• Aucun résultat trouvé

TOTAL des 6 saisons

C. Une émission progressivement incarnée par certains invités.

Reprenant les travaux du sémiologue Guy Lochard sur les dispositifs du talkshow, la notoriété d’une personne participant à un débat télévisé peut être le fruit :

- de la profession exercée. L’invité intervient alors en tant que spécialiste du sujet en débat. Guy Lochard nomme cette notoriété « identité sociale » ;

- du rôle social ou communicationnel. L’invité est présent en tant qu’acteur, témoin, informateur, narrateur, commentateur (…etc.), du sujet en débat, c’est l’ « identité médiatique » ;

- enfin, de l’image, de la personnalité audiovisuelle qui déborde souvent de l’identité sociale et donc du statut initial de l’individu. C’est la fabrication d’un personnage médiatique, habitué des médias et de sa propre visibilité. On parle alors d’ « identité discursive. »

1. Des visages qui deviennent familiers…

L’étude des invités ayant assisté à l’émission durant les six premières saisons du programme, révèle la redondance puis la fidélisation de certains d’entre eux. L’équipe rédactionnelle a cependant commencé par solliciter des gens peu ou pas du tout connus du grand public. Seule l’originalité intellectuelle de leur discours et de leurs opinions comptait. L’actuelle rédactrice en chef souligne le fait que l’émission a fait connaître quelques personnalités ayant aujourd’hui une certaine notoriété médiatique :

« Il y a des gens, que l'on se fait piquer d'ailleurs parce qu'ensuite on les retrouve chez les autres. Je prends l'exemple de Natacha Polony, qui n'avait jamais été invitée dans les émissions. Elle est devenue "récurrente" chez nous parce que "femme qui a des avis tranchés" et qui est aussi très intelligente. On l'a eu et puis bon on se l'ai faite piquer et on ne pourra plus jamais l'avoir.1» 2

Nous observons au fil des six saisons la prédominance de certains invités. Ces récurrences participent d’une part à la notoriété médiatique de ces derniers mais aussi à

1 Natacha Polony fut par la suite journaliste/chroniqueuse dans le talkshow animé par Laurent Ruquier et diffusé sur France 2, « On n’est pas couché » de septembre 2011 à juin 2014.

179

l’incarnation culturelle de l’émission. La première saison (2006 – 2007) représente l’année où il y eut le plus de récurrence. Sur les 853 invités y ayant participé, 29 sont venus plus de trois fois sur le plateau dont 16 sont venus entre quatre et huit fois.1 Ci-dessous, la liste des seize invités récurrents de la première saison présente un premier échantillon représentatif des attentes éditoriales du programme :

Invités saison 1 Fréquence

d'apparition Jean-Jacques Beineix 8 Frédéric Mitterrand 8 Éric Rochant 7 François Rollin 6 Yves Michaud 5 Gisèle Halimi 5 Jean d'Ormesson 5 Axiome 5 Pascal Boniface 4 Romain Bouteille 4 Frédéric Schoendoerffer 4 Dominique Jamet 4 Guy Sorman 4 Jacques Testart 4 Caroline Fourest 4 Jacques Marseille 4

Figure 51 - Liste des invités les plus récurrents de la saison 1. (Métasources, Hyperbase, inathèque)

- Le groupe dominant est issu du milieu des arts & spectacles. Nous observons notamment la présence de trois cinéastes : Jean-Jacques Beineix, Éric Rochant, Frédéric Schoendoerffer ; de 3 artistes issus de la scène : le chanteur Axiome et les humoristes François Rollin et Romain Bouteille.

- Nous y repérons également quatre invités appartenant à la sphère journalistique et critique : les journalistes et/ou essayistes Caroline Fourest, Dominique Jamet et Guy Sorman et le critique d’art Yves Michaud.

- Une figure historique du féminisme : l’avocate Gisèle Halimi ; - L’écrivain et académicien Jean d’Ormesson ;

1

L’ensemble des tableaux présentant les invités les plus récurrents sur les six saisons sont en annexe n°38, p. 101 du cahier d’annexes.

180

- L’écrivain et homme de télévision Frédéric Mitterrand, qui anime à l’époque, entre 2005 et 2007, l’émission « Ça s’est passé comme ça » sur la chaîne communautaire homosexuelle Pink TV ;

- Enfin deux chercheurs émérites que sont l’historien Jacques Marseille et le biologiste Jacques Testart.

Ce premier groupe met également en lumière une dominance générationnelle. Quatorze d’entre eux sont nés avant 1968, parmi lesquels cinq sont nés entre 1925 et 1939 et six appartenant à la génération du « baby boom », nés dans la décennie 1945 – 1955. Seuls deux invités, Caroline Fourest et le chanteur Axiome – tous deux nés en 1975 – ont à l’époque moins de 35 ans. Ce phénomène peut-être associé à l’ « installation » éditoriale de l’émission. Les invités convaincants et satisfaits du dispositif peuvent être, dans un premier temps, une garantie de rythme discursif dans les débats. Par ailleurs, leur notoriété respective et /ou leur promiscuité avec le monde des médias, garantissent une expression orale habituée à la spectacularisation du petit écran.

Lors de la deuxième saison (2007 – 2008), les invités les plus récurrents sont présentés dans le tableau ci-dessous. Nous y retrouvons, dans un premier temps, les journalistes et/ou essayistes Caroline Fourest, Guy Sorman et Dominique Jamet, ainsi que l’humoriste auteur et scénariste Romain Bouteille.

Invités saison 2 Participations

Roland Dumas 7 Michel Maffesoli 6 Jean-Didier Vincent 6 Régis Jauffret 5 Thierry Levy 5 Romain Bouteille 4 Jean-Claude Carrière 4 Caroline Fourest 4 Dominique Jamet 4 Guy Sorman 4 Zaki Laidi 4

Figure 52 - Liste des invités les plus récurrents de la saison 2. (Métasources, Hyperbase, inathèque).

Les quatre saisons suivantes témoignent progressivement de récurrences moins prononcées. Nous relevons cependant la pérennité de certains invités tel Emmanuel Todd, le

181

sociologue Michel Maffesoli, la philosophe Cynthia Fleury, le généticien Jean-Didier Vincent, l’économiste Daniel Cohen ; le magistrat Thierry Lévy, le journaliste et essayiste François de Closets, l’auteur et producteur de télévision Bruno Gaccio, la journaliste Natacha Polony, l’avocate Gisèle Halimi, Éric Fassin et le journaliste Alain-Gérard Slama.

2. Les « amis » de « Ce soir (ou jamais !) »1.

Cette fidélisation entraîne même certaines amitiés tissées au fil des années entre certains invités et certains membres de l’équipe de rédaction. Sandrine Taddeï témoigne de ces amitiés inédites, qui décloisonnent les relations professionnelles et les affinités personnelles. Elles expriment également le fruit d’un travail avant tout humain, basé sur la confiance et les émotions provoquées par la tension du spectaculaire :

« […] j'ai deux personnes qui sont devenues très proches : Michel Maffesoli et Jean-Didier Vincent. Marie-France Garraud aussi mais je suis moins intime. Ce sont des gens […] avec qui j'ai créé une vrai relation amicale. On est amis. On dîne ensemble une à deux fois par mois. Donc oui des liens se tissent et c'est d'ailleurs ce que je trouve très sympa. Ce sont de vraies rencontres qui sont agréables. Nous avons des invités récurrents et on y veille un peu. Il y a eu une période où Emmanuel Todd venait tous le temps. […] Il y a deux ans d'ailleurs, pour la dernière, on avait fait un plateau d'invités uniquement récurrents avec dans le public des invités également récurrents. Et cela avait fini en dansant sur le live! »2

1 Terme employé par l’équipe de la rédaction selon les dires de Marie-Aldine Girard dans son interview en annexe n°10, p. 41 du cahier d’annexes.

182

II. Tentative de prosopographie des « gens issus de la culture » : tendances et évolutions.

A. Méthode : construction d’une cartographie des « identités