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Des technologies qui créent autant de liens que de séparations

S’il est certain que l'utilisation des nouvelles technologies a bouleversé notre façon de communiquer, il est aussi vrai qu’elles ont montré un nouvel angle sur des questions qu'on se posait déjà, relatives à la lecture et l’interprétation des médias. On pourrait même dire que les technologies d'Internet et leur façon de changer nos processus de lecture, d'écriture, de communication et aussi d'apprentissage ne constituent pas, en elles-mêmes, les éléments déclencheurs de cette « révolution » dans les communications. Lorsque l'on considère l'enseignement et la technologie on y trouve des sites Web, des milieux collaboratifs, des blogs, des encyclopédies faites par les gens, et même des mouvements de journalisme citoyen ou des médias sociaux. Mais l’efficience des technologies est dépendante de la connaissance qu'en ont les usagers.

Les réseaux du Web, tout comme ceux qui caractérisent les mouvements économiques de la globalisation, relient certains groupes et isolent beaucoup d’autres. Dans la plupart des cas, les ressources du Web ne sont disponibles que pour ceux qui en ont les moyens, économiques ou éducatifs.

Ces enjeux d'accès ont aussi leur importance dans la compréhension des déséquilibres dans l’accès aux technologies et aux contenus du Web. Des restrictions d'ordre politique, comme celles qui ont lieu dans les pays qui censurent certains contenus sur Internet, limitent aussi l'accès aux informations. Ainsi, les usagers qui ont plus d’avantages quant à l’accès aux outils technologiques du Web, surtout grâce à des avantages économiques et politiques, ont un poids plus important dans le flux des contenus et jouent un rôle important sur l’attention qu’un événement pourrait recevoir.7

L’expansion du Web présente aussi des enjeux autour de ce qu'il est possible de partager, et ce qui devrait être contrôlé. La censure gouvernementale, par exemple, peut changer radicalement l’utilisation du Web d’un pays à l’autre. De plus, les accusations de

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En 2009, pendant la crise politique des élections iraniennes. le réseau Twitter était un des rares médias à montrer les violences policières lors des manifestations dans les rues de Téhéran. Les révoltes qui ont émergé de ces protestations, appelées peu après la « révolution verte », dominaient l’attention internationale sur ce réseau social. Les usagers de Twitter partout dans le monde pouvaient voir les manifestations en temps réel à travers des images et des vidéos prises par des téléphones mobiles. Néanmoins, la mort du célèbre chanteur Nord-Américain Michael Jackson, qui a eu lieu pendant les jours des protestations en Iran, a détourné soudainement et radicalement le centre d’attention des réseaux. Pour Rothkopf, du journal Foreign Policy « Michael Jackson a répondu aux prières de l’Ayatollah ». URL: http://foreignpolicy.com/2009/06/29/how-michael-jackson-answered-the-ayatollahs-prayers/

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surveillance gouvernementale à travers les technologies du Web complique l’utilisation libre de ces technologies. Dans le même temps, des technologies sont aussi développées pour surmonter la censure et éviter la surveillance.

Mais les limitations issues des pouvoirs gouvernementaux ne sont pas les seuls à restreindre l’accès à des contenus divers sur Internet. Les luttes pour des revendications sociales se voient en parallèle et même en compétition avec un grand mouvement qui se caractérise par le culte de soi, le rejet de ce qui menace les valeurs ou les perceptions propres et même des pugilats virtuels qui mettent en évidence les incapacités à débattre. Pour Ethan Zuckerman, un des membres fondateurs de Global Voices, nous avons une idée des possibilités du Web qui n’est pas tout à fait liée à la réalité (Zuckerman, 2010). Il y a des échanges qui sont en théorie librement accessibles pour tout le monde, mais ils demeurent distants et difficiles d’accès dans la réalité. Toujours selon Zuckerman, les usagers en général ne cherchent jamais des informations sur des pays qu’ils ne connaissent pas. Les plate-formes peuvent être ouvertes, mais elles peuvent aussi isoler leurs usagers dans leurs discussions, leurs langues ou leurs cultures.

L’argument de Zuckerman est lié à un phénomène très présent dans les médias d’Internet : « l’homophilie ». Ce phénomène fait que les personnes qui participent dans les réseaux du Web ne restent connectées qu'à ceux qui leur ressemblent (McPherson, Smith- Lovin et M Cook, 2001). De cette façon, les informations, qui circulent dans les réseaux, circulent à travers des canaux faits par des personnes qui ressemblent les unes aux autres. Par conséquent, les préjugés, l'intolérance et le sectarisme sont aussi assez présents dans les réseaux d’Internet et reproduisent les divisions sociales qui existent dans le monde physique.

Le Web est divisé donc par usages, générations, intérêts, lois et langues. Ce qui se partage d’un côté du Web peut être invisible pour le reste qui ne parle pas la même langue. 400 millions de participants chinois sur le Web ne peuvent avoir aucun impact sur les espaces Web qui ne parlent que l'anglais, par exemple. C'est pourquoi Zuckerman souligne l'importance de personnes-ressources qui puissent faire des ponts de langue et aussi de contenu. Ces personnes existent sous la forme de groupes de traduction bénévoles, ou bien de « bridgebloggers » (bloggeurs qui servent de pont entre langues et régions) qui partagent des contenus locaux dans différentes langues, avec des contextes qui puissent aider à faire comprendre aux lecteurs étrangers les circonstances qui entourent l'information partagée

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(Zuckerman, 2008). Un grand nombre des membres de Global Voices se servent eux- mêmes des « bridgebloggers » pour écrire leurs « posts » ou ils peuvent eux-mêmes être considérés comme « bridgebloggers ».

Ces personnes ont été décrites par Zuckerman à partir des blogs de guerre, en particulier celui du bloggeur « Salam Pax », qui a écrit des récits personnels sur l’invasion américaine en Irak qu'il était « impossible de trouver dans les médias traditionnels ». En tant que « bridgeblogger », Zuckerman signale que le blog de « Salam Pax » a réussi à introduire ses lecteurs à des perspectives en dehors de leur réalité ordinaire, ainsi qu’à faire sortir son message au-delà de la blogosphère irakienne, tout en ayant une influence sur les médias traditionnels qui suivaient les événements en Iraq. Cet exemple illustre comment les outils du Web 2.0 peuvent offrir des contenus où sont imbriqués informations d'actualité et témoignages personnels offrant ainsi un éclairage sur des évènements presque absents du radar des médias traditionnels.

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