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1. Une recherche qualitative et une monographie impliquée

Mon appartenance et ma participation à Global Voices a permis un accès privilégié aux archives de la « communauté » et une communication proche et abondante avec beaucoup de ses membres. J'ai pu ainsi naviguer dans la vie de cette communauté et observer de très près certaines parties importantes de son fonctionnement et de son évolution. C'est aussi grâce à la connaissance des langues les plus utilisées par les membres de Global Voices, ainsi qu'aux différents rôles que j'ai tenus pendant les dernières années, que j'ai pu repérer des points d'observation importants et avoir des échanges significatifs avec certains des membres.

Compte tenu de la complexité du terrain et des phénomènes d’apprentissage dans la rencontre entre cultures, la recherche qualitative a été jugée comme la plus pertinente. Le but est de comprendre les subtilités et les subjectivités présentes dans ces processus, et dans le même temps, proposer une vision différente du phénomène. Les questions d’apprentissages sur d’autres cultures sont étudiées dans sa vaste majorité à partir des approches quantitatives. Mon intention n’est pas de mettre de côté les contributions qui cherchent à décrire ces phénomènes avec précision, mais de contribuer à une vision sur certains éléments qui pourraient échappent à la description quantitative.

Le but de la démarche est aussi d’observer certains aspects de la rencontre entre les cultures à travers l’utilisation du Web. La méthodologie choisie, une démarche monographique, cherche à avoir la possibilité d'interroger les membres de Global Voices comme une ressource pour la compréhension de leurs expériences du quotidien dans le Web. Vu que les acteurs qui ont participé á cette recherche sont très engagés avec Global Voices et ses dynamiques en tant que « communauté », leur participation et leur utilisation quotidienne du Web sont étroitement liées à la vie de l'organisation. L'étude de Global Voices et de son fonctionnement, ainsi que de l'expérience de certains de ses acteurs, est donc le reflet des évolutions dans les usages du Web, et une opportunité pour observer de près ce qui semble être le fil conducteur de plusieurs pratiques en ligne.

J’ai été guidée par les idées de Lignier et de Bajard qui ont étudié la ligne qui sépare les enquêteurs des enquêtés, ainsi que le rôle de l’implication du chercheur dans son terrain

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de travail (Lignier, 2013 ; Bajard, 2013). La démarche de terrain de ma recherche illustre les idées des auteurs : mon implication s'est s’avérée utile pour dépasser la simple acquisition des compétences des acteurs de Global Voices, ou juste partager les mêmes espaces de la « communauté ». Mon but est de comprendre véritablement pourquoi les personnes de Global Voices font ce qu'elles font et comment cela n’aurait pas été facilement acquis sans une participation engagée pendant une période de temps considérable. Ceci éviterait de répéter tout simplement les connaissances des groupes dans l’étude, et permettrait plutôt d’élargir la compréhension des vécus des acteurs, et des nuances cachées dans les non-dits. Dans une organisation qui fonctionne virtuellement presque dans sa totalité, avoir la confiance des membres et faire attention aux possibles nuances et aux silences est très important.

De la même manière l'approche monographique permet de faire une étude approfondie d'un groupe dans son contexte et à travers l'interaction directe du chercheur avec le terrain. Les analyses sont faites à partir de comparaisons entre les informations données par les participants à l'enquête et des documents provenant du groupe même. Cette démarche permet également d’avoir une vision comparative entre les structures du groupe (avec ses règles et ses conventions) et les pratiques de tous les jours. Cette approche offre aussi la possibilité de comprendre les dynamiques d'un groupe dans son contexte et à partir des systèmes de symboles qui lui sont propres.

Ce travail de recherche constitue donc une étude monographique sur Global Voices dans le but de comprendre et explorer les pratiques de la communauté et les possibles effets du point de vue de l'apprentissage.

Une partie importante de mon travail d'analyse a donc demandé une distanciation vis-à-vis de la « communauté » pour laisser de la place aux regards sociologiques et anthropologiques. Pourtant, il a été très important de travailler sur cette distance pour éviter qu’elle ne soit pas trop rigide. Il est essentiel de bien connaître un terrain comme Global Voices pour avoir accès aux informations et comprendre les différentes formes sous lesquelles ces informations peuvent se manifester. Cette proximité s'est avérée très utile également pendant les entretiens et les échanges. Les acteurs ont évoqué, presque à tout moment, des références internes ou des exemples renvoyant à d'autres membres et d'autres échanges à l'intérieur de Global Voices. Et finalement, comme il l'a été déjà mentionné, cette appartenance a aussi permis un accès ample et privilégié aux archives de la

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« communauté » et une communication complice et abondante avec beaucoup de ses membres.10

2. L’approche ethnographique

Dans ces origines, la pratique ethnographique a longtemps reposé sur l'importance de comprendre les cultures « tribales » de l’intérieur et s'occupait particulièrement de populations que les chercheurs de l'époque considéraient comme isolées, ou dont l’évolution se serait arrêtée à une étape de leur histoire. Ainsi, l'ethnographie est souvent associée à l'étude des sociétés « exotiques », fondées sur des traditions orales ou des modes de communication étrangers à l'Occident, qui considérait ces sociétés comme plus « simples » ou « traditionnelles ». Aujourd'hui, pourtant, une anthropologie « du proche » rapproche ces démarches de travaux ethnographiques de groupes qui ressemblent, en apparence, aux chercheurs qui les entreprennent (Gardou, 2012).

Cette idée soulève, en même temps, la question des études ethnographiques de communautés virtuelles. Vingt ans après l'apparition d'Internet et quinze ans après celle du Web 2.0, les espaces du Web ne semblent plus être un contexte nouveau méritant des méthodologies spécifiques. En utilisant des approches ethnographiques, Pastinelli, qui a longtemps travaillé avec des réseaux virtuels consacrés à l'art décoratif de la broderie, défend l’idée de ne pas placer les terrains virtuels comme très différents d’autres terrains étudiés avec des démarches ethnographiques (Pastinelli, 2011).

Pastinelli soutient que ce ne sont pas les contextes technologiques qui nécessitent une méthode spécialement développée pour eux. Ce qui doit se développer, d’après l’auteur, c’est plutôt la manière de voir ces contextes. Ainsi, Pastinelli souligne qu’une bonne partie des chercheurs qui s'intéressent au monde technologique cherchent à en réduire la vision, et les abordent comme un espace monolithique, qui serait radicalement différent de la vie quotidienne. Néanmoins, les objets d’étude qui se trouvent au sein des mondes numériques peuvent être hautement divers et contenir des complexités profondes et particulières.

Cette recherche ne défend pas l'idée d'ignorer les particularités dans l'observation des espaces du Web, mais, comme vu dans les chapitres précédents, elle est plus encline à traiter ces terrains comme appartenant à la vie quotidienne. C’est pourquoi, l’étude approfondie d'une « communauté » comme Global Voices pourrait porter un regard sur les potentiels

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La distanciation pendant la recherche sera un point développé ultérieurement avec la présentation du récit autobiographique qui constitue une partie des résultats.

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d’apprentissages sur d’autres cultures, apprentissages qui pourraient avoir lieu dans des espaces qui font partie de la vie de tous les jours.

Quoi qu’il en soit, l’une des particularités des terrains du Web évoquées ci-dessus est importante à signaler. Certes, les échanges à distance et à l'aide de logiciels ont parfois rendu difficile le contact avec certains membres, mais les possibilités d'enregistrement et de suivi prennent différentes formes. Les échanges ont eu lieu avec les acteurs de Global Voices dans une multiplicité de plates-formes multimodales. Mes sources d'information et d'échange comportaient plusieurs morphologies et alternatives. Beaucoup des échanges ont eu lieu, par exemple, sur des plate-formes de messagerie instantanée : Gtalk, WhatsApp, Facebook Messenger ou des réseaux sociaux comme Twitter.

J'ai profité de différentes sources d'information, et aussi de l'enregistrement d'événements auxquels je n’étais pas présente, ou sur lesquels mes notes étaient très limitées (à cause, parfois, de mon implication sur le terrain). Comme indiqué auparavant, le fait que Global Voices soit une communauté qui croit fortement aux principes de partage et d'expérimentation se traduit dans des sources d'information abondantes et accessibles. De cette façon, j’ai pu croiser différentes sources et dissoudre d’une certaine manière les subjectivités de mon implication personnelle lors des analyses. Par exemple, les témoignages ou les échanges avec d'autres membres qui font partie d'équipes régionaux auxquelles j'appartenais ont ouvert des côtés de la vie la « communauté » qui étaient invisibles pour moi auparavant.

Il est important de signaler que ce travail a comporté aussi une observation des échanges qui ne sont pas nécessairement cités dans la figure 3, les tableaux de ressources des pages 65 et 66, mais qui sont présents dans l'entourage de la recherche et qui aident à décrire le fonctionnement complexe de Global Voices. Beaucoup de ces informations ont servi de liant ou elles ont aidé à la contextualisation des données mobilisées. Quelques exemples se trouvent dans des discussions lors des appels concernant des stratégies d’édition ou des échanges sur WhatsApp ou Messenger. Ces échanges ont aidé à comprendre certains éléments du fonctionnement de Global Voices, mais ils étaient enchevêtrés avec beaucoup d’autres sujets. Pourtant, ces échanges concordent avec certaines idées apparues dans d'autres témoignages confiés sur d'autres plates-formes qui, effectivement, font partie des ressources formellement choisies pour le travail final. Par exemple, j’ai retrouvé des

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impressions ressemblantes lors de rencontres informelles et aussi sur des espaces en ligne conçus pour l’échange des membres.

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