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Les maquis limousins et la montée de l'influence communiste

Le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale et la prépondérance des maquis communistes en Haute-Vienne participent à la modification du paysage politique à la libération. Après la défaite française, des maquis se forment rapidement dans le Limousin qui devient l'un des bastions de la résistance en générale et de la résistance communiste en particulier. L'implantation du PCF dans la région durant l'entre-deux-guerres et les structures efficaces de l'appareil du parti lui permettent de mettre sur pied des maquis principalement sous influence communiste. La figure symbolique de ces groupes armés est Georges Guingouin, instituteur et militant communiste de Saint-Gilles-les-Forêts en Haute-Vienne qui met en place un réseau puissant et compétent de maquisards. Malgré son appartenance au PCF, il se caractérise aussi durant ces années par une certaine indépendance vis-à-vis des directives des dirigeants communistes. Georges Guingouin est adhérent au PCF depuis 1935 et il occupe avant 1940 un poste de secrétaire de rayon ce qui explique qu'il connait personnellement chaque membre du parti de son secteur142. Dès la fin du mois de juillet 1940,

il peut donc recontacter ses anciens camarades et à la fin du mois de décembre 1941, l'élan de résistance est lancé sur le territoire limousin sous son impulsion143. Toutefois, c'est au cours

de l'année 1943 que les maquis prennent réellement de l'ampleur sur le territoire national et en Haute-Vienne plus particulièrement. Les premiers réfractaires du STO (Service du Travail Obligatoire) rejoignent les maquis pour se soustraire au départ en Allemagne et sont alors encadrés par les communistes dans le département. Ces derniers mènent des actions efficaces de propagande contre le travail obligatoire en Allemagne qui ont un grand retentissement dans la région. Ainsi, le 2 mars 1943 presque tous les jeunes du canton d'Oradour en Haute-

142. Guingouin Georges, Quatre ans de lutte sur le sol limousin, Paris, Hachette, 1974 , p. 22 143. Ibid., p. 57

Vienne refusent de passer la visite médicale pour le STO144. Une manifestation hostile au

régime de Vichy a alors lieu dans les rues du village et les jeunes réfractaires rejoignent ensuite les maquisards du bois de Cussac. Une fois le premier pas de la rébellion franchie, les adhésions aux maquis se multiplient massivement. La résistance haut-viennoise est principalement composée de maquis FTPF (Francs-Tireurs et Partisans français) sous influence communiste mais aussi d'unités de l'Armée Secrète notamment dans le nord du département145. Les actions de leur part se multiplient avec notamment la diffusion de

journaux clandestins, la multiplication des actions de sabotage et des actions militaires. Ainsi, le 14 juillet 1943, un raid militaire est organisé par les troupes de Georges Guingouin dans le secteur d'Eymoutiers démontrant la puissance des maquisards auprès de la population haut- viennoise et des autorités vichyssoises et allemandes146. A la fin de l'année 1943, Georges

Guingouin affirme que toute la Haute-Vienne est devenue « zone de maquis 147».

Le développement de la résistance dans ce département rural a aussi été favorisé par le ralliement des ruraux à la cause des maquisards. C'est surtout à partir de l'année 1944 qui est celle de l'« effervescence maquisarde 148», que les ruraux font corps avec les résistants

contre les occupants allemands et les autorités de Vichy. Une partie des habitants procure alors ravitaillement et hébergement aux maquisards, cache des armes, recueille les aviateurs blessés, fournit des renseignements sur les déplacements des troupes allemandes et des forces de l'ordre françaises tandis que certains maires et secrétaires de mairie distribuent de faux papiers149. Aucun maquis ne peut perdurer sans l'aide des paysans aux alentours dont le

silence est déterminant pour ne pas révéler leurs positions. Ce soutien aux réfractaires met en évidence un changement de légitimité150. Cette dernière n'est plus incarnée par Vichy mais

par la résistance. Cela est bien perceptible en Haute-Vienne où des affiches placardées dans les villages sont signées par Georges Guingouin sous le nom de « préfet du maquis ». Ce retournement ne signifie pas une adhésion complète et aveugle à la résistance mais surtout le fait que Vichy n'incarne plus le patriotisme et le droit. Le soutien de la population locale en Haute-Vienne est déterminant et c'est pourquoi les maquisards cherchent à le rendre pérenne. Par exemple, lorsque des groupes accomplissent des méfaits au nom de la résistance, les FTP

144. Darfeuil Rémi, op. cit., p. 62 145. Guingouin Georges, op. cit., p. 172 146. Ibid., p. 88

147. Ibid., p. 112

148. Guillon Jean-Marie, « La résistance au village », La Résistance et les Français, Enjeux stratégiques et

environnement social, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1995, p. 236

149. Ibid., p. 240

150. Marcot François, « Les paysans et la Résistance : problèmes d'une approche sociologique », La Résistance

et les Français, Enjeux stratégiques et environnement social, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1995,

font en sorte d'y mettre fin151. Les maquisards décident aussi de venir en aide aux paysans en

empêchant le départ du bétail vers l'Allemagne, mais aussi en organisant des sabotages de batteuses pour protester contre les réquisitions agricoles perpétuées par les Allemands et par Vichy, en fixant les prix de vente des produits agricoles ou le taux du blutage de la farine et en luttant contre le marché noir grâce à des affichages dans les villages contrôlés par les maquis communistes152. George Guingouin décide aussi de taxer les produits agricoles pour

mettre fin au marché parallèle et pour assurer une juste rémunération aux agriculteurs. Si un agriculteur décide de vendre au dessus de la taxe fixée, il se voit infliger une amende par les résistants qui est apposée à la porte de son habitation153. Cette situation montre que les

maquis, et notamment le « préfet du maquis », ont acquis une autorité certaine dans le département qui outrepasse celle des administrateurs de Vichy.

Le silence et le soutien des paysans de la Haute-Vienne ainsi que le fort développement des maquis permettent aux résistants, en grande partie sous les ordres de Georges Guingouin qui devient en juin 1944 le chef départemental des FTP de la Haute- Vienne, de libérer le territoire durant l'été 1944. Les combats ont été menés principalement par les troupes de FTP aux côtés l'AS (Armée secrète) et de l'ORA (Organisation de résistance de l'armée) qui tous trois ont fusionné au sein des FFI en février 1944. Du 17 au 24 juillet 1944 ont lieu les combats du Mont Gargan qui est la bataille la plus sévère menée par les troupes de Georges Guingouin. La lutte s'amplifie dans la région et elle a aussi pour conséquence la répression allemande comme le montre le massacre d'Oradour-sur-Glane opéré le 10 juin 1944 par la division allemande Das Reich. Toutefois, cela n'empêche pas la résistance de progresser et de continuer la libération du département qui trouve son aboutissement avec la prise de Limoges. Malgré les instructions de la direction communiste, Georges Guingouin décide de ne pas prendre la ville par les armes pour éviter toute effusion de sang inutile. La reconquête de la capitale du Limousin débute par une manœuvre d'encerclement qui commence dès les premiers jours du mois d'août 1944. Le 12 août, le poste de commandement de Georges Guingouin est installé à une trentaine de kilomètres de la ville154. Les jours suivants après des accrochages avec les troupes allemandes, les FFI

prennent position dans les communes entourant Limoges. Le 14 août, une grève générale est déclenchée dans la ville à l'appel de divers syndicats et du PCF et des comités ouvriers se forment dans les usines. Pendant ces quinze premiers jours du mois d'août, le préfet de

151. Darfeuil Rémi, op. cit., p. 63

152. Guingouin Georges, op. cit., pp. 105-106

153. Aron Robert, Histoire de la Libération de la France, Paris, Éditions Fayard, 1959, p. 628 154. Taubmann Michel, op. cit., p. 19

Limoges Freund-Valade essaye de rendre possible la reddition de la ville sans passer par les armes. Il obtient du général allemand Gleiniger de ne pas intervenir au moment du lancement de la grève générale et tente de le faire pencher en faveur d'une reddition des troupes allemandes en lui expliquant que toute défense est vaine face aux 15 000 FFI qui entoureraient la ville155. Pendant ce temps, le préfet régional négocie aussi avec George

Guingouin. Ce dernier obtient de lui le départ de la ville des Forces de l'ordre française et des Groupes mobiles de réserve mis en place par Vichy. Jean d'Albis, un citoyen suisse qui dirige une manufacture de porcelaine à Limoges sert ensuite d'intermédiaire entre Georges Guingouin et le général Gleiniger. Le 21 août 1944, ce dernier accepte finalement de capituler sous réserve que le traitement des prisonniers de guerre soit assuré à tous les militaires allemands ayant déposé les armes156. Le soir même, les troupes FFI font leur entrée

dans la ville de Limoges. Jean Chaintron, qui est alors le « commandant Jean-François », participe à cette arrivée triomphale à la tête de ses troupes et aux côtés de George Guingouin. Cette date est symbolique de la libération du département de la Haute-Vienne qui est considérée comme achevée en intégralité le 25 août 1944157.

A partir de là, le paysage politique de la Haute-Vienne commence à se modifier considérablement. Les communistes ont joué un rôle capital dans la résistance et dans la libération du département et leur activité maquisarde leur vaut un prestige et une force d'attraction considérables. La renommée de Georges Guingouin, le « préfet du maquis », est grande et son autorité est décisive dans les premiers jours de la libération au moment de l'installation des nouveaux pouvoirs. Cette vague de popularité permet au PCF de se présenter comme la principale force politique du Limousin à la fin de l'année 1944. Même en Haute-Vienne, où la SFIO dominait avant-guerre, le capital d'attraction du PCF est grand. Au contraire, la SFIO a des difficultés à reprendre sa position de quasi monopole politique au lendemain de la guerre. Il y a eu une résistance socialiste pendant le conflit. Toutefois, celle- ci pèse peu à côté de la force et de l'ampleur des troupes FTP sous l'égide du PCF158. Par

ailleurs, nombreux sont les membres du parti socialiste qui ont voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain en 1940 et qui se trouvent momentanément évincés de la vie politique. Certains socialistes sont même accusés par les maquisards communistes d'avoir desservi la résistance, à l'image de Jean Le Bail qui est la cible de nombreuses attaques. Au contraire, le

155. Aron Robert, op. cit., p. 630 156. Ibid., p. 631

157. Dauger Georges, op. cit., p. 208

158. Plas Pascal, « 1944, Adrien Tixier et la Haute-Vienne », Adrien Tixier 1893-1946, l'héritage méconnu d'un

PCF gagne en influence. Le fait d'avoir conservé une organisation pendant la période de clandestinité permet au parti de rebâtir rapidement une structure et d'accueillir de nouveaux membres dont beaucoup de jeunes militants attirés vers le PCF pendant l'occupation. Les structures partisanes sont alors étoffées. On trouve 40 sections en 1944 dans la Haute-Vienne -contre 16 en 1937- ce qui signifie pratiquement une par canton et elles regroupent près de 307 cellules permettant ainsi d'attirer des foules importantes lors des réunions organisées par le parti159. Ce dernier bénéficie aussi de nombreux relais dans la région pour étendre encore

son emprise à travers les syndicats ou encore la presse. Les effectifs sont aussi en progression. La fédération de la Haute-Vienne comptait environ 4200 adhérents avant-guerre et ce chiffre monte jusqu'à plus de 12 000 à la libération160. Parmi les nouveaux militants,

certains sont attirés par l'héroïsme et le charisme des dirigeants tel que George Guingouin. D'autres ont acquis de solides convictions politiques dans les maquis et sont prêts à propager l'idéologie communiste dans la période d'après-guerre. La résistance permet aussi au PCF de se construire un capital général de sympathie dans tout le département et notamment auprès des paysans.

Si la résistance a donné la possibilité au PCF de se forger une nouvelle légitimité et si les communistes obtiennent une telle influence à la fin de 1944, cela a aussi été rendu possible par l'enracinement du PCF dans les campagnes limousines tout au long de l'entre- deux-guerres. Même si en Haute-Vienne le PCF ne parvient à concurrencer significativement la SFIO dans les années 1920 et 1930, la naissance du communisme rural dans le département a créé un environnement favorable aux futurs succès du PCF après 1944161.

L'ascendant communiste sur les campagnes haute-viennoise est donc une construction sur le long terme et non la seule conséquence des maquis. On pourrait voir le passage d'une prédominance socialiste à une prépondérance communiste comme une continuité dans les choix électoraux de la population de la Haute-Vienne. Le vote communiste s'expliquerait alors par la tradition de gauche qui s'est exprimée à partir de XIXe siècle dans le Limousin et qui fait que ses habitants votent toujours plus à gauche, en portant leurs suffrages sur les démocrates-socialistes, les radicaux, les socialistes et enfin les communistes. Mais on ne peut réduire les attitudes politiques des limousins à des automatismes culturels et à une telle continuité162. Le passage entre vote socialiste et communiste est loin d'être considéré comme

159. Plas Pascal, « Limoges 1944, Jean d'Albis, Albert Chaudier, deux figures de l'intercession et de la

médiation à la Libération », Présence protestante dans l'histoire de Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2010, p. 219

160. Ibid., p. 218

161. Boswell Laird, op. cit., p. 149

naturel quand on connaît l'anticommunisme virulent de la fédération SFIO de la Haute- Vienne dans l'entre-deux-guerres et qui se poursuit, voire se renforce, après 1945163. Le

succès du PCF dans l'après-guerre n'est donc pas seulement du à une tradition de gauche, qui est bien présente dans cet ensemble régional, mais est aussi la conséquence d'une implantation durable du PCF et du prestige acquis dans les maquis. C'est dans ce contexte que Jean Chaintron est nommé préfet de la Haute-Vienne quelques jours après la reddition de la ville de Limoges. En tant que communiste, il occupe alors une place particulière dans le jeu politique de l'après-guerre au cœur de cet ancien bastion socialiste qui connait la montée en puissance du PCF.

Le département de la Haute-Vienne a donc des caractéristiques, notamment politiques, qui lui sont propres et qui sont à prendre en compte lorsque l'on se penche de près sur les raisons de la nomination du « commandant Jean-François » au poste de préfet de Limoges. C'est un département qui a accordé ses suffrages à la gauche dès le XIXe siècle et qui a confirmé cette tendance le siècle suivant avec la montée en puissance des socialistes puis du PCF à la libération du territoire en 1944.

Première partie : Jean Chaintron, administrateur

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