• Aucun résultat trouvé

La recherche d'une solidarité entre le préfet et les notables locaux communistes

Deuxième partie : Jean Chaintron, une personnalité politique dans la préfectorale

Chapitre 7 : Jean Chaintron et les notables locaux à l'heure de la montée des tensions politiques (29 avril 1945 – 19 novembre 1947)

C) La recherche d'une solidarité entre le préfet et les notables locaux communistes

Si certains élus locaux de la Haute-Vienne peuvent être considérés comme des obstacles dans la carrière préfectorale de Jean Chaintron, ce dernier s'insère aussi dans un système d'échanges traditionnels entre notables et préfet basé sur l'entraide et la solidarité. On peut parler à ce titre de relations d'interdépendance entre ces deux groupes. D'un côté, les notables, et notamment les élus locaux, se trouvent fréquemment en position de solliciteur face au préfet. Par exemple, les maires des petites communes définissent leur pouvoir au niveau départemental quasiment exclusivement en fonction de leurs possibilités d'accès au chef de la préfecture et recherchent, à ce titre, la proximité du préfet dans leur réseau de relations pour mieux satisfaire leurs différentes demandes823. Lorsque l'on étudie la

correspondance du préfet Jean Chaintron avec les maires de son département, on remarque effectivement que ces derniers sont souvent en position de demandeurs. Lorsqu'en avril 1946 plusieurs communes rurales manquent de blé, nombreux sont les maires qui demandent de l'aide au préfet. Celui de Champagnac annonce qu'il lui serait « très reconnaissant Monsieur le préfet si vous pouviez donner des aides pour que nous ayons de la farine panifiable 824»

tandis que le maire de Peyrilhac lui demande « de toute urgence dans la mesure du possible de bien vouloir nous débloquer une certaine quantité de farine 825». En contrepartie des

faveurs qu'il peut accorder aux élus et notables locaux, le préfet a besoin de leur collaboration et de leur soutien pour exercer son activité administrative dans de bonnes conditions et pour maintenir l'harmonie dans le territoire. Il lui est aussi nécessaire d'avoir des relais qui lui sont acquis pour étendre son influence dans tout le département. Le fait de s'insérer dans le pouvoir politico-administratif local lui permet en outre d'acquérir une certaine forme d'autonomie face au pouvoir central et à ses supérieurs hiérarchiques826. La présence d'un

député qui lui est proche dans son département, donne aussi la possibilité au préfet de bénéficier éventuellement de lettres de recommandation pour un avancement ou pour faire face aux attaques de ses adversaires. La conséquence de ce système d'interdépendance est la

823. Worms Jean-Pierre, « Le préfet et ses notables », Sociologie du travail, juillet-septembre 1966, p. 259 824. Archives départementales de la Haute-Vienne, Série 985W, lettre du maire de Champagnac au préfet de la Haute-Vienne, 26 avril 1946, 985W 1289

825. AD de la Haute-Vienne, Série 985W, lettre du maire de Peyrilhac au préfet de la Haute-Vienne, 25 avril 1946, 985W 1289

826. Olivier Laurent, « Préfet et gouvernement : entre subordination et capacité d'initiative. Une approche socio-historique », Le préfet, 1800-2000, Gouverneur, administrateur, animateur, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2000, p. 101

naissance d'une importante solidarité entre le préfet et certains des notables827. Jean Chaintron

peut donc avoir besoin d'alliés ou de protecteurs influents au gouvernement et parmi les notables du département dont il a la charge.

Marcel Paul, qui est élu député de la Haute-Vienne pour le PCF et nommé ministre de la Production industrielle à partir de l'automne 1945, peut être considéré comme l'un d'eux. Les deux hommes, en tant que ministre et préfet mais aussi comme camarades, sont amenés à réaliser des activités communes en Haute-Vienne. On les retrouve par exemple ensemble, aux côtés d'Alphonse Denis et de Georges Guingouin, en déplacement à l'usine Gnome et Rhône de Limoges pour y visiter les ateliers828. Lorsqu'en août 1946 Marcel Paul est victime d'un

accident de voiture, Jean Chaintron est rapidement présent à son chevet avec d'autres militants communistes829. Le préfet de la Haute-Vienne bénéficie aussi de l'appui du ministre

de la Production industrielle dans son travail administratif. Ainsi, en janvier 1946 il se rend avec Georges Guingouin et une délégation de porcelainiers de Limoges auprès de Marcel Paul pour tenter de donner une impulsion nouvelle à l'industrie porcelainière locale. Le ministre leur attribue alors un important contingent de charbons qui permet d'éviter des fermetures d'usines830. Par la suite, il attribue une quantité mensuelle de charbons aux

porcelainiers. Il est possible que Marcel Paul aurait aussi fait cette démarche sans la présence de Jean Chaintron à la préfecture pour remplir efficacement ses fonctions de ministre en charge de la Production industrielle. Toutefois, on peut aussi émettre l'hypothèse que les bonnes relations qu'il entretient avec le préfet ont pesé dans sa décision et que cette dernière est la preuve de la relation de solidarité qui lie les deux hommes. Quelques mois plus tard, en mai 1946, Marcel Paul s'associe à la demande du préfet de la Haute-Vienne au ministre du Ravitaillement pour qu'on accorde des suppléments de denrées alimentaires à certaines communes de la Haute-Vienne831. Les démarches aboutissent démontrant une fois de plus la

connivence existant entre le préfet et Marcel Paul. Enfin, lorsqu'en janvier 1947, Jean Chaintron est nommé préfet hors-cadre et qu'il quitte Limoges, Marcel Paul s'empresse d'écrire au ministre de l'Intérieur pour exprimer son désaccord : « J'aurais désiré vivement qu'il vous soit possible de me consulter avant cette décision 832».

827. Worms Jean-Pierre, art. cit., p. 261

828. Bibliothèque nationale de France, L'Echo du centre, lundi 4 février 1946, FOL- JO- 2676 829. Ibid., mercredi 21 août 1946

830. Ibid., jeudi 31 janvier 1946 831. Ibid., mardi 7 mai 1946

832. CAC Fontainebleau, dossier personnel de fonctionnaire de Jean Chaintron, dossier du ministère de l'Intérieur, lettre de Marcel Paul à Edouard Depreux, 17 janvier 1947, 19920076/3

Hormis la relation qu'il peut entretenir avec les députés et ministres de son département, Jean Chaintron essaye aussi de soigner celles qui l'unissent aux maires. En août 1945, lors d'un discours radiophonique il fait l'éloge des élus municipaux haut-viennois : « Il est parmi eux de nouveaux administrateurs qui montrent chaque jour leurs capacités d'initiative et leurs aptitudes à surmonter les difficultés », avant d'ajouter qu'administrer est aujourd'hui difficile mais que « nos élus municipaux ont su l'aborder avec beaucoup d'ardeur et de courage. Il faut les soutenir »833. Le même mois, il accueille à la préfecture une

délégation de maires socialistes qui lui apportent une résolution portant notamment sur la suppression des organismes de Vichy et sur une demande d'augmentation des subventions communales. Jean Chaintron promet de transmettre leurs « justes propositions 834» au

gouvernement et d'intervenir auprès des services concernés pour que satisfaction leur soit accordée. Le préfet tente donc d'aller dans le sens de certaines municipalités. En retour, il reçoit aussi le soutien de plusieurs d'entre elles comme lors de la grève du Conseil général en mai 1946. En protestation à la décision de la majorité socialiste de ne pas siéger en présence d'un préfet communiste, plusieurs conseils municipaux de la Haute-Vienne envoient des télégrammes au ministre de l'Intérieur. Tandis que le conseil municipal de Saint-Julien-le- Petit proteste « énergiquement 835» contre l'attitude des conseillers généraux socialistes, celui

d'Isle considère que « cette attitude relève plus d'éléments fascistes que démocrates 836» et le

maire de Montrol-Sénard affirme que « le conseil se faisant l'interprète de notre population s'indigne de pareils procédés, considérant que le préfet de tous les Limousins, ayant été l'un des porte-drapeaux de la résistance, n'a jamais tenu compte de la nuance politique de ses administrés chaque fois que ces derniers ont fait appel à sa compétence 837». Le conseil

municipal de Neuvic-Entier joint sa protestation aux précédentes en demandant au ministre de l'Intérieur « de maintenir à son poste celui qui pendant l'occupation a résisté à l'envahisseur au péril de sa vie et contre lequel actuellement, aucune accusation valable ne peut être retenue 838». Jean Chaintron bénéficie donc du soutien de certains maires et députés,

à l'image de Marcel Paul, avec lesquels se met en place une relation d'interdépendance qui leur est profitable. Les contacts qu'a le préfet de la Haute-Vienne avec les notables locaux ne

833. Archives nationales, Séria F1a, discours radio du préfet de la Haute-Vienne, août 1945, F1a 4022 834. Bibliothèque nationale de France, Le Travailleur limousin, mercredi 8 août 1945, FOL- JO- 5286 835. CAC Fontainebleau, dossier personnel de fonctionnaire de Jean Chaintron, dossier du ministère de l'Intérieur, télégramme du conseil municipal de Saint-Julien-le-Petit au ministre de l'Intérieur, 6 mai 1946, 19920076/3

836. Bibliothèque nationale de France, L'Echo du centre, mardi 14 mai 1946, FOL- JO- 2676

837. CAC Fontainebleau, dossier personnel de fonctionnaire de Jean Chaintron, dossier du ministère de l'Intérieur, lettre du maire de Montrol-Sénard au ministre de l'Intérieur, 11 mai 1946, 19920076/3

838. Ibid., lettre du conseil municipal de Neuvic-Entier au ministre de l'Intérieur à l'issue de la réunion du 19 mai 1946, 19920076/3

se font donc pas uniquement sur le terrain des rivalités politiques et des polémiques, mais aussi dans une ambiance de solidarité et d'entraide. Toutefois, les soutiens dont il peut bénéficier n'empêche pas les rappels à l'ordre du préfet par son supérieur hiérarchique sur la question de sa neutralité politique.

D) Des rappels à l'ordre du préfet de la Haute-Vienne en raison son absence de

Outline

Documents relatifs