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L E CAS A400M : UN EXEMPLE INEDIT MAIS EDIFIANT J EAN J OANA ET A NDY S MITH

1. LA COMMANDE L’A400M : DE LA CHRONOLOGIE A SA COMPREHENSION

1.2 Le choix et la traduction en actes de «la méthode airbus»

1.2.3. Une approche commerciale du « retour industriel »

La troisième dimension de « la méthode Airbus » transposée au programme A400M concerne le calcul du partage de travail industriel (work share) qui sera affecté à chacun des Etats. Une des limites de notre étude est qu'elle intervient avant que cet enjeu se précise à travers des arbitrages concrets355. Néanmoins, un certain nombre d'observations peuvent être

formulées356.

355 Le cas particulier du choix des moteurs sera traité plus loin (2.1.3.2). Bien entendu, le retard pris dans la

comande de l'A400M n'a pas empêché les équipmentiers européens de formuler des attentes à son égard. Pour s'en convaincre, voir par exemple les articles sur l'UTC et l'A400M (Air & Cosmos, n° 1859, 4 octobre 2002) et sur Thales et l'A400M (Air & Cosmos, n° 1791, 13 avril 2001 ; n° 1865, le 15 novembre 2002). Un agent de BAe a montré son scepticisme par rapport à la volonté des gouvernements nationaux à tenir leurs engagements sur ce point : "Maybe people had thought about this at the beginning but thought you could tweak it here and

there. But the time you tweak it here and there you are into a proper military programme, exactly how you would procure anything else on the military side". Entretien, février 2003.

356 D'ailleurs, des propositions pour inventer un alternatif à un "juste retour" comptable ont également été

recherchés, avec plus ou moins de bonheur, dans d'autre secteurs de l'économie européenne. Voir, par exemple, l'histoire respective de la Politique agricole commune et de la Politique communautaire de la recherche.

Tout d'abord, il convient de souligner que selon des responsables de l'Airbus, la position est claire.

« c'est lui (Airbus) qui choisit tous ses sous-traitants, il a l'entière responsabilité de conduire le

programme et, par contre, il a une obligation de résultat : il doit fournir à des dates précises sous peine de pénalités. A l'inverse, on s'engage à commander la totalité de la commande. Donc il peut s'organiser sur un périmètre de commande dès le départ. Si l'Etat renonce à ses commandes, il paie des dédits. Le constructeur peut ainsi optimiser tout son outil de production»357.

«Le succès de l'Airbus vient de la spécialisation de ses partenaires qui sont devenus des références

mondiales dans leur domaine. Ce n'est pas comme l'Eurofighter où on a décomposé l'avion par pays, avec tout les problèmes que ça pose. On a gardé les pôles d'excellence d'Airbus, avec certains sous-ensembles confiés à des partenaires malgré tout»358.

Pour les Etats impliqués dans cette commande, l'adoption de cette méthode de travail implique des changements de méthode plus ou moins importants. Par exemple, alors que nos interviewés britanniques pensent que l'engagement à faire respecter un retour industriel globalisé n'est pas encore assez claire359, les interviewés français ont l'impression que des

modifications de pratique importante auront lieu. Désormais les acteurs britanniques s'interdisent de réfléchir en termes d'un retour industriel pointilleux360. Ailleurs aussi,

l'approche « commerciale » du retour industriel semble en train d'obliger les Etats à travailler plus finement lorsqu'ils décident de soutenir les intérêts de «leurs industriels». Sur ce point, les cadres d'Airbus ont développé une position qui, sans être inattaquable, considèrent avoir porté des fruits :

«J'ai même fait un coup de poker. J'ai dit que si les industriels refusaient de rentrer dans nos

conditions et de baisser leur prix en espérant être imposés par leur gouvernement, j'étais prêt à laisser aux Etats le choix à condition qu'ils prennent le coût à leur charge. Ca a inquiété mes actionnaires, mais la réponse a été qu'ils n'interviendraient pas. Moi, je suis incapable de rentrer dans un prix fixe pour un avion équipé si on me met des boulets en me disant qu'il faut travailler avec un tel ou un tel. Il faut être cohérent. On peut changer de cap, mais à ce moment-là il y a des conséquences pour les prix, les délais, etc»361.

357 Entretien, 15/05/02.

358 Entretien, cadre d'Airbus, 25/06/02.

359 "If Europe really wants to be equal to the US in delivering major programmes cost-effectively it has to move

away from this idea that you link a nation's industrial involvement to the orders. In the end this is not the most efficient way of running the programme. To slavishly follow the nominal work share programme is not the way we are going to deliver this competitiveness with the US. We probably regard inter-goverment negociations at least as high as any technical problems. My heart sometimes goes out to Airbus who thought they were building an aircraft but actually are handling a whole host of inter-governmental agreements". Entretien, agent du DTI

britannique, février 2003.

360 Selon un cadre d'Airbus, par exemple, «Les Britanniques ne raisonnent pas en termes d'un juste retour de

manière quantitative. Ils le font de manière qualitative. Par exemple sur la voilure et sur le moteur… Ce n'est pas en termes de pourcentages. Alors que les Allemands pensent en termes plus arithmétiques». Entretien,

En résumé, et comme en témoignent cette analyse du plan de financement, du mode de mise en compétition des constructeurs et du débat sur le retour industriel, il ne fait pas de doute que les règles du jeu gouvernant l'interface entre les Etats et le constructeur ont subi des modifications considérables par rapport aux pratiques précédentes. Cela étant, il convient de se méfier du constat de certains acteurs qui consistent à considérer que cette commande introduit une nouvelle conception du «contrat» dans la gestion des relations entre les pouvoirs publics, les militaires et les constructeurs d'armements. En dépit de quelques tentatives peu réussies362, et contrairement à une pratique américaine fortement répandue, les constructeurs

d'avions civils en Europe ont peu d'expérience de programmes militaires. Cette trajectoire historique ne fait que renforcer les incertitudes et ouvrir la porte à des influences de différents types.