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TOTAL des 6 saisons

B. Les contestataires « conventionnels ».

Les premières polémiques contribuant à l’identité médiatique de l’émission furent le fait d’une programmation d’invités parfois jugée provocante. Les premiers noms qui les suscitent sont : l’écrivain, pamphlétaire et peintre Marc-Édouard Nabe ; L’essayiste Alain Soral, l’humoriste Dieudonné ou encore l’islamologue Tariq Ramadan. Ces quatre hommes ont pour point commun d’être soupçonnés par une partie du corps journalistique – à la fois producteur et synonyme de l’opinion publique –, de positions extrémistes dans leur production artistique ou littéraire. La description de ce corps journalistique reste très vague. Il n’est pas ici question d’élaborer une théorie du complot, ni de rendre compte de factions journalistiques, en proie à l’établissement d’une pensée unique et consensuelle. Nous nous attarderons dans la dernière partie de ce travail sur les voix de ce corps journalistique en proie à la critique de ces contestataires présents dans l’émission.

Il fut remarqué durant nos recherches, que ces quatre hommes, issus du milieu artistique, littéraire, universitaire et même politique, endossaient, chacun à leur manière, une « personnalité audiovisuelle » à part entière, bien plus proche de l’idéologue hermétique que de l’esprit ouvert et favorable aux compromis.

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1. Marc-Édouard Nabe.

Marc-Édouard Nabe fut le premier invité «polémique » à être accueilli sur le plateau, et ce dès la première émission du 25 septembre 2006. L’écrivain et peintre y est invité pour débattre sur le tract qu’il venait de faire paraître, intitulé « Zidane la racaille »1, tiré à 5 000 exemplaires et en libre accès sur internet. L’écrivain ne manque pas de rappeler que ses écrits subissent la répression médiatique des journalistes français et doit, par conséquent, élaborer des stratégies de diffusion beaucoup moins officielles et massives : le tract et internet.

Figure 54 - Frédéric Taddeï interrogeant l'écrivain pamphlétaire Marc-Edouard Nabe (Inathèque).

Frédéric Taddeï : « Pourquoi revenir à un mode de communication aussi ancien ? Qui nous rappelle les Dadaïstes ou les Situationnistes plus récemment ? »

Marc-Édouard Nabe : « Parce qu’on ne peut plus rien publier dans la presse ! Il n’y a rien ! Vous avez vu l’état des journaux… Les journaux ne publient que ce qu’ils croient que les gens veulent lire ! Et donc on ne lit rien. […] J’avais déjà créé un journal mais je m’aperçois que même un journal en kiosque comme La Vérité, qui a duré quatre numéros, ne sert plus à rien. Donc un groupe d’amateurs m’a sollicité, trouvant insupportable que je ne puisse pas écrire sur l’actualité, ça les regarde, et ils m’ont offert cette proposition. On a fait un tract pendant quelques jours. Et ce fut évidemment repris sur internet. »

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Ce pamphlet rendait compte des opinions de l’écrivain sur le coup de tête du célèbre joueur de football français, lors du match France/Italie de la coupe du monde 2006.

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C’est en 1985, que l’écrivain provoque une première polémique, décisive, pour la publication de son livre, Au régal des vermines. Cet ouvrage expose les confidences les plus intimes de l’auteur. Il est rapidement qualifié de raciste et d’antisémite par les milieux journalistiques et intellectuels. Le passage de Marc-Édouard Nabe sur le plateau d’ « Apostrophe » en 1985 consacre à la fois sa jeune notoriété littéraire et son personnage audiovisuel. Sur le plateau, le jeune écrivain est physiquement violenté par le producteur et journaliste Georges-Marc Benamou. Ce moment spectaculaire de la télévision entraîne durablement l’ « ostracisme médiatique » de l’écrivain, jugé intellectuellement indésirable sur les plateaux de la télévision française.

Marc-Édouard Nabe partage cependant avec le présentateur de « Ce soir (ou jamais !) », le point commun d’avoir travaillé durant la fin des années 1980, au journal L’Idiot

International. Ce journal pamphlétaire de mouvance gauchiste est fondé en 1969 par

l’écrivain et journaliste Jean-Edern Hallier (1936 – 1997). Journal contestataire, qui témoigne d’une certaine filiation intellectuelle entre l’écrivain et l’animateur. En six saisons, Marc- Édouard Nabe a participé dix fois à l’émission1.

2. Tariq Ramadan.

Un autre invité suscitant la polémique mais bien moins « boudé » par le circuit médiatique français, a participé dix fois à l’émission2 : l’islamologue suisse Tariq Ramadan. Invité dans l’émission dès sa première saison, cette dernière fut l’une des premières à l’accueillir régulièrement pour des sujets touchant à l’islamophobie ainsi qu’aux différents évènements d’actualités relatifs à la laïcité. D’origine égyptienne, petit fils d’Hassan el-Banna (1906 – 1949) – fondateur du mouvement religieux et politique panislamiste des Frères musulmans – , Tariq Ramadan représente dans la sphère médiatique, l’intellectuel musulman « inquiétant ». La journaliste et essayiste Caroline Fourest, invitée récurrente de « Ce soir (ou jamais !) » devient très vite sa principale détractrice. Le 20 novembre 2009, une émission spéciale leur sera même consacrée pour qu’ils puissent tous deux exprimer leurs différents et

1 Il y participa à deux reprises pour la 1ère saison (2006/2007) ; à 3 reprises pour la seconde (2007/2008) ; une seule fois pour la 3è (2008/2019), enfin, à deux reprises pour la 4è (20009/2010) et la 5è saison (2010/2011). 2

Tariq Ramadan fut invité à deux reprises lors de la 1ère saison ; 1 fois lors de la seconde saison ; deux fois pour la 3è ; 3 fois pour la 4è et une fois pour les 5è et 6è saison.

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les multiples polémiques ayant eu lieu autour des publications respectives de leurs derniers livres.1

Figure 55 - Débat entre Caroline Fourest et Tariq Ramadan le 16.11.2009 (Inathèque).

Ce débat intitulé « Fourest / Ramadan : le débat tant attendu », représente un des évènements marquants de l’émission : le dispositif du débat traditionnel, qui invite à l’échange devient un débat de confrontation visant l’explication et le combat d’idées comme de discours. Ce débat se termine d’ailleurs par les applaudissements du public, rituel normalement interdit par le dispositif de l’émission. Durant les jours qui ont suivi ce débat, Tariq Ramadan et Caroline Fourest ont exposé leur décryptage du débat sur leurs sites internet respectifs.2 Par ailleurs, sur le site internet youtube.com, les vidéos retransmettant ce débat cumulent plus de 765 000 vues, gage d’une importante réception auprès du public internaute.3

1 Caroline Fourest, publie en 2004 Frère Tariq. Discours, stratégie et méthode de Tariq Ramadan aux éditions Grasset. Ce titre provocateur fait référence à la filiation familiale et intellectuelle de l’islamologue suisse avec l’organisation des Frères musulmans.

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Page du site de Caroline Fourest sur le débat : http://carolinefourest.wordpress.com/2010/04/11/le-vrai-duel- fourest-ramadan/

Page du site de Tariq Ramadan relative au débat : http://www.tariqramadan.com/spip.php?article10916 3

Cette estimation fut réalisée en recensant les vidéos correspondant aux termes « Caroline Fourest, Tariq Ramadan » via le moteur de recherche du site.

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3. L’humoriste Dieudonné

La présence à trois reprises de l’humoriste Dieudonné M’Bala M’Bala, suscita également de vives polémiques relayées par les médias.1 Accusé à plusieurs reprises d’antisémitisme, l’humoriste, qui assume ses positions antisionistes, fut également sujet au boycott de nombreuses municipalités françaises, qui lui interdirent l’accès à leurs salles de spectacles.2 Désormais propriétaire de son propre théâtre, Dieudonné est un humoriste indépendant, continuant sa carrière dans l’ombre des circuits médiatiques traditionnels. Invité dès la première saison de l’émission « Ce soir (ou jamais !) », cette dernière est le premier et unique programme l’ayant invité depuis les accusations d’antisémitisme portées à son encontre en décembre 20033.

À l’occasion de sa deuxième venue4

dans l’émission le 6 octobre 2008, Dieudonné évoque cette situation d’ « ostracisme » médiatique. Entouré d’humoristes majoritairement reliés à sa cause et à la défense de la liberté d’expression5, il remercie Frédéric Taddeï pour son invitation. L’auteur et producteur Bruno Gaccio évoque à son tour l’ostracisme médiatique de Dieudonné en défendant sa cause d’humoriste indépendant et libre de parole.

1 Citons pour exemple l’article de Claude Askolovitch, « De la cause noire à la haine des juifs. Dieudonné : Enquête sur un antisémite » paru dans Le Nouvel observateur le 24 février 2005. Ou encore l’article de Jean- François Kahn, « La double défaite des antiracistes » paru dans Marianne, le 19 février 2005.

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Témoignent de ce boycott les articles « Delanoë prive Dieudonné de théâtres parisiens » et « Dieudonné: spectacle annulé à Montréal après les protestations d'une association juive », respectivement parus dans

Libération, le 12 janvier 2009 et dans le journal Le Point, le 11 mai 2012.

3 Le 1er décembre 2003, sur le plateau de l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde » présentée par Marc-Olivier Fogiel, Dieudonné joue un sketch où il fait allusion à l’ « axe américano-sioniste ». Il conclut son sketch par « Israël Heil », ne manquant pas de soulever la polémique auprès de la communauté juive.

4 L’équipe de Frédéric Taddeï a invité une première fois l’humoriste le 30 novembre 2006 pour un sujet de débat évoquant la littérature et le genre de l’autofiction.

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Au cours de cette émission, Dieudonné partage le plateau avec l’auteur et producteur de télévision Bruno Gaccio ainsi que les humoristes Romain Bouteille, Christophe Alévêque et Éric Rollin.