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paysage audiovisuel français (PAF).

A. Les grilles de programmes de la télévision publique : entre concurrence et maintient d’une mission de service public.

1. L’enjeu de la grille de programmes dans un contexte concurrentiel :

Une chaîne de télévision gagne son public par l’intermédiaire d’une identité de contenu réfléchie et stratégique. Aussi, le « dispositif de programmation »1 recouvre l’ensemble des procédures de sélection et d’assemblage des programmes par les dirigeants de la chaîne. L’objectif final étant de produire un fil continu de contenus véhiculant une image cohérente de la chaîne. En cela, cette dernière produit et propose à son public-cible sa propre interprétation du temps télévisuel. Dans les faits, le travail des programmateurs consiste à optimiser la rencontre entre leur offre de programmes et un public-cible. Le sociologue Éric Macé parle d’une « rencontre » entre cette offre et les individus « en fonction de leurs

disponibilités sociales et de leur réceptivité culturelle, afin d’obtenir à force de familiarité et de rendez-vous, une fidélisation satisfaisante des individus » 2

Afin de discerner plus clairement les différents types de publics, les programmateurs de chaînes conçoivent des tranches horaires qui découpent la journée en autant de parties que de publics susceptibles, par leurs âges, leurs professions, leurs niveaux de vie ou encore leurs situations familiales, de la regarder durant ces moments de la journée. Des profils de téléspectateurs sont alors construits. Le tableau de Benoît Danard et Rémy Le Champion résume cet aspect sociologique de la programmation – en jaune la tranche horaire de « Ce soir (ou jamais !) »:

1

Noël Nel, « Les dispositifs télévisuels » dans Penser la télévision, p.60.

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Figure 3 - Les principales tranches horaires des chaînes généralistes gratuites en semaine.

Tranche

horaire Horaires Public-cible

Genre de programmes dominants Matinale

(early

morning)

6h00 - 8h30 Famille, enfants Information, animation

Matin (morning) 8h30 - 11h30 Femmes au foyer, personnes âgées Feuilletons, émissions de plateau, téléachat

Mi-journée 11h30 - 14h00 Famille Information, jeux

Après-midi

(afternoon) 14h00 - 17h30

Femmes au foyer, retraités

Fictions, émissions de plateau, jeux, animation

Avant-soirée

(prime-access) 17h30 - 19h30

Femmes au foyer, enfants, famille

Fictions, jeux, animation, talkshows Première partie de soirée (prime time) 19h30 - 22h30 Tout public Fictions, films, information, télé-réalité, variétés Deuxième partie de soirée (late fringe)

22h30 - 00h30 Public urbain, jeunes

adultes Magazines, talkshows

Nuit

(overnight) 00h30 - 6h00 Personnes seules

Rediffusion, documentaires, vidéos-

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Découle de cet objectif de « rencontre », une grille de programmes qui favorise l’habituation des téléspectateurs et leur fidélisation. On nomme « grille de programmes horizontale », les émissions journalières au format court – moins d’une heure – qui sont diffusées chaque jour à la même heure. Pensons aux jeux et talkshows « de compagnie »1 qui suivent souvent le journal de 13h ou précèdent le journal de 20h (ce que l’on nomme l’access

prime-time). Cette stratégie de fidélisation doit être accompagnée d’une stratégie d’innovation

destinée à conquérir de nouveaux publics. La grille de programmation « verticale » constitue cette proposition de nouveaux programmes et de nouveaux formats. Le prime-time, qui correspond à la grille horaire 20h50 > 22h30 est le moment clé de ce type de contenu en ce qu’il rassemble un plus large public de téléspectateurs, composite et familial. On y trouve les grandes soirées de divertissements, les soirées spéciales, les films inédits…etc.

Dans un contexte de concurrence impulsé par l’arrivée des chaînes privées, les stratégies de programmation s’orientent vers un « mimétisme » systématique provoquant l’uniformisation des différentes familles de programmes et visant un public similaire. Pour parer à ce phénomène de concurrence frontale, les chaînes publiques marquées par leurs missions de service public, usent parfois de stratagèmes telle la « contre-programmation ». Cette stratégie peu coûteuse consiste à offrir une différenciation maximale des programmes en proposant des émissions novatrices qui peuvent capter l’étonnement du téléspectateur sans le dérouter.2 Citons pour exemples les retransmissions de pièces de théâtre, d’opéra ou encore des émissions spéciales traitant de la science du corps humain ou de thématiques connexes qui sous-tendent une pédagogie attractive.

Le sociologue Patrick Amey apporte une nuance encore plus fine de la grille de programmes en ce que l’étude croissante – voire exponentielle – des comportements et des goûts des groupes de téléspectateurs aboutit à une classification des genres télévisuels par créneaux horaires spécifiques. C’est le « temps de la programmation. »3

Cette même classification aboutit à une standardisation des genres télévisuels attendus à tel ou tel moment de la journée, en fonction des « rythmes sociaux et biologiques des publics. »4 C’est l’axe « paradigmatique. » Ce dernier s’oppose à l’axe « syntagmatique », qui définit une grille de programmes moins classifiée, qui offre des programmes susceptibles de plaire au public traditionnellement attendu à tel créneau horaire mais aussi pouvant séduire un autre public

1 Patrick Amey, La parole à la télévision, éd. L’Harmattan, Paris, 2009. 2 Patrick Amey, Ibid.

3

François Jost, Introduction à l’analyse de la télévision, éd. Ellipses, Paris, 1999, p.35. 4 Patrick Amey, ibid.

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plus composite mais susceptible de suivre le programme en question. Cette stratégie syntagmatique vise à rassembler et conquérir toujours plus de téléspectateurs jusqu’au prime-

time :

« Afin d’assurer ces transitions, les émissions fédératrices et omnibus ont pour fonction de réunir les différents segments de public jusqu’au

prime-time. De tels enchaînements sont facilités par les

interprogrammes qui promeuvent les émissions et assurent la liaison entre elles. »1

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2. Le cas de « Ce soir (ou jamais !) » : une « contre-programmation horizontale » pour un rendez-vous quotidien, puis hebdomadaire.

Dans cette logique, l’émission « Ce soir (ou jamais !) » constitue dès ses débuts la double spécificité d’une « contre-programmation horizontale». Diffusée quotidiennement du lundi au jeudi, non pas en troisième partie de soirée mais aux alentours de 22h40, le talkshow présenté par Frédéric Taddeï est susceptible d’être capté par un public ayant une consommation télévisuelle tardive mais pas encore nocturne. L’assistant de production de l’émission, Jacques Rouah, soulève très bien la tension de cet horaire transitoire :

« On est à l’heure critique où les gens décident s’ils vont veiller un peu ou s’ils vont aller se coucher, sachant qu’ils travaillent en général

donc… »1

Un avis lucide et également exprimé dans le Rapport d’information sur les missions

du service public de l’audiovisuel et l’offre de programmes présenté le 1er

mars 2006 à l’assemblée Nationale par le député Dominique Richard :

« La deuxième partie de soirée intervient aujourd’hui à un horaire très tardif (22 h 40 à 23 heures), ce qui ne permet pas aux téléspectateurs se levant tôt de suivre les émissions ayant un format de 90 minutes ou plus. Or la deuxième partie de soirée est propice au traitement de thèmes de société, au débat, à la diffusion d’œuvres pour un public plus restreint. »2

Aussi, cette proximité horaire qui rapproche l’émission du grand public consommateur de prime-time, la confronte également à d’autres programmes de seconde partie de soirée proposés par la concurrence. Généralement, ces chaînes privées concurrentes, généralistes et gratuites – principalement M6 et TF1 – ont tendance à programmer des fictions ou des séries américaines tandis que les autres chaînes publiques y programment des documentaires ou également des fictions (françaises ou étrangères). La programmation d’un talkshow culturel de débat vient donc à contre pied de ces familles de programmes traditionnellement sollicitées pour cette tranche horaire, et constitue en cela une offre à part entière.

1 Cf. Annexe n°13, p.69 du cahier d’annexes : Interview figurant dans les annexes du mémoire de DEA de Laura Henimann, Ce soir ou jamais : la parole scientifique à l’épreuve, dirigé par Patrice Flichy, université Marne la Vallée, 2008/09.

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La programmation de « Ce soir (ou jamais !) » innove également par sa fréquence, quotidienne. En la diffusant du lundi au jeudi à heure fixe, la direction des programmes de France 3 déploie une stratégie de fidélisation propre à la programmation horizontale expliquée plus haut. Rappelons que cette programmation horizontale participe à la construction de l’identité d’une chaîne et à fortiori de son public. Aussi, cette stratégie de programmation renvoie au renforcement identitaire de France 3 en tant que « chaîne de la proximité, du lien

social et du débat citoyen. »1

Nous retrouvons ici les contraintes de programmation qu’implique le statut publique de la chaîne. Tout comme France 2, sa ligne éditoriale ainsi que ses choix de programmation doivent respecter les consignes des Cahiers des missions et des charges ainsi que le Contrat

d’objectifs et de moyens cités plus haut. Pour exemple, l’article 4 du Cahier des charges relatif

à la programmation de France Télévisions oblige notamment les chaînes du groupe à une émission culturelle quotidienne tout en rappelant dans son préambule la nécessité « d’accueillir le débat [et de] l’organiser ».

Dès septembre 2011, pourtant, la chaîne France 3 décide de réduire la fréquence de l’émission pour un rendez-vous hebdomadaire, le mardi soir. Si le programme double sa durée de tournage – il passe d’un rendez-vous quotidien d’1h10, 1h20 à un rendez-vous ponctuel de 2h puis 1h40 – la chaîne décide tout de même de renouveler sa grille de programmes pour des secondes parties de soirée plus variées. En effet, les lundis, mercredis et jeudis soir, aux alentours de 22h30, l’émission est remplacée par le « soir 3 » généralement suivi le lundi de documentaires, le mercredi de magazines tel celui de Franck Ferrand « L’ombre d’un doute », ou encore « Pièces à conviction ». Enfin d’un deuxième film les jeudis (à l’occasion de la soirée cinéma).2

1 Cahier des Charges de la société nationale de programmes France-Télévisions, réactualisé en mai 2012, p. 13. 2 À la rentrée de septembre 2012, la chaîne choisit d’ancrer plus fortement encore le « soir 3 » le diffusant quotidiennement à 22h30 pour un contenu d’information plus développé avec un format plus long : 1h.

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B. La place du talkshow culturel et/ou sociétal sur les chaînes publiques