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L'unanimité politique des premiers jours autour du préfet Jean Chaintron

Deuxième partie : Jean Chaintron, une personnalité politique dans la préfectorale

Chapitre 6 : Un militant communiste à la tête d'une préfecture dans le contexte particulier de la libération (9 septembre 1944 – 29 avril

C) L'unanimité politique des premiers jours autour du préfet Jean Chaintron

L'arrivée de Jean Chaintron au poste de préfet est globalement bien acceptée dans les premières semaines suivant la libération parmi les différentes forces de la résistance et partis politiques de la Haute-Vienne. La montée en puissance du PCF dans le département, à la suite de la résistance, ne semble pas apparaître comme menaçante pour les autres forces politiques avant les premiers rendez-vous électoraux à la fin du mois d'avril 1945. On peut alors affirmer que de septembre 1944 à avril 1945, il existe une certaine unanimité autour de la personne de Jean Chaintron, dont les actions sont positivement commentées. Le préfet de la Haute-Vienne bénéficie en quelque sorte d'un état de grâce malgré la persistance de la pénurie alimentaire et des problèmes liés au ravitaillement. Il est possible d'expliquer cette situation par la joie procurée par la libération du territoire, par la victoire des armées alliées qui semble proche et par l'effervescence politique de cette période qui amène des hommes neufs dans les administrations et les assemblées politiques. Raymond Aubrac, qui est nommé Commissaire de la République à Marseille en 1944, fait part dans ses mémoires des efforts des comités de libération pour, malgré les difficultés économiques et sociales, ne pas accabler les administrateurs et rendre publique leur action675. Il ajoute que « la presse elle-même, du

moins dans les premiers mois, tempérait l'ardeur de ses rédacteurs et l'impatience de ses lecteurs 676». On retrouve effectivement en Haute-Vienne des appréciations positives sur

l'action administrative du préfet dans toute la presse départementale jusqu'aux élections municipales. En étudiant les différents périodiques du département, quelque soit leur couleur politique, il est alors possible de saisir cette unanimité temporaire autour du nouveau préfet. Sans surprise, le Travailleur limousin qui est le période du PCF, relate fréquemment les

674. Chaudier Albert, op. cit., p. 103

675. Aubrac Raymond, Où la mémoire s'attarde, Paris, Editions Odile Jacob, 1996, p. 155 676. Ibid.

activités du préfet en l'accompagnant d'appréciations positives. Lorsqu'il fait allusion à Jean Chaintron et à ses déplacements ou ses discours, il utilise le qualificatif « d'ami » pour le désigner. Par exemple, le 2 janvier 1945 on trouve un court communiqué annonçant : « notre ami Jean Chaintron vient de prononcer à Radio Limoges un important discours que tous les Limousins doivent connaître et méditer 677».

Il est aussi particulièrement intéressant de se pencher sur les articles du Populaire du

centre, périodique de la SFIO en Haute-Vienne, connu pour avoir été particulièrement

virulent contre les communistes dans l'entre-deux-guerres notamment sous la plume du militant Jean Le Bail678. On pourrait alors imaginer que l'influence communiste à la libération

gênerait le périodique d'un parti qui pouvait à juste titre considérer la Haute-Vienne comme un bastion socialiste avant 1939. Pourtant, jusqu'aux premières élections d'avril 1945, le

Populaire du centre fait allusion à Jean Chaintron avec bienveillance. Lorsque le journal

mentionne son discours de prise de fonctions le 12 septembre 1944, il parle d'allocution « d'une ardente inspiration patriotique, républicaine et révolutionnaire 679». Lors de la tournée

préfectorale de Jean Chaintron dans toutes les communes du département à l'automne 1944, le même périodique fait l'éloge de son rapport à ses administrés : « Comme il a l'habitude de le faire partout où il passe, M. Chaintron s'entretient avec les habitants. Il aime à prendre contact avec la population avec laquelle il converse familièrement 680». Pour ce qui est de ses

rapports avec la presse, qui peuvent être saisis notamment lors de la première conférence de presse que le préfet donne en novembre 1944, le Populaire du centre rend compte d'échange de vues « très cordial 681». A propos de son activité de préfet, l'appréciation reste positive.

Lorsque le département est confronté à une pénurie de lait en novembre 1944, le journal socialiste affirme que « M. le préfet Chaintron a pris le problème en mains 682» et que

« comme on le voit notre préfet se trouve en face de difficultés quasi insurmontables. Cependant, la population peut être rassurée que ses intérêts sont placés entre de bonnes mains 683». En janvier 1945, alors que le manque de lait est toujours récurrent, le Populaire du centre dans un article signé par Charles Vicq félicite le préfet « pour son initiative

heureuse 684» qui a permis d'en faire venir des départements de l'Indre, de la Vienne, de la

677. Bibliothèque nationale de France, Le Travailleur limousin, mardi 2 janvier 1945, FOL- JO- 5286 678. Darfeuil Rémi, op. cit., p. 70

679. Bibliothèque francophone multimédia de Limoges, Le Populaire du centre (numérisé), jeudi 21 septembre 1944

680. Ibid., jeudi 2 novembre 1944

681. Bibliothèque francophone multimédia de Limoges, Le Populaire du centre (numérisé), dimanche 5 novembre 1944

682. Ibid.

683. Ibid., mardi 7 novembre 1944 684. Ibid., mardi 16 janvier 1945

Charente et de la Creuse. On remarque que ces appréciations positives du préfet se poursuivent donc un certain temps après la libération. En mars 1945, le même périodique parle encore, à propos des discours du Commissaire de la République et du préfet, d' « allocutions directes, éloquentes, énergiques et très applaudies 685» lors d'une fête

patriotique à Bellac.

L'unanimité provisoire autour du préfet de la Haute-Vienne ne se limite pas aux périodiques socialistes et communistes. La Liberté du centre qui est l'organe du MRP (Mouvement républicain populaire) ne tarit pas d'éloges sur le nouveau préfet dans l'immédiate libération. A la fin de l'année 1944, ses déplacements et allocutions sont associées à des qualificatifs élogieux comme en novembre 1944 lorsqu'il visite avec « intérêt 686» l'hôpital général ou en décembre de la même année quand « l'intéressante

intervention préfectorale à la réunion du CDL 687» est retranscrite en partie. De même qu'avec

le Populaire, le premier contact avec les journalistes lors d'une conférence de presse en novembre 1944 laisse une impression positive aux employés du périodique : « Il résulte de cette entrevue que la situation est difficile, on peut être assuré que la préfecture ne perd pas de vue les intérêts de la population limousine et qu'elle apportera toute son énergie à résoudre les plus urgents 688». L'attitude patriotique de Jean Chaintron est aussi rapportée par ce même

périodique. Lors de la cérémonie du le 11 novembre 1944 à Bellac, la fête revêt un éclat particulier « grâce à la présence de M. Jean Chaintron » et à son attitude face à des fillettes en costume alsacien : « le geste à la fois symbolique et affectueux de M. le préfet qui les embrassa alla droit au cœur de l'assistance qui applaudit longuement »689. Enfin, son activité

préfectorale est aussi commentée en des termes positifs dans les premiers mois. En janvier 1945, une certaine émotion soulève la population haut-viennoise à la suite de fouilles de bagages en gare de Limoges pour traquer les trafiquants du marché noir. Jean Chaintron rappelle alors qu'il ne s'agit pas de pénaliser le ravitaillement familial rapporté de la campagne mais les spéculateurs et que des consignes ont été données aux services de répression du marché noir pour que leur attitude reste correcte. La Liberté du centre commente alors la situation : « on ne peut que s'associer aux directives transmises aux services de contrôle par M. le préfet de la Haute-Vienne et qu'il vient de porter à la connaissance de la presse 690». Les différents commentaires de la presse départementale,

685. Bibliothèque francophone multimédia de Limoges, Le Populaire du centre (numérisé), lundi 19 mars 1945 686. Bibliothèque nationale de France, La Liberté du centre, samedi 18 novembre 1944, FOL- JO- 2810 687. Ibid., dimanche 10 et lundi 11 décembre 1944

688. Ibid., dimanche 5 novembre 1944

689. Ibid.,dimanche 12 et lundi 13 novembre 1944, FOL- JO- 2810 690. Ibid., jeudi 4 janvier 1945

qu'elle soit communiste, démocrate ou socialiste, illustrent donc bien l'état de grâce dont bénéficie Jean Chaintron dans les premiers temps de son mandat.

La nomination de Jean Chaintron s'inscrit donc dans un mouvement général de politisation des préfets à la libération malgré l'apolitisme qui est théoriquement à la base de la déontologie préfectorale. Ce manquement à la neutralité se retrouve notamment dans les allocutions du préfet de la Haute-Vienne où la ligne de son parti est parfois aisément repérable. Son appartenance politique ne l'empêche pas de connaître une certaine unanimité politique autour de sa personne et de son action dans les premiers temps de son expérience préfectorale. Toutefois, dès le début de la campagne électorale des municipales au printemps 1945, la situation se modifie en profondeur.

Chapitre 7 : Jean Chaintron et les notables locaux à l'heure de la

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