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Les relations du préfet de la Haute-Vienne avec le PCF et ses dirigeants nationau

Deuxième partie : Jean Chaintron, une personnalité politique dans la préfectorale

Chapitre 8 : Un rôle politique national qui explique un départ prématuré de l'administration préfectorale

B) Les relations du préfet de la Haute-Vienne avec le PCF et ses dirigeants nationau

Comment le PCF appréhende-t-il la présence de deux de ses militants dans la préfectorale ?

Comme membre du Comité central et permanent du PCF, Jean Chaintron entretient des liens fréquents avec la direction de son parti. Or, il est aussi un préfet en poste ce qui a forcément des conséquences sur ces relations qui ne peuvent être assimilables aux liens traditionnels unissant un militant avec son parti. Pour les étudier, il est tout d'abord nécessaire de s'intéresser à la perception qu'a le PCF des préfets communistes. Bien que Maurice Thorez demande à Jean Chaintron de se comporter et d'agir comme tous les autres membres de la

Actes du colloque du 24 mars 2007 à Limoges, Limoges, Le Temps des Cerises, 2008, p. 76, Marcel Parent affirme lors de la discussion : « En réalité, leurs rapports étaient exécrables. Sous sa casquette de Préfet, Chaintron exerçait avec rigueur son pouvoir d'autorité de tutelle, refusant par exemple, un budget en déséquilibre ; sous sa casquette de membre du CC, il laissait entendre que GG était coupable de déviation trotskiste et il le taxait de « crétinisme municipal ». On ne peut pas dire que Jean Chaintron ait aidé GG dans la mise en place de sa politique de gestion de la ville de Limoges. »

924. Archives départementales de Seine-Saint-Denis, Archives du PCF, Archives de la Commission centrale de contrôle politique, Affaire Georges Guingouin 1944-2001, note sur la réunion du 6 janvier 1952 à Limoges rédigée par Waldeck Rochet, 261 J 6/6

préfectorale lorsqu'il lui dit : « Tu dois être un préfet comme les autres et porter la tenue officielle 926», il le considère en réalité toujours comme un militant qui doit appliquer la

politique du parti. Cela transparait déjà dans la lettre de félicitation que le secrétaire général du PCF lui envoie à la suite de sa nomination à la préfecture de Limoges. Il le félicite pour son travail préfectoral accompli « pour l'honneur de notre Parti communiste 927». Malgré la

neutralité qui doit caractériser le travail préfectoral, le PCF demande en réalité aux deux préfets communistes, Jean Chaintron et Lucien Monjauvis, de continuer à appliquer au mieux la politique du parti928 et de s'occuper de tâches militantes929. On retrouve explicitement ces

directives lors du Comité central des 3 et 4 novembre 1945. Jean Chaintron y est coupé dans son intervention par Maurice Thorez qui revient sur l'attitude de Lucien Monjauvis, préfet de la Loire. Le secrétaire général explique qu'il s'est rendu à Saint-Etienne à un meeting communiste mais que Lucien Monjauvis ne l'y a pas accueilli car il se trouvait à un banquet d'anciens prisonniers ailleurs dans le département. Maurice Thorez qualifie alors de « faute politique » le fait que « le préfet communiste de la Loire ne soit pas à Saint-Etienne le jour où le secrétaire général du Parti communiste y vient » alors que c'était son « devoir » de le faire930. Il conclut sa remarque en disant « Et si le gouvernement a quelque chose à lui dire, il

le dira. Nous ne sommes pas des valets, nous sommes des militants communistes 931». Même

sans connaître les directives données à Jean Chaintron, on peut en déduire qu'elles sont identiques à celles transmises à Lucien Monjauvis ce qui signifie que le préfet communiste doit continuer à se conformer aux instructions des dirigeants de son parti.

Les liens qui continuent d'unir Jean Chaintron avec le PCF malgré son poste de préfet s'illustrent aussi dans la somme d'argent qu'il continue à verser régulièrement à la trésorerie de son parti. Comme il l'explique dans son autobiographie : « Selon la règle du parti, de mon traitement et des frais de représentation, je ne gardais que le dixième correspondant au salaire d'un ouvrier qualifié 932». Jean Chaintron reverse donc une partie de ses revenus de préfet au

PCF, comme le ferait un élu communiste, en se justifiant à plusieurs reprises sur les dépenses dues à sa fonction. Ainsi, le 16 mai 1945 il écrit à la trésorerie du PCF pour faire le point sur cette question. Il explique qu'il a établi ses comptes selon la « règle générale du parti » qui

926. Foulon Charles-Louis, La France libérée 1944-1945, Paris, Hatier, 1984, p. 97

927. Archives privées de Jean Chaintron, lettre de Maurice Thorez à Jean Chaintron, 29 décembre 1944 928. Robrieux Philippe, op. cit., pp. 179-180

929. Buton Philippe, Les lendemains qui déchantent: le Parti communiste français à la Libération, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1993, p. 204

930. Archives départementales de Seine-Saint-Denis, Archives du PCF, Comité Central des 3 et 4 novembre 1945, 261 J 2/6, interruption de Maurice Thorez pendant l'intervention de Jean Chaintron

931. Ibid.

attribue à chaque communiste « chargé de fonctions de ce genre » un traitement de militant ouvrier même s'il n'a aucun précédent auquel se référer et que les conditions de sa fonction sont différentes de celle d'un parlementaire933. Quelques jours plus tard, le PCF lui indique

que son traitement est relevé en raison des frais liés à sa situation de préfet934. Dans cette

même lettre du 16 mai 1945, Jean Chaintron détaille précisément le montant de ses dépenses au moyen de plusieurs catégories : vêtement, frais de représentation, gerbes de fleurs, entretien de la maison, réceptions, nourriture du personnel935. Dans une lettre suivante, le 13

décembre 1945, il souligne que les carnets de ses comptes sont à la disposition de la trésorerie du PCF pour tout contrôle936. Jean Chaintron se montre parfaitement enclin à verser

une partie de ses revenus à son parti malgré les lourdes dépenses des préfets, tenus d'organiser des réceptions officielles à la préfecture, qui les font fréquemment vivre au- dessus de leurs moyens. Il le précise dans une lettre à la trésorerie centrale du PCF en août 1946. Dans ce courrier qui fait suite à un rappel du parti pour le versement de ses ristournes qui a pris du retard, il explique qu'il ne s'agit nullement de sa part d'un oubli ou d'une réticence dans l'application « du juste principe d'organisation du parti selon lequel émoluments d'une fonction telle que la mienne, voire la fonction elle-même, appartiennent au parti et non au militant qui les a reçus 937». Cette situation démontre une fois de plus que le

PCF considère les préfets communistes de façon identique à un élu, c'est-à-dire comme des militants qui doivent restés dévoués au parti et à ses règles.

Pour cerner la façon dont le PCF se positionne face aux préfets communistes, il est aussi important d'analyser l'approche communiste de la fonction préfectorale en général. Lors des discussions autour du premier projet de Constitution de la IVe République après les élections du 21 octobre 1945, les communistes sont partisans de la suppression des préfets938.

Ces derniers seraient remplacés définitivement par les présidents des Conseils généraux qui sont des représentants élus des citoyens. Finalement, un compromis est trouvé avec les autres forces politiques et l'institution préfectorale est maintenue. Après le rejet de ce premier projet constitutionnel le 5 mai 1946, la Constitution de la IVe République est finalement adoptée le 13 octobre 1946. Pour les préfets, le texte est novateur car leurs missions sont inscrites pour

933. Archives privées de Jean Chaintron, lettre de Jean Chaintron au secrétariat central du PCF, trésorerie, 16 mai 1945

934. Archives privées de Jean Chaintron, lettre du PCF, section administration, au préfet de la Haute-Vienne, 6 juin 1945

935. Archives privées de Jean Chaintron, lettre de Jean Chaintron au secrétariat central du PCF, trésorerie, 16 mai 1945

936. Archives privées de Jean Chaintron, lettre de Jean Chaintron au secrétariat du PCF, trésorerie, 13 décembre 1945

937. Archives privées de Jean Chaintron, lettre de Jean Chaintron à la trésorerie centrale du PC, 23 août 1946 938. Buton Philippe, op. cit., p. 214

la première fois dans la Constitution. Le titre X de cette dernière prévoit le renforcement de l'autorité des préfets sur les services extérieurs de l'État tout en envisageant d'ériger le chef du Conseil général en chef de l'exécutif départemental au détriment de l'autorité préfectorale939,

ce qui ne sera en réalité jamais appliqué. Cette prédominance de l'assemblée départementale par rapport à la préfecture est aussi souhaitée par Jean Chaintron lui-même bien qu'il occupe un poste de préfet. En effet, lors de son discours aux comités de libération du département en décembre 1944, il va dans le sens de la réforme voulue par le PCF lorsqu'il donne son opinion sur la fonction préfectorale : « Peut-être pourrait-on reconsidérer si on doit maintenir cette fonction départementale dans la conception napoléonienne, ou si on doit plutôt décentraliser, donner plus de pouvoir à l'assemblée départementale élue, à un Comité exécutif et à un président 940». Il réaffirmera sa position auprès d'un conseiller général SFIO de la

Haute-Vienne, Georges Lamousse, qui le rapporte dans le périodique socialiste : « [M. Chaintron] m'a déclaré il y a quelques temps être un partisan convaincu de la suppression des préfets et de leur remplacement par des administrateurs élus 941». La position du PCF face

aux préfets et à Jean Chaintron est donc complexe. Le parti milite à la fois en faveur de la suppression de l'institution préfectorale, en étant suivi sur ce point par le préfet de la Haute- Vienne, tout en autorisant certains de ses membres à remplir cette fonction en parallèle de leurs activités militantes.

Des liens de militant à dirigeants politiques et de préfet à ministre entre Jean Chaintron et certains membres du PCF

Au-delà des questions théoriques sur la perpétuation de l'institution préfectorale et de l'autorité que le PCF exerce toujours sur Jean Chaintron, on peut aussi s'intéresser aux relations particulières qui unissent le préfet de la Haute-Vienne avec certains dirigeants communistes. Elles se placent sur le terrain du politique, de militant à responsables communistes, mais aussi sur le plan administratif entre un préfet et communistes membres du gouvernement. Jean Chaintron, en tant qu'adhérent du PCF, est tout d'abord tenu de recevoir les personnalités communistes de passage à Limoges942. Il accueille, en mai 1945, Marcel

Cachin et sa femme qui le remercient peu après : « C'est encore tout vibrant de ces

939. Le Lidec Patrick, « L'impossible renouveau du modèle préfectoral sous la IVè République », E.N.A, Revue

française d'administration publique, n°120, avril 2006, p. 702

940. Archives privées de Jean Chaintron, discours de Jean Chaintron préfet de la Haute-Vienne le 9 décembre 1944 à l'Assemblée des Comités de libération du département

941. Bibliothèque francophone multimédia de Limoges, Le Populaire du centre (numérisé), jeudi 15 août 1946 942. Archives privées de Jean Chaintron, lettre de Jean Chaintron au secrétariat du PCF, trésorerie, 13 décembre 1945

rayonnantes journées que je vous envoie l'expression de toute notre profonde gratitude 943»,

ou encore celle d'André Marty en août de la même année qui lui indique avant sa venue : « Je passerai te saluer à ton domicile personnel et te demanderai quelques minutes d'entretien 944».

En dehors de ces contacts militants, voire amicaux, Jean Chaintron correspond aussi avec les dirigeants communistes sur des affaires administratives et politiques en raison de ses missions préfectorales. En plus de ses relations avec Marcel Paul ministre de la Production industrielle implanté en Haute-Vienne945, Jean Chaintron a aussi des contacts avec d'autres

ministres communistes sur diverses questions. Il passe, par exemple, par l'intermédiaire du ministre de la Santé publique François Billoux, pour transmettre une lettre au général de Gaulle en novembre 1944946 ou sollicite Maurice Thorez, vice-président du Conseil en février

1946, pour prononcer l'amnistie de résistants condamnés sous Vichy pour détention d'armes

947. Inversement, Maurice Thorez interpelle à son tour Jean Chaintron au Comité central pour

qu'il partage ses connaissances administratives sur la question du ravitaillement. Pendant la séance des 20 et 21 avril 1946, Maurice Thorez lui demande : « Que penses-tu d'une différenciation dans le ravitaillement ? 948». Il poursuit en expliquant que si un membre du

PCF reçoit le ministère du ravitaillement, il faudrait mettre en place un système qui permette d'assurer en priorité le ravitaillement des villes et invite le préfet de la Haute-Vienne à se prononcer sur cette question, ce qu'il fait en s'appuyant sur la situation de son département. La sollicitation de Jean Chaintron par Maurice Thorez peut donc se situer sur un terrain administratif et cela se vérifie notamment au moment de la suppression des Commissaires de la République. Le secrétaire général du PCF entre au gouvernement le 21 novembre 1945 en tant que ministre d'État en charge de la réforme administrative de la fonction publique. Le travail qu'il réalise aboutit au décret du 26 février 1946 qui institue le Comité de la réforme administrative, à la loi du 26 mars 1946 qui entérine la suppression des services régionaux -et donc des Commissaires de la République949- et au statut général de la fonction publique

adoptée par la deuxième Assemblée nationale constituante950. Or, comme expliqué

précédemment, Jean Chaintron a adressé dès le mois de décembre 1945 un mémorandum sur

943. Archives privées de Jean Chaintron, lettre de Marcel et Marguerite Cachin à Jean Chaintron, 14 mai 1945 944. Archives privées de Jean Chaintron, lettre d'André Marty à Jean Chaintron, 3 août 1945

945. Voir supra, Chapitre 5, A)

946. Archives départementales de la Haute-Vienne, Série 986W, lettre du ministre de la Santé publique au préfet de la Haute-Vienne, 13 novembre 1944, 986W 143

947. AD de la Haute-Vienne, Série 986W, lettre du préfet de la Haute-Vienne à Maurice Thorez vice-président du Conseil, 28 février 1946, 986W 65

948. AD de Seine-Saint-Denis, Archives du Parti Communiste français, Comité Central des 20 et 21 avril 1946, 261 J 2/8, interruption de Maurice Thorez pendant l'intervention de Jean Chaintron

949. Roucaute Yves, Le PCF et les sommets de l'État : de 1945 à nos jours, Paris, Presses Universitaires de France, 1981, p. 126

la situation administrative au ministre Thorez proposant notamment de supprimer l'échelon régional951. Quelques jours après la réception de ce dossier, Maurice Thorez fait part à Jean

Chaintron de son intérêt pour ses travaux dans un courrier personnel : « J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ton discours traitant des problèmes administratifs et du rétablissement de la démocratie. (…) Je t'adresse toute mes félicitations pour le travail constructif que tu as déjà réalisé ainsi, et particulièrement, pour la lutte que tu mènes contre l'appareil de Vichy maintenu en place en dépit de la légalité républicaine (...) 952». Le mémorandum de Jean

Chaintron inspire l'activité ministérielle de Maurice Thorez qui dit, dès le mois de janvier 1946 en Conseil des ministres, qu'il est nécessaire de revenir à la tradition en matière de commandement administratif en supprimant les Commissariats de la république et leurs états-majors953. On peut en conclure que les critiques formulées par le préfet de la Haute-

Vienne alimentent les travaux du ministre d'État et participent à la mise sur pieds de la loi du 26 mars 1946954. Cela illustre un aspect des relations qu'entretiennent Jean Chaintron et le

secrétaire général du PCF, en tant que préfet et ministre du gouvernement. Les liens qui relient Jean Chaintron aux dirigeants communistes nationaux sont donc pluriels : à la fois administratifs, lorsqu'il s'adresse aux communistes devenus ministres, mais aussi politiques et militants en raison de la conception particulière que se fait le PCF des préfets issus de ses rangs. Cette forte implication de Jean Chaintron dans les activités de son parti et la partialité qu'elle entraine aboutissent à son départ de l'administration préfectorale.

C) La mise hors-cadre du préfet Jean Chaintron et l'accession à la direction du

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