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Des rappels à l'ordre du préfet de la Haute-Vienne en raison son absence de neutralité politique

Deuxième partie : Jean Chaintron, une personnalité politique dans la préfectorale

Chapitre 7 : Jean Chaintron et les notables locaux à l'heure de la montée des tensions politiques (29 avril 1945 – 19 novembre 1947)

D) Des rappels à l'ordre du préfet de la Haute-Vienne en raison son absence de neutralité politique

Les différentes polémiques que doit affronter Jean Chaintron pendant son expérience préfectorale portent souvent sur la question de son absence de neutralité dans le domaine politique en raison de son adhésion au PCF. Pourtant, en tant que préfet, il doit faire preuve d'indépendance, veiller à ne pas exprimer ses opinions en public et à ne pas influer sur la vie politique locale. A quelques reprises, il essaye de démontrer son indépendance Ainsi, dans un courrier adressé au ministre de l'Intérieur en mai 1945, il se justifie sur cette question. Il donne la preuve de son impartialité pendant la campagne électorale des municipales par plusieurs exemples : la suspension de ses tournées préfectorales dans les communes du département, le refus de se rendre à des réunions publiques et à prendre la présidence de manifestations artistiques ou encore l'absence de discours de sa part au grand repas du Concours agricole de Limoges839. Une année plus tard, avant les élections du 2 juin 1946, il

retarde volontairement son exposé radiophonique pour qu'il puisse avoir lieu après le scrutin

840. Un autre exemple illustre assez bien les efforts du préfet de la Haute-Vienne en ce

domaine. En septembre 1946, lors d'une manifestation franco-vietnamienne à laquelle est présent Jean Chaintron, le porte-parole du groupe franco-vietnamien se livre à des attaques contre la politique coloniale française et fait comprendre qu'il ne peut chanter la Marseillaise à la fin du banquet mais qu'il préfère lui substituer l'Internationale. Le préfet de la Haute- Vienne, en tant que représentant du gouvernement français, est concerné par les attaques contre la politique française en Indochine. Jean Chaintron se trouve donc dans l'obligation de contrôler la tournure que prend la réunion. Il manifeste alors discrètement auprès des organisateurs son indisposition à entendre le chant de l'Internationale en ce lieu et les participants s'abstiennent finalement de l'entonner841.

839. Archives départementales de la Haute-Vienne, Série 986W, lettre du préfet de la Haute-Vienne au ministre de l'Intérieur, 11 mai 1945, 986W 65

840. Bibliothèque nationale de France, L'Echo du centre, mercredi 5 juin 1946, FOL- JO- 2676 841. Bibliothèque nationale de France, La Liberté du centre, jeudi 5 septembre 1946, FOL- JO- 2810

Malgré les efforts de Jean Chaintron pour se dégager de toute action et prise de parole partisanes, son appartenance au PCF l'amène à s'écarter fréquemment d'une attitude apolitique, comme lors de ses discours radiophoniques ou lors de ses rapports écrits sur les élections au ministre de l'Intérieur842. Ces écarts à la neutralité préfectorale et les tensions

avec les socialistes haut-viennois ont pour conséquence la multiplication des rappels à l'ordre à l'attention du préfet de la Haute-Vienne. Les élus locaux socialistes font régulièrement part aux différents ministres de l'Intérieur des différends qui les opposent au préfet et les incitent à le réprimander sur la question de son investissement dans la vie du PCF. Jean Chaintron l'explique dans ses mémoires : « Nos camarades socialistes (…) réclamaient de leur camarade Tixier, ministre de l'Intérieur, mon patron, qu'il prenne des sanctions contre moi pour participation, même discrète à la vie du parti, ce qu'interdisait l'obligation de réserve exigée dans la fonction préfectorale. (…) Je jugeais déplorable que des socialistes s'acharnent à maintenir cette conception napoléonienne de la fonction préfectorale 843». Le 2 août 1945,

le ministre de l'Intérieur fait effectivement parvenir aux Commissaires de la République et aux préfets une circulaire interdisant leur participation à des manifestations organisées par les partis politiques. Elle ne s'adresse pas personnellement à Jean Chaintron mais a sans doute été rédigée en réponse à l'engagement politique de certains préfets dont celui de la Haute- Vienne. La circulaire précise qu'avec la reprise de la vie politique et des campagnes électorales, un certain nombre de préfets n'ont pas respecté l'interdiction qui leur est faite de participer aux activités des mouvements politiques et « il est même arrivé que des préfets et sous-préfets aient pris personnellement une part active et publique à des congrès et des manifestations politiques » avant de leur rappeler « j'ai à peine besoin d'indiquer qu'une telle attitude est incompatible avec les fonctions de représentants du Gouvernement844». De même,

son successeur revient à plusieurs reprises sur cette question. Lors d'une conférence de presse consacrée au corps préfectoral en juillet 1946 au ministère de l'Intérieur, Edouard Depreux rappelle que le gouvernement n'exige « pas des préfets l'obédience à un parti politique mais à la République 845». En septembre de la même année, il transmet deux circulaires aux préfets

les invitant à s'abstenir de participer à des cérémonies à caractère politique même lorsqu'elle se déroule en présence d'un ministre et à ne pas être présent lors du déplacement des membres du gouvernement à partir du moment où la campagne électorale pour le référendum

842. Voir supra, Chapitre 6, B) et Chapitre 7, B) et C) 843. Chaintron Jean, op. cit., p. 260

844. Archives nationales, Série F1c, circulaire n°623 du ministre de l'Intérieur aux CR et aux préfets, 2 août 1945, F1cII 107B

845. Bibliothèque francophone multimédia de Limoges, Le Populaire du centre (numérisé), lundi 29 juillet 1946

et les élections législatives a commencé846. Un mois plus tard, il répète à l'Assemblée

nationale qu'il ne tolère « d'aucun préfet une activité partisane 847».

Pourtant, malgré ces avertissements, une affaire portant sur cette thématique le met aux prises avec le préfet de la Haute-Vienne. Le 24 octobre 1946, le ministre de l'Intérieur Edouard Depreux affirme à Jean Chaintron par courrier qu'il a été informé que ce dernier a pris la parole à une assemblée générale des sections du PCF et lui demande si cette information est exacte848. En réponse, Jean Chaintron lui explique que durant la campagne

électorale, il a constamment cherché à se tenir au-dessus des partis en répondant négativement à des demandes de participation à des manifestations inaugurales dans plusieurs municipalités ou en refusant de paraître à une cérémonie organisée par la CGA. Il se défend en prétendant n'avoir assisté à aucune manifestation publique du PCF mais uniquement à une réunion privée de ce parti qui n'accueillait que des adhérents sur présentation de leur carte. Le caractère privé de cet événement est pour lui une preuve qu'il n'a pas cherché à compromettre le « caractère d'indépendance 849» de sa fonction. Edouard

Depreux fait alors part de cette réponse au président du Gouvernement provisoire en précisant que Jean Chaintron « essaie d'établir une distinction entre réunions publiques et privées » mais que cela « ne diminue en rien la gravité de la faute qu'il a commise » étant donné que le caractère privé de la réunion est « extrêmement relatif »850. Il propose d'adresser

une lettre de blâme au préfet, ce qui est approuvé quelques jours plus tard par le chef du Gouvernement provisoire, Georges Bidault851. Edouard Depreux s'empresse alors de rappeler

à l'ordre le préfet de la Haute-Vienne en lui déclarant que « les préfets doivent s'abstenir d'assister à toutes les réunions, même privées, ayant un caractère politique 852». En parallèle,

il adresse une circulaire à tous les préfets en leur rappelant que dans ses circulaires précédentes du mois de septembre 1946 il leur interdisait de participer à des cérémonies à caractère politique tout en précisant qu'il « va sans dire que je n'ai pas entendu viser seulement les manifestations publiques qui présentent un caractère politique 853». Il conclut

846. CAC Fontainebleau, dossier personnel de fonctionnaire de Jean Chaintron, circulaire du ministre de l'Intérieur aux préfets, 25 septembre 1946, 19920076/3

847. Bibliothèque francophone multimédia de Limoges, Le Populaire du centre (numérisé), vendredi 4 octobre 1946

848. CAC Fontainebleau, dossier personnel de fonctionnaire de Jean Chaintron, lettre du ministre de l'Intérieur au préfet de la Haute-Vienne, 24 octobre 1946, 19920076/3

849. Ibid., lettre du préfet de la Haute-Vienne au ministre de l'Intérieur, 26 octobre 1946, 19920076/3 850. Ibid., lettre du ministre de l'Intérieur au président du Gouvernement provisoire, 31 octobre 1946, 19920076/3

851. Ibid., lettre du président du Gouvernement provisoire au ministre de l'Intérieur, 8 novembre 1946, 19920076/3

852. Ibid., lettre du ministre de l'Intérieur à Jean Chaintron, 15 novembre 1946, 19920076/3 853. Ibid., circulaire du ministre de l'Intérieur aux préfets, 15 novembre 1946, 19920076/3

en expliquant que le préfet est le représentant du gouvernement dans son département et qu'en ce sens il est au service de la nation et « il serait inadmissible qu'il donnât l'impression, en militant dans un parti politique ou une organisation annexe, qu'il peut manquer aux règles de la stricte objectivité 854». Cette circulaire est transmise à tous les préfets mais elle est

particulièrement adressée à Jean Chaintron et dénonce implicitement son appartenance au PCF qui est incompatible, pour le ministre de l'Intérieur, avec sa fonction préfectorale. Le préfet de la Haute-Vienne écrit alors au secrétariat du PCF pour demander un « conseil d'extrême urgence 855» sur la réponse qu'il doit donner au ministre de l'Intérieur. Il leur relate

l'affaire ainsi que la lettre qu'il a reçue d'Édouard Depreux écrite sur « le ton d'une semonce 856». Il leur transmet le brouillon d'un courrier de réponse qui risque, selon sa propre

affirmation, de faire quelques éclats et demande s'il serait judicieux de l'adresser au ministre. Par la même occasion, il exprime sa volonté de se rendre à la réunion du Comité central du PCF du 27 novembre 1946 malgré l'interdiction de participer à la vie politique pour les préfets. On lui répond alors qu'il doit se contenter d'un simple accusé de réception et demander par une autre lettre au ministre l'autorisation de se rendre au Comité central857. Le

brouillon de la lettre que Jean Chaintron voulait initialement envoyer à Edouard Depreux aurait en effet pu déclencher quelque polémique en raison de son audace. Il y explique qu'une partie des membres de la SFIO en Haute-Vienne l'accuse à tort de déroger aux principes d'indépendance politique demandée au corps préfectoral858. Il remet aussi en cause le ministre

de l'Intérieur lui-même sur cette question en affirmant qu'Édouard Depreux aurait repris cette accusation contre Jean Chaintron au cours d'un meeting socialiste que le préfet de la Haute- Vienne aurait entendu depuis son balcon. Il se justifie à nouveau sur son indépendance en soulignant qu'il n'a participé à aucune manifestation publique incompatible avec sa fonction mais a toujours réservé l'expression de ses idées politiques à sa vie personnelle en ajoutant qu'il considère que l'interdiction ministérielle de participer à des réunions privées est « abusive 859». Enfin, il interprète ce rappel à l'ordre du ministre comme une attaque contre

son appartenance au PCF : « Votre semonce m'est pénible et je la classerai dans mes papiers avec mon dossier de prison et ma condamnation à mort par le gouvernement de Vichy pour

854. CAC Fontainebleau, dossier personnel de fonctionnaire de Jean Chaintron, circulaire du ministre de l'Intérieur aux préfets, 15 novembre 1946, 19920076/3

855. Archives privées de Jean Chaintron, lettre du préfet de la Haute-Vienne au secrétariat du PCF, 19 novembre 1946

856. Ibid.

857. Archives privées de Jean Chaintron, lettre de Léon Mauvais à Fernand Dupuy, 22 novembre 1946 858. Archives privées de Jean Chaintron, brouillon d'une lettre du préfet de la Haute-Vienne destinée au ministre de l'Intérieur, sans date

ce même motif : être communiste 860». Finalement, en se conformant à la réponse du

secrétariat du PCF, Jean Chaintron ne transmet pas sa réponse initiale et se contente d'un accusé de réception à la lettre et à la circulaire du ministre861.

L'affaire n'en reste pas là. A l'été 1947, alors que Jean Chaintron n'est plus en poste à Limoges mais toujours dans les cadres de l'administration préfectorale, une même affaire se produit à nouveau. Le 12 juillet 1947, le ministre de l'Intérieur Edouard Depreux écrit une lettre à Jean Chaintron à propos de sa participation au congrès du PCF en Haute-Vienne à la fin du mois de juin 1947 alors que « les mises en garde ne vous ont pas manqué 862». Il

précise que cette information lui « a semblé tellement invraisemblable 863» que jusqu'à nouvel

ordre il a voulu la croire inexacte et demande de plus amples renseignements à Jean Chaintron. Ce dernier lui répond alors qu'il a refusé de participer au meeting qui devait se tenir le jour précédant le congrès mais qu'en tant que membre du PCF, il conserve le droit d'être présent au congrès ou à des réunions intérieures de son parti ce qu'il a fait, sans toutefois intervenir à la tribune pour exprimer publiquement ses opinions politiques864. En

toutes circonstances, Jean Chaintron soutient donc au ministre de l'Intérieur qu'il parvient à concilier une indépendance politique en tant que préfet avec une affiliation à un parti politique dans le cadre de sa vie privée. Pourtant, cette distinction ne parvient pas à convaincre ses différents supérieurs hiérarchiques comme le montrent les nombreux rappels à l'ordre qu'il reçoit sur cette question.

L'appartenance de Jean Chaintron au PCF rend donc difficile ses rapports avec une grande partie des élus locaux du département même si elle lui permet aussi de créer une relation de solidarité avec certains d'entre eux. Des tensions apparaissent avec la reprise de la vie politique en 1945 et se transforment en véritable affrontement notamment au sein du Conseil général à majorité socialiste. Son affiliation au PCF est dénoncée par les socialistes du département et par les ministres de l'Intérieur SFIO qui se succèdent pendant cette période. Les différents rappels à l'ordre que Jean Chaintron reçoit en raison de sa participation à des réunions politiques incitent aussi à se poser la question de sa présence et de son rôle au sein du PCF de la Haute-Vienne et plus largement à s'interroger sur sa position

860. Archives privées de Jean Chaintron, brouillon d'une lettre du préfet de la Haute-Vienne destinée au ministre de l'Intérieur, sans date

861. CAC Fontainebleau, dossier personnel de fonctionnaire de Jean Chaintron, lettre du préfet de la Haute- Vienne au ministre de l'Intérieur, 25 novembre 1946, 19920076/3

862. Ibid., lettre du ministre de l'Intérieur à Jean Chaintron, 12 juillet 1947, 19920076/3 863. Ibid.

Chapitre 8 : Un rôle politique national qui explique un départ

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