus partagés qui sont des histoires ou des témoignages, le plus souvent, de personnes qui connaissent très bien la région, ou la thématique sur laquelle ils écrivent, et qui pourraient donner un avis beaucoup plus profond qu’un journaliste venant de l’étranger.

Ethan Zuckerman souligne la reconnaissance par d’autres médias plus traditionnels de l’utilité et l’importance de Global Voices pendant les moments de crise et les conflits dans la scène politique globale, surtout à une époque où les chaines dépensent de moins en moins d’argent pour la couverture internationale. Les médias sociaux ne se substitueront pas aux chaines télévisées ou à la presse, mais ils restent une façon d’observer les événements dans des parties du monde sur lesquelles les médias n’attirent pas assez l’attention. (Zuckerman, 2011).

La mission de Global Voices est aussi liée à la vision que la « communauté » a d’elle même. Parmi les discussions autour de l'identité de Global Voices et les bases de son travail, celle sur le discours et le style sont très importante. Global Voices est bien un groupe créé dans un esprit journalistique, mais ce n'est pas un journal au sens traditionnel. Ainsi, des valeurs journalistiques d'objectivité sont souvent évoquées dans les discussions, mais la base du contenu vient du travail d'auteurs bénévoles qui explorent les informations et les discussions dans les médias d'Internet. Pendant une rencontre en Allemagne, certains membres de Global Voices ont conclu que Global Voices était finalement « une communauté de blogueurs qui raconte des histoires » avec le Web 2.0 comme source principale28.

Pour les membres de Global Voices, raconter ce qui se passe dans leurs pays ou régions est une des motivations les plus évoquées. Un exemple de ces motivations peut être lu dans le témoignage d’une des auteurs d’Uganda (qu’il partage sur le « Blog de la communauté »). Elle raconte comment elle refusait d’arrêter son travail avec Global Voices même si cela comportait des risques :

A cette époque où les portes de Global Voices se sont ouvertes pour moi, je n’avais pas de job et tous mes amis se demandait pourquoi diable j’acceptais du travail sans attendre en retour aucun salaire- je

27 Ceci a été un des points de discussion lors d’une conférence faite en 2015 dont j’ai fait partie moi même. Cette conférence a été présenté dans une manifestation européenne sur les aspects sociaux d’Internet (Re:publica) Finding the World Through Global Voices: https://re-publica.de/session/finding-world-through-global-voices

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leur ai dit que j’allais faire ce que j’aimais- Tout ne se ramenait pas à l’argent et que c’était une chance de raconter les histoires se déroulant en Ouganda.

D’autres préoccupations furent formulées par mon père qui avait connu le régime répressif du dictateur ougandais Idi Amin Dada (de 1971 à 1979). Il m’a dit: « J’espère que ce que tu fais n’est pas politique. Je ne veux pas que tu te retrouves dans les ennuis. Tu sais, quand un gouvernement veut rester au pouvoir, il devient répressif, il a peur de son ombre. »

Je pris ses paroles au sérieux mais je n’avais aucune intention de faire machine arrière.

Extrait d’un billet du « blog de la communauté » écrit par Prudence Nyamishana en 2014.29

Les membres de Global Voices témoignent aussi d’autres motivations concernant les échanges avec d’autres cultures à travers les histoires racontées par les blogosphères de pays autres que le sien et à travers le contact avec d’autres membres de la communauté. L’exemple suivant vient d’un un autre extrait du témoignage du traducteur Mohamed El Gohary :

Je traduis encore aujourd’hui pour connaître des endroits où je ne suis jamais allé, pour découvrir des cultures que je n’ai jamais rencontrées, pour apprendre des choses sur des trésors intellectuels que je ne rencontrerais jamais dans mes lectures de livres ordinaires ou de médias traditionnels.

GV m’a apporté beaucoup de choses. Par exemple, m’entendre avec des gens venus du monde entier. Faire la connaissance d’amis au sein de la communauté Global Voices, issus de milieux divers mais en même temps unis dans une même sensibilité relative au système de valeurs de base. Global Voices m’a offert l’opportunité, directe et indirecte, de visiter plus de 20 pays au cours des 5 dernières années GV satisfait le besoin de se sentir connecté à un mouvement qui fait du bien à un grand nombre de gens et le besoin de donner une part d’influence, aussi petite qu’elle paraissait à l’époque où j’ai commencé à traduire.

Extrait d’un billet du « blog de la communauté » écrit par Mohamed El Gohary, 201430

Un autre élément d’intérêt pour les membres de Global Voices semble être les histoires personnelles et les témoignages, comme il est lu dans un autre extrait du billet de El Gohary dans le « blog de la communauté ». Dans son texte, le traducteur met en avance l’importance d’une vision plus détaillée et plus proche des protagonistes des conflits relatés dans les médias de masse. Ceci permet d’appréhender les indices qui ont suggéré et l’importance des histoires racontées par les médias citoyens pour s’ouvrir sur des horizons

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At that time when Global Voices door opened for me, I didn't have a job and all my friends were wondering why in the world I was taking on work and not expect any payment- I told them that I was going to do what I loved- It was not all about the money and that it was an opportunity to tell Uganda's stories

More worries came from my father that had experienced the rough times of the Ugandan Dictator Idi Amin‘s repressive regime (1971-1979) He said:»I hope what you are doing is not political. I do not want you landing in trouble. You know when a government wants to stay in power they become repressive, they are scared of their own shadows.»

I took his words to heart but I was not planning to retreat.

Ecrit en anglais et disponible sur: https://community.globalvoices.org/2014/10/gv-sharing-home-stories-with-the-world/

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I continue translating to know about places I never been, check out cultures I never experienced, learn about intellectual treasures I would never read about in an ordinary book or an ordinary news piece.

GV gave me a lot of things. To get along with people from all over the world. Getting to know friends in the Global Voices community from many backgrounds and in the same time like minded in the basic set of values. Global Voices gave me the opportunity, directly and indirectly, to go more than 20 countries in the last 5 years.

GV satisfies the feeling to be connected to a movement that is doing some good to a large group people, and to give some influence even if it sounded small at the time of contributing.

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culturels divers. Le traducteur évoque l’opportunité de voir de près la vie et les sentiments de personnes loin de lui même comme une motivation pour travailler avec la communauté:

Ma première traduction était au sujet de Gaza. Pour moi, avant Global Voices, la Palestine était seulement quelque chose que je rencontrais dans les médias traditionnels, et on n’est jamais amené à apprendre les détails sur les conflits dans ces médias. Ils ne sont réduits qu’à des chiffres. A travers Global Voices, j’ai appris que chaque conflit impliquait une mer de gens, chacun ayant leur propre vie, leurs souvenirs, leurs joies et leurs peines et qu’on on ne peut probablement pas savoir ce qu’ils ressentent […] Quand j’ai rejoint Global Voices, j’ai découvert quelque chose que les Égyptiens ont en commun avec nos camarades les américains (pour la plupart): Nous ignorons tout du reste du monde. Même parmi les intellectuels, il est difficile de trouver quelqu’un qui suive les affaires soudanaises, syriennes ou mauritaniennes. Des stéréotypes sur les états du Golfe et leur pétrole nous empêchent de créer du réseau avec des activistes là-bas.

Extrait d’un billet du « Blog de la communauté » écrit par Mohamed El Gohary, 201431

D’autres témoignages montrent comment le fait d’acquérir des savoirs divers et le fait de partager avec d’autres membres, passionnés eux aussi par la liberté d’expression et le travail d’équipe, sont aussi une motivation pour continuer. Les deux témoignages suivants rendent compte des opportunités d’apprentissage à partir du travail et des échanges avec d’autres membres de la « communauté » :

La Syrie est aussi une des raisons pour lesquelles je suis entrée en contact avec Global Voices...pour faire entendre des voix qui ne sont pas entendues, pour défendre la liberté d’expression et combattre la censure. J’ai rencontré tellement de gens dévoués et courageux, des gens qui contribuent à la participation citoyenne et à une société ouverte. Je remarque maintenant bien plus les voix de ceux que l’on entend pas et je suis devenu plus sensible aux voix absentes du bruit des médias généralistes.32

Extrait d’un billet du « Blog de la communauté » écrit par Anne Hemeda, 2014

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My first translation was about Gaza. Palestine to me before Global Voices was something I only read about in

mainstream media, and you will never to get to know details about conflicts from mainstream media. They are only shortened to numbers. Through Global Voices I learned how that every conflict have a sea of people, everyone have their own life, memories, happiness and pain, and you may or may not be able to know how they felt… 

…when I joined Global Voices, I discovered something among Egyptians that we share with our fellow Americans (on average): We don't know anything about the rest of the world. Even among intellectuals, it is hard to know someone who follow Sudanese affairs, Syria, or Mauritania. Stereotypes about the Gulf and their petrol preventing us from networking with activists there.

Originalement écrit en anglais. URL : https://community.globalvoices.org/2014/12/why-do-i-translate-for-gv/ 32

Syria is also one of the reasons why I made contact with Global Voices…. to advocate for voices unheard, to defend freedom of expression and fight censorship. I met so many courageous and dedicated people who contribute to citizen participation and an inclusive society. I now notice far more the voices of the ones unheard and became more sensitive to the missing voices within mainstream media noise.