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La Haute-Vienne, bastion socialiste dans la première moitié du XXe siècle

Alors que le radicalisme s'étend dans les campagnes limousines dans la dernière partie du XIXe siècle, les idées socialistes gagnent en influence à la même période après s'être développées dans un premier temps à Limoges. Dès 1895, les socialistes conquièrent la mairie de la capitale du Limousin122. Lorsque le parti SFIO (Section française de

l'Internationale ouvrière) est créé en 1905, Adrien Pressemane prend la tête de la fédération de la Haute-Vienne en tant que secrétaire général et l'influence de cette forte personnalité sera décisive pour le développement du parti123. Une autre figure socialiste du département

compte aussi beaucoup pour le développement du parti. Il s'agit de Léon Betoulle qui devient le premier député socialiste unifié du département lors des élections de mai 1906. Au cours

117. Vallin Pierre, Paysans rouges du Limousin, Paris, L'Harmattan, 1985, p. 171 118. Corbin Alain, op. cit., p. 950

119. Le Roux-Calas Muriel, « Les origines complexes d'un singulier bastion de la gauche », Géopolitique des

régions françaises, Tome 2, Paris, Editions Fayard, 1986, p. 874

120. Vallin Pierre, op. cit., p. 175 121. Ibid., p. 282

122. Boswell Laird, Le communisme rural en France, Limoges, Pulim, 2006, p. 138 123. Dauger Georges, op. cit., p. 121

des scrutins suivants, la SFIO continue sa progression constante en Haute-Vienne. Après avoir perdu la mairie de Limoges en 1905, les socialistes la reprennent en 1912 affirmant ainsi leur ascendant sur le chef-lieu du Limousin. A la veille de la Première Guerre mondiale, lors du scrutin législatif des 26 avril et 10 mai 1914, le parti socialiste recueille en Haute- Vienne la majorité absolue des suffrages exprimés. Cela représente le plus fort pourcentage au niveau national consacrant ainsi la victoire du socialisme sur l'ensemble du département qui devient un fief de la SFIO en France124. Ce résultat y a pour conséquence la baisse de

l'influence radicale. Ce score unanime participe aussi à relancer la légende rouge du Limousin. Les idées socialistes se sont d'abord développées en ville, et notamment à Limoges, mais elles se répandent progressivement dans les campagnes. En Haute-Vienne, grâce à une organisation efficiente de la fédération, des militants actifs et un terrain favorable au développement des idées de gauche, le socialisme parti de la ville réussit sa conquête du monde rural. Dès le début du XXe siècle, les socialistes limougeauds se rendent dans les campagnes avec notamment André Pressemane dont l'aura contribue à la mise en place d'un socialisme rural125. Ce bouleversement politique participe en quelque sorte à la modernisation

des campagnes car il permet de diminuer l'isolement dont souffrent les paysans limousins en les intégrant à la communauté nationale car ils deviennent des socialistes « comme les autres 126», c'est-à-dire comme les citadins.

La période de l'entre-deux-guerres se caractérise par une présence toujours aussi forte de la SFIO. Aux élections législatives des 16 et 30 novembre 1919, la Haute-Vienne est à nouveau le premier département en termes de voix socialistes127 et les candidats socialistes

remportent les cinq sièges de députés. La fédération SFIO du département se classe au neuvième rang national en termes de membres et elle regroupe la moitié des adhérents du Limousin128. La Congrès de Tours -qui s'ouvre en 1920 et entraîne la naissance du PCF- ne

bouleverse pas fondamentalement l'équilibre politique local. En effet, le congrès fédéral SFIO de la Haute-Vienne se déclare hostile à la IIIe Internationale. La motion présentée par André Pressemane qui critique les vingt et une conditions obtient 55 voix contre seulement 32 pour la motion Cachin-Frossard qui prescrit une adhésion sans réserve à la IIIe Internationale129. Les militants qui restent à la SFIO se montrent particulièrement hostiles au

124. Taubmann Michel, op. cit., p. 42 125. Vallin Pierre, op. cit., p. 286 126. Ibid., p. 323

127. Brousse Vincent, L'écrit et l'iconographie communiste en Limousin et plus particulièrement en Haute-

Vienne de 1936 à 1939, Mémoire de maîtrise en histoire contemporaine, Limoges, 1992, p. 3

128. Dauger Georges, op. cit., p. 147 129. Brousse Vincent, op. cit., pp. 3-4

bolchevisme inaugurant ainsi un vif anticommunisme qui restera une constante dans les années suivantes130. Dix sections131 rejoignent tout de même la IIIe Internationale comme

celles de Saint-Mathieu, d'Ambazac, de Saint-Junien ou d'Eymoutiers. Cette rupture au sein de la SFIO n'entame cependant pas dans l'immédiat l'influence de cette dernière. Ainsi, lors des élections législatives du 2 mai 1924 les socialistes dépassent la majorité absolue en Haute-Vienne en réunissant 45% des inscrits et ils augmentent encore leur influence en parvenant à faire entrer Léon Betoulle au Sénat le 14 décembre de la même année132. Aux

élections législatives de 1936, le parti socialiste est le premier avec 46% des suffrages et les cinq députés du département sont socialistes consacrant ainsi la prédominance de ce parti en terre haut-viennoise133.

Malgré cette prédominance de la SFIO en Haute-Vienne, le PCF commence petit à petit à se faire une place dans le jeu politique. Même si aux élections législatives de 1924 les candidats communistes ne recueillent que 6,1% des voix, ce qui place leur influence dans le département à un niveau très inférieur au niveau national134, les cantons d'Eymoutiers et de

Saint-Junien se posent déjà en bastion du communisme en Haute-Vienne. Toutefois, malgré ces deux places-fortes, le PCF y demeure une force politique marginale. Son influence ne parvient pas à s'étendre géographiquement en dehors de ces deux cantons. Durant toutes les élections législatives de l'entre-deux-guerres, il obtient des résultats qui le placent très loin derrière la SFIO malgré une poussée en 1936135. Pour ce qui est des adhérents, la tendance est

la même. Après l'essor des débuts, avec 1000 adhérents en décembre 1921, le nombre décline fortement, avec 550 adhérents en octobre 1922, jusqu'au début des années 1930136. La

dynamique du Front Populaire permet de remédier dans une certaine mesure à cette situation. Il est vrai qu'il existe tout de même une certaine pénétration des idées communistes dans les campagnes du département en s'appuyant sur quelques bases héritées de la SFIO car certains dirigeants et militants socialistes rejoignent le Parti communiste naissant. A cela s'ajoute l'action de jeunes militants dynamiques qui sont bien insérés dans la vie locale et qui participent à la propagation des idées communistes. Mais malgré cette dynamique

130. Dauger Georges, op. cit., p. 157

131. Darfeuil Rémi, Le communisme rural en Haute-Vienne, sous la direction de Marc Lazar, Maîtrise de sociologie, Paris X-Nanterre, 1999, p. 44

132. Dauger Georges, op. cit., p. 159

133. Archives nationales, Série F1a, résultats des élections générales du 2 juin 1946, rapport du préfet de la Haute-Vienne, 5 juin 1946, F1a 3233

134. Ibid., p. 157

135. Darfeuil Rémi, op. cit., p. 44 136. Brousse Vincent, op. cit., p. 5

ascendante, l'influence du PCF reste malgré tout limitée. La Haute-Vienne constitue ainsi un cas à part dans un Limousin qui voit se développer largement le communisme rural dans l'entre-deux-guerres137. En effet, le récent PCF a réussi à s'implanter dans les départements

voisins et y connait un succès électoral et militant. Le bastion constitué par la SFIO en Haute-Vienne résiste pleinement à cette nouvelle concurrence qui est née sur sa gauche. Après le Congrès de Tours, le parti communiste joue donc un rôle secondaire aux côtés des socialistes durant toutes les années 1920. Les années 1930 et la venue du Front Populaire remettent légèrement en question cet équilibre électoral et voit surtout se créer des relations nouvelles entre les deux partis de gauche.

Le tournant antifasciste de la SFIO et du PCF au niveau national amène les deux organisations à réaliser des actions communes. Dès le 5 mai 1933, le comité antifasciste de Limoges est créé et il organise une manifestation où se retrouvent divers partis et mouvements de gauche138. L'année suivante, socialistes et communistes manifestent

ensemble à Limoges le 12 février 1934 dans une démarche d'unité contre le fascisme. Toutefois, lorsque le PCF propose un pacte d'unité d'action à la SFIO, celle-ci se montre plutôt réticente initiant ainsi une méfiance qui sera toujours d'actualité dans la décennie suivante. Malgré les hésitations socialistes, la stratégie de front uni des deux partis amène des candidats communistes à se désister pour des socialistes au second tour des élections législatives d'avril et mai 1936139. Les socialistes refusent pourtant les propositions de

meeting et de réunions communs. La région limousine du PCF envoie alors une lettre à la SFIO en lui soumettant ses exigences : une unité organique entre les deux partis, la création de comités de Front populaire et une manifestation commune à Limoges en l'honneur du Front Populaire140. Les socialistes répondent par la négative en raison de la peur d'être

noyauté par les communistes dans un département qu'ils dominent. Dans les deux années qui suivent, les rapports entre les deux forces de gauche se dégradent notamment en raison de l'attitude de la SFIO face à la guerre civile espagnole et cela se traduit par des articles virulents dans Le Populaire du Centre du socialiste Jean Le Bail141. Ce dernier entretient ainsi

l'anticommunisme de la fédération SFIO de la Haute-Vienne qui persiste malgré les appels continus du PCF pour réaliser un parti unique. Le département dans lequel est nommé Jean Chaintron en septembre 1944 a donc une tradition de gauche affirmée et assumée. Tout au long du XIXe siècle, le développement des idées républicaines, démocratiques et socialistes

137. Boswell Laird, op. cit., p. 67 138. Brousse Vincent, op. cit., p. 8 139. Ibid., p. 9

140. Ibid., p. 69 141. Ibid., p. 70

ont fait du Limousin et plus particulièrement de Limoges un territoire « rouge ». Les socialistes se sont imposés durablement dans le département de la Haute-Vienne à partir de la fin du XIXe et ce, jusqu'au déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale. Jean Chaintron est donc un militant communiste qui arrive dans un territoire de gauche ce qui peut expliquer en partie sa nomination dans ce département ayant une couleur politique proche de la sienne. Toutefois, le PCF ne parvient pas à s'y imposer face à une SFIO dominante durant tout l'entre-deux-guerres. La Deuxième Guerre mondiale redistribue les cartes en permettant au PCF d'acquérir un prestige dû à la résistance et qui fait de l'ombre aux socialistes.

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