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La contractualisation et le partenariat, nouveaux modes opératoires.

3. INTERETS ORGANISES ET JEUX D’INSTITUTIONS : VERS DE NOUVELLES PRATIQUES SECTORIELLES ?

3.2. L’armement terrestre victime de la réforme de la DGA ?

3.2.1. La contractualisation et le partenariat, nouveaux modes opératoires.

Nous l’avons déjà souligné, la création même de GIAT Industrie impliquait la mise en place de relations contractuelles entre le nouvel industriel sorti du giron de l’Etat et la DGA qui s’y maintenait. Mais au delà de cet aspect, la « réforme Helmer » marque une extension du principe de contractualisation et/ou de partenariat selon les cas, que l’on retrouve dans l’ensemble du système d’acteurs de l’armement terrestre et qui s’illustre autour du Char Leclerc. Si beaucoup de ses détracteurs réduisent ces principes d’actions à des fins en soi, inventées par l’industrie privée et directement plaqués sur la politique de l’armement, l’auteur de la réforme s’en défend et rappelle les objectifs auxquels sont venus répondre des changements dans les façons de faire :

« Les objectifs de la réforme étaient de faire que la DGA joue un rôle plus important dans la

définition de la politique de Défense et en même temps qu’elle remplisse mieux son rôle ».281

Cet objectif s’est traduit par une généralisation de la contractualisation d’une part et la mise en place d’une fonction prospective assise sur un partenariat avec les armées d’autre part. La contractualisation a vocation à transformer la relation avec les industriels. Au principe du maintien à tout prix d’un tissu industriel justifié par le maintien stratégique de la compétence, s’est substitué celui du juste besoin et du juste prix, permettant selon Jean-Yves Helmer de réduire les coûts de 30 % en 5 ans.

« La DGA a une exigence accrue à l’égard de ses fournisseurs. Les fournisseurs sont à l’image du

donneur d’ordres ; plus vous êtes exigeants et plus ils sont performants. On a baissé les coûts des programmes d’armement de 30% : ça a été vérifié, ce sont les chiffres, et aucun industriel n’est en faillite. Plus on est exigent, et plus les gens font des efforts : j’ai 18 ans d’automobile derrière moi : on a gagné 5% de productivité dans l’automobile chaque année. Chaque année on croit que ce ne sera pas possible, et on y arrive. J’ai voulu mettre sous tension à la fois la DGA et en même temps les industriels en organisant la concurrence. Bien sûr il y a des gens qui ont la nostalgie des temps où l’argent coulait à flot. Du reste on allait faire carrière chez l’industriel après, donc il fallait le ménager »282

La contractualisation et la mise en concurrence systématique qu’elle induit marque donc bien une rupture par rapport aux modalités qui ont régi la conception du programme Leclerc jusqu’aux années 90. La transformation des règles du jeu durant toute la phase de fabrication est dans ce sens à rapprocher des difficultés rencontrées à ce moment là par le programme.

281 Entretien avec un ancien DGA, 20/03/2003. 282 Entretien avec un ancien DGA, 20/03/2003.

Largement dénoncée par de nombreux acteurs que nous avons rencontrés, qui reprochent à Jean-Yves Helmer d’avoir transformé la DGA en centrale d’achat, l’apparition de la contractualisation dans l’action publique n’est toutefois pas spécifique au secteur de l’armement. Certains auteurs se sont intéressés à son apparition dans les années 70 et à sa généralisation à tous les domaines de l’action publique283. Sa diffusion au secteur de

l’armement accréditerait ainsi l’idée d’un changement de statut de ce secteur, longtemps considéré comme spécifique, et qui serait en voie de banalisation. La diffusion de la contractualisation s’ajouterait ainsi à des évolutions en cours comme la professionnalisation, la « civilianisation », qui œuvrent plus généralement à la banalisation du secteur de la Défense284.

Dans le cadre de la politique de l’armement, un autre principe de la réforme Helmer est proche de la contractualisation. Il s’agit du partenariat . Là encore, dans le propos de l’ancien délégué Général, il ne s’agit pas d’une fin en soi mais d’un mode opératoire au service du projet plus large de donner à la DGA un rôle plus important dans la définition de la politique de la Défense.

« Mon objectif était de positionner la DGA comme acteur dans la définition de la politique de la

Défense. C’est en cela qu’on a mis en place le PP30, et les ASF-OCOO. On a fait en sorte que la DGA ne soit pas seulement là pour prendre en compte le besoin des armées. Elle doit considérer la façon dont on doit répondre aux problèmes militaires et à la doctrine d’emploi de ces armements, tout ça éclairé par une vision géostratégique à moyen ou long terme. Les grandes orientations ont un impact très fort. J’ai mis un accent très fort dans ce domaine là »285.

Cet axe de la « réforme Helmer » s’est traduit par la mise en place du service de l’architecture des systèmes de forces (ASF-OCO) qui au sein de la DGA est dirigé par un officier encadrant ce que l’on nommerait dans l’industrie ou dans la politique de la ville qui s’en est inspiré, des « équipes projet ». La spécificité de l’équipe projet au regard des modes d’action traditionnels de l’administration publique, et plus généralement de toute organisation hiérarchisée, est de reposer sur un partenariat entre entités hiérarchiquement indépendantes. Dans le cas qui nous intéresse, le service comprend sept équipes, chacune pilotée par un binôme composé d’un IGA dépendant de la DGA et d’un officier hiérarchiquement rattaché à son armée. Cette organisation se veut un dépassement des façons de faire antérieures, symbolisées par le Char Leclerc. Pour réfléchir à l’avenir, et donc à l’après Leclerc c’est un

283 Jean-Pierre Gaudin, Gouverner par contrat, Paris, Presses de Sciences Po, 1999.

284 William Genieys, Jean Joana, Andy Smith, Professionalisation et condition militaire : une comparaison

binôme composé d’un architecte des systèmes d’armes aéroterrestres et d’un officier de cohérence opérationnelle qui mène une réflexion prospective, dans le cadre du nouveau Plan Prospective à 30 ans (PP30).

« Cette organisation date de 1997. Avant, ce service n’existait pas. Avant la préparation de

l’avenir consistait à remplacer un char par un autre. Aujourd’hui le raisonnement est différent : j’ai une mission, je dois projeter des gens. La question : de quelle panoplie doivent-ils disposer ? »286

« Pour le Leclerc, la réflexion dans le cadre du PP 30 envisage un système réparti en 2 ou 3

plates-formes légères : un véhicule habité, un robot et un drone, pour couvrir les missions actuelles du Leclerc. Mais d’ici là on n’aura peut-être pas la technologie pour envoyer un robot au combat. On essaie d’identifier les technologies et de voir ce qu’on va faire. Il faut une vision à moyen/long terme pour l’aéronef et les robots. Alors que pour le Leclerc, si on compare à l’AMX et le Leclerc, l’AMX ses fonctions c’était la mobilité, le feu et la protection. Si on prend le Leclerc, c’est la même chose, ses fonctions sont les mêmes. Mais il y a aussi une fonction « information », d’où l’intégration d’un système information dans le Leclerc. »287

Ainsi, le fonctionnement en équipe projet rompt avec un fonctionnement séquentiel. Dans le cas qui nous intéresse il ne doit ainsi plus y avoir successivement définition du besoin par les militaires de l’armée de terre, puis proposition de solutions techniques par les ingénieurs de la DGA, mais très en amont, une réflexion commune et simultanée des deux parties en terme de systèmes de forces. Pour certains acteurs au cœur de ce système, tous les objectifs affichés ne sont pas forcément atteints, notamment en terme de transversalité et de rupture avec une approche arme par arme :

« Je distingue deux grandes dimensions :

- une dimension verticale : il s’agit des différents systèmes de forces. A l’intérieur du système de forces la performance est importante. Le binôme fonctionne très bien. C’était déjà vrai dans mon cas lorsque l’ASF était X, mais je dirais que c’est encore plus vrai aujourd’hui avec Y. En réalité c’est très fonction des équations personnelles.

- Une dimension horizontale : comment dialogue-t-on entre systèmes de forces dans la recherche de l’équilibre ? C’est un des objectifs majeurs du système mis en place. De mon point de vue, c’est un objectif qui n’est pas atteint : on continue à penser dans des tuyaux. En réalité le système ASF- OCO de ce point de vue a introduit du dialogue informationnel, permet de vérifier les éléments techniques d’interopérabilité ou ( …). Mais on est loin de l’objectif de rationalisation des systèmes capacitaires. Ca reste une structure extrêmement polie, policée, le débat existe peu, il n’y a aucune culture stratégique dans l’armée, ça pose de grosses difficultés. »288

Malgré ces réserves, il apparaît que la réforme valorise les modes de travail horizontaux, en équipe projet, rompant avec les approches sectorielles et hiérarchiques. Si ces modes opératoires sont aujourd’hui très répandus dans l’industrie, et notamment dans

285 Entretien ancien DGA, 20/03/2003.

286 Entretien responsable architecture de systèmes de forces, 30/01/2003 . 287 Entretien responsable architecture de systèmes de forces, 30/01/2003 288 Entretien avec un officier de cohérence opérationnelle, 21/03/2003

l’industrie automobile dont est issu Jean-Yves Helmer, ils sont aussi répandus dans certains secteurs de l’action publique. A ces changements de modes de travail, il faut également ajouter une transformation des profils valorisés.