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paysage audiovisuel français (PAF).

CHAPITRE 5: Un dispositif issu d’un mélange des genres.

I. Le cadrage d'interprétation.

A. Les modes d’énonciation télévisuelle : une mise en scène d’un discours sur l’ « authentifiant ».

Lorsque l’on s’attarde sur la presse spécialisée en programmes télévisés, l’émission présentée par Frédéric Taddeï est qualifiée de « magazine culturel ».1 En tant que chercheur, nous ne pouvons cependant pas nous contenter de ce terme générique et destiné à la perception du grand public. Définir la nature de ce programme nécessite une analyse plus concrète du contenu discursif et des images ; un domaine de recherche propre à la sémiologie et aux sciences de l’information et de la communication.

« "Ce soir (ou jamais !)" c’est l’actualité sous le prisme de la culture »2. Ce slogan synthétique est affirmé et réaffirmé par l’animateur du talkshow Frédéric Taddeï. En sémiologie linguistique, le discours et le langage sont étudiés et considérés dans un système organisé autour du « message ». Se trouve en amont l’émission « émettrice » et en aval la réception et l’interprétation du message produit. Le fameux « prisme de la culture» dont parle l’animateur représente la carte d’identité du message en ce qu’il impose ce que les sémiologues appellent un « cadrage d’interprétation. »3

Le cadrage d’interprétation, ou « dispositif », peut être comparé à ce que Guy Lochard qualifie de « piège tendu à l’animal par un être humain en vue d’effectuer des

observations ».4 En d’autres termes, le cadrage d’interprétation est l’ensemble des éléments

1 Terme vu dans les revues suivantes : Le nouvel Observateur, Télérama, Télé 7 jours, Figaro Magazine… etc. 2 Se reporter à l’interview de Frédéric Taddeï en annexe n°6, p.12 du cahier d’annexes.

3 Les principaux sémiologues en question ne sont autres que Guy Lochard et Jean-Claude Soulages, La

Communication télévisuelle, coll. « U : série cinéma et audiovisuel », éd. Armand Colin, Paris, 1998 ; François

Jost, Introduction à l’Analyse de la Télévision, éd. Ellipses, Paris, 1999 ; ou encore du sociologue Jean-Pierre Esquénazi, « L’acte interprétatif dans la spirale du sens », dans Pascale Goetschel, François Jost, Myriam Tsikounas (dir.), Lire voir, entendre, réception des objets médiatiques, Paris, Publications de la Sorbonne, juin 2010, p. 337-346.

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physiques et oraux, dont la spécificité de l’agencement ou de la formulation concoure à la bonne réception du message. Le talkshow au sens large a pour dispositif un plateau éclairé d’une certaine lumière, qui s’organise autour d’un espace aménagé d’une ou de plusieurs tables et de sièges destinés à accueillir les invités venus débattre.

Définir le genre de l’émission peut également renvoyer à définir ce qu’elle suscite chez le téléspectateur. La télévision offre à ce dernier la possibilité d’accéder à différentes émotions par procuration. Ces émotions représentent autant de contrats de communication et de dispositifs à énoncer et à respecter dans le but d’édifier la crédibilité cognitive du programme regardé.

Le sémiologue François Jost rend compte de l’importance du respect de ces contrats entre la télévision et ses téléspectateurs et discerne dans la réception et la compréhension de ces programmes une finalité triptyque oscillant entre l’ « Authentifiant », le « Ludique » et le « Fictif ». Il détermine en cela les « modes d’énonciation télévisuelle ». 1 La reconnaissance du mode d’énonciation implique : « 1. Un positionnement du spectateur ; 2. Des critères

d’appréciation de la vérité de l’ensemble du programme. »2

C’est en fonction de cette vérité – synonyme de réalité – que vont se différencier les contenus télévisés illustrés sur le schéma ci- contre.

Le genre talkshow comporte un aspect réel (ou authentifiant) en ce que ce type de programme met à l’image des hommes et des femmes réels et s’exprimant via un raisonnement rationnel, sur des faits également réels (ici, rappelons-le, tirés de l’actualité). Cependant, le fait de filmer un débat met le téléspectateur en position de voyeur, si ce n’est de voyeur impliqué dans le débat.

Le cadre d’interprétation apporte également un aspect ludique en ce qu’il crée, comme nous le verrons plus bas, un jeu de rôle entre les différents participants du débat. En effet, chaque participant voulant imposer son opinion, des stratégies discursives sont élaborées au cours des débats, dans le but d’avoir la parole la plus crédible et véridique possible. A travers ces stratégies visibles à l’œil du téléspectateur, le talkshow fait naître un aspect ludique. D’où son positionnement à mi-chemin entre l’Authentifiant et le Ludique.

1 François Jost, Jérôme Bourdon (dir.), Penser la télévision, actes du colloque de Cerisy, coll. « Médias- Recherches », éd. Nathan/INA, Paris, 1998.

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Figure 14 - les modes d’énonciation télévisuelle1

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Le genre télévisuel de « Ce soir (ou jamais !) » est d’autant plus lié à l’ « authentifiant » que l’émission est tournée et diffusée en direct. Un programme de flux diffusé en direct accompagne le téléspectateur dans le temps réel qui s’écoule. Ce partage d’un même temps diégétique, cette co-présence, accentue l’impression de réalité et l’éphémérité du contenu, fragilisant et dramatisant ce dernier avec l’hypothèse de l’imprévu. Le titre de l’émission « Ce soir (ou jamais !) » justifie également le choix du direct. L’instant du soir est dramatisé en ce qu’il y est placé tous les espoirs du débat éclaireur qui explique et dévoile la complexité des faits d’actualité. Des faits d’actualité qu’il faut savoir saisir et expliquer au moment où les téléspectateurs en sont informés dans les médias – essentiellement le journal télévisé, la presse écrite mais aussi les sites web d’information.

Ces débats tournés et diffusés en direct ont également pour objet des évènements amenés à se dérouler dans un futur proche. Le temps présent du débat est alors exploité à des fins pédagogiques de projection et d’appréhension. Ce dernier élément rejoint l’idée exprimée par le chercheur américain Herbet Zettl sur les enjeux du temps télévisuel :

« Chaque plan télévisuel est toujours en état de devenir. Alors que le plan cinématographique constitue un enregistrement concret du passé, le plan de la télévision de direct est un reflet de la vie, d’un présent évoluant continûment. »1

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Herbert Zettl, « The rare case of Television aesthetics », paru dans le Journal of the University Film

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